C’est en 1997 que la série des Soul Hackers débuta, sur Sega Saturn et PlayStation. Spin-off des Shin Megami Tensei sobrement intitulé « Devil Summoner », le jeu d’Atlus ne connut guère un succès foudroyant. Et ce n’est qu’en 2003 que le titre eut droit à une sortie internationale, sur Nintendo 3DS.
Quelque 19 ans plus tard, surfant sur sa nouvelle notoriété, Atlus se décide à sortir un nouvel opus très différent de son prédécesseur. Est-il à la hauteur de la réputation que s’est forgée le studio ces dernières années ? C’est ce que nous allons découvrir immédiatement.
Donne-moi ta Soul, Baby
Loin de tenter l’exploit de nous proposer une suite directe au premier jeu après tant d’années, Atlus a pris le parti de nous proposer une aventure unique et sans lien avec le précédent opus. Un choix judicieux s’il en est, qui permettra aux néophytes de s’y retrouver dans cet univers tout en complexité (et en subtilité).
Car disons-le tout de suite : Soul Hackers 2 n’est pas un J-RPG comme les autres. Loin d’être accueillant ou accessible malgré un gameplay parfaitement rodé, il demande au joueur une réelle implication dans son scénario et son lore pour en profiter pleinement.
Le titre nous met donc dans la peau de Ringo, une entité créée par AION, sorte d’I.A. suprême. Avec sa consœur Figue, elle a pour mission de sauver deux humains. En effet, d’après ses calculs, s’ils venaient à périr cela engendrerait une série d’événements conduisant inextricablement à la fin de l’humanité tout entière. Et comme AION est interdépendante de cette dernière pour continuer à apprendre et à se développer, elle décide de quitter son simple rôle d’observatrice afin d’agir par l’intermédiaire de ses deux créations.
Si Figue échoue lamentablement dans sa mission dès la séquence d’introduction, Ringo… également. Mais celle-ci, assistant au meurtre, décide de hacker l’âme de la victime afin de la ramener à la vie. Ensemble (et avec d’autres compagnons), ils vont tenter de tout faire pour empêcher les Fantômes de mener le monde à sa perte.
Car le plan des méchants est simple : il existe sur Terre cinq personnes dont l’âme contient un Covenant. Et si les cinq sont réunis dans une seule et même enveloppe charnelle, alors l’individu deviendra une sorte de Dieu vivant.
Et c’est parti pour l’aventure. Le joyeux petit groupe va donc parcourir le monde (ou plutôt la ville) afin de retrouver les Covenants tout en essayant d’arrêter l’organisation en question.
Très clairement, nous ne sommes point ici face à un chef-d’œuvre d’écriture ni d’inventivité. Très basique dans son scénario, Soul Hackers 2 laisse un sentiment assez troublant dans ses premières heures, tant le manichéisme de son intrigue semble niais. D’un côté les gentils invocateurs qui veulent sauver le monde, de l’autre les méchants qui veulent le détruire. Pourquoi ? Parce qu’ils sont méchants, pardi !
Toutefois, au fil des heures, nous nous plaisons à découvrir toutes les subtilités adroitement glissées dans le lore : les sous-intrigues, les réflexions parfois très profondes sur le consumérisme, la technologie ou le besoin de croyances. Et nous regardons la ville évoluer, s’agrandir, tel un réseau complexe d’embranchements étriqués, croissant tel un miasme. Vivant. Bourdonnant. Battant au rythme d’événements dont la majorité des simples mortels n’ont simplement pas conscience.
Une fois encore, Atlus est parvenu avec brio à nous livrer ici une histoire riche et profonde, forte de doubles sens et de sous-entendus, en parallèle au scénario principal, pour peu que l’on décide de prendre le temps de s’y intéresser réellement. Et comme dans certaines de leurs productions, ce sont bien les protagonistes qui sont mis en avant. C’est autour d’eux que gravitent les intrigues les plus intéressantes, les idées les plus profondes, les développements les plus travaillés.
Fi donc du scénario, qui est et demeure inexorablement d’une platitude anecdotique. Ce dernier ne décolle jamais réellement, ne surprend qu’occasionnellement, et nous laisse dans un sentiment de déjà-vu teinté d’ennui. En revanche, la narration est d’une qualité rare dans ce genre de productions.
On se plaît notamment à apprécier toute la qualité de la traduction française, riche en vocabulaire peu usité, en tournures de phrase au charme désuet et d’une richesse lexicale réellement intrigante. C’est indéniablement l’un des meilleurs points du titre que nous applaudissons des deux mains. Un travail exquis et bigrement addictif, sans pour autant virer dans l’incompréhensible.
