De Samus Aran à Lara Croft en passant par Bayonetta ou encore Chun-Li, les personnages féminins dans les jeux vidéo ont fait couler beaucoup d’encre et ce n’est pas sans raison. Leur représentation navigue souvent entre simple mise en avant et hypersexualisation. Petit tour d’horizon, des « fantasmes érotiques » aux « femmes fortes ».
Récemment, c’est le physique de l’héroïne de Horizon Forbidden West, Aloy, qui a agité la twittosphère sous prétexte d’un visage trop rond et trop naturel. Bien que la polémique ait vite été tournée en ridicule via le hashtag « Hire fans », il n’empêche que le fond même de cette histoire de body shaming nous interroge sur ce à quoi ressemble une “héroïne parfaite”.
Cet article a été rédigé par Jade dans le cadre d’un partenariat avec le média Potiches. Xboxygen consacre ainsi ce mois de septembre aux questions de représentativité dans le jeu vidéo à travers une série d’articles ayant vocation à ouvrir le débat. Vous trouverez ci-dessous les autres articles sur la même thématique
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Couvrez ce 90D que je ne saurais voir
Avec l’arrivée du polygone - et donc de la 3D - dans les années 90, les personnages féminins comme masculins ont pu être encore plus détaillés. Cette avancée technologique a eu un impact direct sur les décolletés plongeants - et bondissants - des héroïnes hypersexualisées. Très vite, le 90D est devenu la norme des soutiens-gorge, et les strings et le velcro, des valeurs sûres.
Lorsque l’on regarde de plus près ce que certains character designers ont choisi comme type de vêtements pour leurs héroïnes et qu’on les compare avec les missions qui leur sont conférées, on rentre facilement dans le domaine du grotesque. Ivy dans Soulcalibur IV, par exemple, est une guerrière infatigable qui a affaire à de nombreuses armes mortelles. On s’attendrait donc à ce qu’elle porte une armure digne de ce nom et qui la protège. Mais c’était sans compter sur l’amour sans fin du designer Noriyuki Hiyama pour les lacets et les strings. Nous pourrions aussi citer Jessica Sherawat de Resident Evil : Revelations, agente du Bioterrorism Security Assessment Alliance qui ne possède que la moitié d’un pantalon. Ou encore Cammy de la série à succès Street Fighter, membre des Forces Spéciales anglaises, qui ne porte que le haut d’un justaucorps en forme de... String à nouveau.
Bayonetta, du studio Platinum Games, est un personnage plus ambivalent. Elle représente à la fois une héroïne sexuellement assumée : ses vêtements, qui l’illustrent comme une maîtresse BDSM vengeresse ; et d’un autre côté un avatar hypersexualisé sans que ce soit véritablement justifié d’un point de vue storytelling. On flirte presque avec le porno en fonction des scènes et les trois quarts du temps, ses fesses et son entre-jambe sont en premier plan.
L’empowerment qu’elle pourrait symboliser de par son habillement et ses skills assumés (l’arme de son attaque sadique sont ses longs cheveux noirs par exemple) sont ternis par une sexualisation à outrance. Ses cheveux sont ses habits, conséquence : lorsqu’elle utilise son attaque spéciale, elle est nue ; et ses poses suggestives accaparent plus l’attention qu’autre chose. Même si c’est une mise en scène franche de la part des programmeurs, il n’empêche que le public cible reste toujours celui des hommes cisgenre-hétéronormés. Puisqu’il est littéralement impossible de s’identifier à ces avatars, ils deviennent des objets à posséder, des quêtes à atteindre ou juste un fantasme.
La représentation physique de ces personnages annihile la part de personnalité, intelligence, tactique ou force de ces derniers. Communiquant auprès du joueur que ses seuls pouvoirs sont promulgués par le « quotient désir » de l’héroïne. Cela mis de côté, à quoi ressemble dans ce cas l’héroïne parfaite ?