Mais tout n’est pas parfait non plus dans ce Soul Hackers 2. Si le concept de « hack » d’âmes humaines est intéressant sur le papier, il est dommageable qu’Atlus ait fait le choix de ne l’utiliser que comme un ressort scénaristique. Construite comme une enquête, l’intrigue nous mène régulièrement sur des scènes de crimes où notre héroïne pirate l’âme du mort afin d’obtenir des réponses… et le ramener à la vie. Il aurait été intéressant de nous proposer plus que les scènes présentées. Le joueur n’est en effet ici que spectateur et n’y prend jamais réellement part. C’était pourtant l’occasion de nous offrir un gameplay différent, capable de trancher avec la redondance des phases d’exploration de donjons, qui nous laissent indubitablement…
…Une impression de déjà-vu
Persona. Shin Megami Tensei. Devil Summoner. Tokyo Mirage Sessions #FE. Si ces noms vous parlent, alors attendez-vous à comprendre immédiatement où nous voulons en venir.
Cherchant visiblement à surfer sur le succès de ses dernières productions, Atlus nous livre ici un titre répétant sa formule si typique jusqu’à l’écœurement. Ne vous attendez à aucune nouveauté, à aucune originalité de gameplay, à aucune mécanique novatrice. La base du jeu demeure identique à toutes les autres et seul l’habillage change.
Ainsi retrouvons-nous l’ensemble des compétences déjà bien connues des habitués, la même progression dans des donjons labyrinthiques, les mêmes séries de quêtes annexes insipides nous forçant à de multiples allers-retours dans les mêmes environnements, les mêmes enchaînements de combats… Tout le déroulé du jeu semble avoir simplement été « inspiré » (ou plutôt aspiré) des autres productions.
S’il n’est pas négatif en soi, compte tenu de la qualité desdites œuvres, force est de constater que le joueur habitué à ces dernières s’en retrouve immédiatement contrit et, face aux écueils habituels, sans le moindre petit espoir de trouver une quelconque amélioration. Nous trouvions horrible le donjon infini de Tokyo Mirage ? Ici, il arrive en moins de 3h de jeu. Nous aimions les fusions de démons de Persona 5 ? Comptons-en 4. Tout ce que nous avons connu par le passé est, sans la moindre exception ni amélioration notable, présent dans ce Soul Hackers 2.
Que ce soit en termes de mécaniques de combat, d’améliorations d’armes, de boutiques, de liens sociaux ou d’évolution, rien de neuf n’est à relever. Les amateurs en seront ravis. Mais pour les autres (ou ceux qui n’ont connu qu’un ou deux jeux de la firme), le sentiment de lassitude arrive malheureusement rapidement. Car où est le plaisir de la découverte, si nous savons pertinemment qu’après tel donjon nous sera proposée telle fonctionnalité ? Inutile de chercher, d’espérer, ni d’attendre le frisson de la nouveauté. Il est tout simplement aux abonnés absents.
Alors certes, le fan assidu pourra nous opposer quelques menus détails. Oui, il y a quelques améliorations ténues sur la manière de faire évoluer son équipement, sur l’utilisation des compétences liées aux Démons, sur le système de combat. Mais nous en sommes réduits, pour y voir réellement des changements, à jouer au jeu des sept différences.
Et ces griefs auraient pu être acceptables sans sourciller… si Atlus ne nous avait pas, par le passé, gratifiés d’autres expériences. Par exemple, un Dungeon Crawler en vue FPS. Sorti en 97 sur Saturn et PlayStation, puis en 2003 sur 3DS. Un certain Devil Summoner : Soul Hackers.
Car non content de singer totalement les dernières productions du studio, Soul Hackers 2 en oublie ses origines, au point où il devient très difficile d’établir le moindre lien avec le premier. Tout y est radicalement opposé, comme si les deux titres ne faisaient tout simplement pas partie de la même série.
À force de vouloir à tout prix reproduire ses anciens succès, le connaisseur remarquera forcément les similitudes… et sera contraint de les comparer, ce qui dessert fortement ce Soul Hackers 2.
Très loin de l’ambiance J-Pop décomplexée de Tokyo Mirage Sessions #FE, moins ésotérique qu’un Shin Megami Tensei et, malheureusement, bien moins réussi qu’un Persona 5 ; il nous laisse continuellement ce goût amer en bouche de copie bas de gamme, malgré des qualités indéniables.
Cyber(pas)punk
Soul Hackers 2 tente le pari de nous proposer un jeu original, dans un Japon « cyberpunk » haut en couleur et dangereux. Graphiquement, nous retrouvons une esthétique tout à fait convenable (et même très plaisante) baignant dans un cell shading du plus bel effet. La ville est agréable à parcourir, forte de ses lieux emblématiques à la direction artistique et à l’ambiance soignées.