Le syndrome Lara Croft
Elle a marqué toute une génération, son design est connu et reconnu internationalement, Lara Croft est le personnage phare des jeux vidéo Tomb Raider. Avec 12 jeux à son effigie et deux films, Lara Croft est une valeur sûre pour les vendeurs, mais aussi pour les joueurs et joueuses.
- Image Geeko - LeSoir.br
Si elle est signifiante pour de nombreux hommes, elle est aussi devenue une icône chez les gameuses. Pour les chercheuses Vannina Micheli-Rechtman et Margherita Balzerani : « [Elle] est la première héroïne de pixel dans l’histoire des jeux vidéo à présenter une personnalité complexe, riche et indépendante ». Personnage principal de la série Tomb Raider conçue en 1996, c’est une jeune archéologue qui n’hésite pas à fouiller des tombes aux quatre coins du monde, armée de ses deux pistolets Uzi et de sa queue de cheval.
Bien que son physique puisse être remis en question (elle possède tout de même des mensurations surréalistes : 90-60-90), il a évolué au fur et à mesure des années pour devenir plus réaliste. C’est également le premier personnage doué d’une carte d’identité officielle. Son background lui offre une consistance qui met en avant son caractère largement mis en évidence tout au long de la saga. Elle est aventurière, libre et intelligente. Mais ce sont également ses capacités physiques qui intéressent. Devant s’adonner à des performances acrobatiques tout-terrain afin de résoudre des énigmes, elle est agile, agressive et forte. Des valeurs considérées au sein de notre société comme masculines.
- Image New Games Plus
On retrouve ce genre de problématique avec le personnage d’Illaoi intégré au jeu en ligne League of Legends. Montagne de muscles qui invoque des tentacules depuis le sol, les joueurs ont taclé le développeur Riot Games en insinuant qu’ils avaient ajouté un nouveau personnage masculin aux arènes. Souvent, l’image de la femme forte et indépendante est copiée sur les personnages genrés masculins, violents, auxquels on a simplement ajouté des seins et des cheveux longs. Les héroïnes sont le plus souvent dépossédées de leur genre, ce qui interroge sur ce qu’est véritablement une femme forte dans les jeux vidéo. Là où des qualités que l’on calque sur le genre féminin (la douceur, l’attention, le soin) sont considérées comme “moins bien” et souvent reléguées aux sidekicks (personnages secondaires).
Bien sûr, il existe des exceptions. Dans Dragon Age : Inquisition, on trouve par exemple certains PNJ féminins comme la cheffe Cassandra Pentaghast qui, sous des allures de femme dure et guerrière, aime aussi lire des romans d’amour en cachette, ou bien l’elfe anarchiste Sera, petite et menue, qui fait des blagues graveleuses à longueur de temps. Des personnages complexes, qui ne sont pas uniquement des personnages féminins forts et violents.
Dernier exemple et non des moindres : Jade de Beyond Good & Evil. Jeune femme racisée de la planète Hillys, qui s’occupe d’orphelins de parents tués par les Domz (race extra-terrestre invasive), elle est accompagnée de son camarade mi-homme mi-cochon, Pey’j. Malgré la mission qui lui est conférée - sauver la planète de la dictature Alpha -, elle ne se résume pas à un personnage de combat. Pour subvenir à ses besoins précaires, elle s’arme d’un appareil photo - qui lui permettra également de récolter des preuves sur les coups bas politiques de son gouvernement et informer la population. Elle est humaine, courageuse, empathique et intelligente. Son statut social lui donne également une réelle crédibilité. Là où une Lara Croft n’a pas besoin de se préoccuper de l’argent pour parcourir le monde, Jade doit travailler pour survivre et mener à bien sa mission. Enfin, elle n’est pas pétrie d’un passé douloureux et violent qui justifierait sa badass-attitude, elle est cool par nature.
Là où se trouve la différence est dans le temps d’écriture et l’amour donné par les équipes de développement à leurs personnages. Aussi, le temps et notre époque ne pourra que faire son affaire pour permettre aux game designers de, peut-être, prendre un peu plus le temps de construire ses personnages féminins de manière aussi complète que ses personnages masculins.