Les différents donjons, eux, oscillent entre urbanisme post-moderne (avec un port, des sous-sols de métro désaffectés, des usines) et rêveries technologiques (avec l’Axis en tête). Pourtant, tous parviennent parfaitement à se forger une ambiance unique, forte de décors chamarrés, de néons violets et d’éléments originaux qui surprennent le joueur attentif.
Nous regretterons sans doute quelques textures réutilisées maladroitement au sein d’un même niveau, ou cette construction systématiquement labyrinthique, si chère aux jeux d’Atlus mais tout sauf naturelle.
- L’esthétique est très synthwave
En revanche, et peut-être allons-nous nous montrer un tantinet tatillons, mais… il est où, le Punk ? Le cyber, lui, est bel et bien présent. Mais dans Cyberpunk… il y a « Punk ».
Et si le genre ne s’est jamais réellement démocratisé auprès du grand public, il n’en demeure pas moins existant, fort de ses codes et de ses mécaniques spécifiques. Censé dépeindre un monde violent et pessimiste, désabusé et lugubre, souvent ironique et grinçant, il est avant tout un univers où « le dingue d’informatique et le rocker se rejoignent, d’un bouillon de culture où les tortillements des chaînes génétiques s’imbriquent », comme le décrivait si justement l’auteur américain Bruce Sterling (l’un des grands noms du genre et auteur de la toute première anthologie cyberpunk).
Mais rien de tout cela n’est présent dans Soul Hackers 2. Au mieux pouvons-nous lui trouver une esthétique vaguement 80’s, plus inspirée de la synthwave que réellement du cyberpunk… voire de la science-fiction paraphrénique de Philip K. Dick (que le jeu cite allègrement à plusieurs reprises).
Attention toutefois, nous ne disons pas que le résultat est mauvais. Loin s’en faut. L’esthétique globale du titre est réellement plaisante, que ce soit dans le design des protagonistes ou dans les idées très inspirées des différents lieux à découvrir. Nous critiquons plus ici la communication du studio qui insiste beaucoup sur le côté « cyberpunk » de son titre… sans visiblement comprendre de quoi il en retourne.
Des problèmes petits, mais costauds
Une fois n’est pas coutume, les développeurs ont choisi d’essayer au maximum de coller à l’ambiance sombre qu’ils ont voulu donner au titre. Ainsi, l’interface est imposée en écriture blanche sur fond noir. Si ce mode nuit prétend réduire la fatigue oculaire, il n’en demeure pas moins une gêne pour une partie du public et proposer une alternative aurait été un plus non négligeable (à l’instar d’autres options d’accessibilité, d’ailleurs).
Nous passerons rapidement sur les quelques bugs présents : des textes qui refusent de s’afficher, des ennemis qui apparaissent directement sur nous lors des explorations, ou encore quelques PNJ de quête non indiqués. Ces derniers se comptent sur les doigts d’une main et seront sans doute rapidement corrigés.
- Les bugs sont rares
En revanche, c’est du côté des choix de gameplay que le bât blesse le plus. La gestion de la carte de la ville est un désastre aussi total qu’incompréhensible, surtout vu le passif et l’expérience du studio. Lorsque nous visitons un quartier, nous pouvons à tout moment le quitter via la touche « menu ». Ce faisant, nous arrivons sur la carte. Le problème, c’est qu’il n’y a aucun moyen de quitter cet écran sans choisir une destination. Aucune annulation n’est possible, nous contraignant, en cas d’erreur, à revenir à l’entrée de la zone en question… pour mieux refaire le chemin.
Dans les donjons, ce n’est guère mieux. Pour éviter toute fuite impromptue de ces derniers, Atlus a fait le choix de désactiver la carte. Fort bien… mais pourquoi donner à l’héroïne un sort de téléportation pour afficher cette même carte dans la première heure de jeu, tout en sachant que ce dernier ne coûte pratiquement rien à lancer (1 PM) ? L’incompréhension est telle que nous nous demandons si une fois en phase de test, les équipes ne se sont pas rendu compte de leur erreur. Incapables de la corriger, ils auraient alors décidé d’ajouter à la hâte ce sort.
Nous passerons également sur le design global des ennemis qui, s’ils apparaissent toujours dans la zone, ont cet aspect unique et coloré que nous retrouvons dans Tokyo Mirage Sessions #FE : les rouges sont des ennemis normaux, les noirs d’un niveau supérieur et les dorés des monstres spéciaux octroyant des bonus. Mais il est assez surprenant de ne pas avoir un visuel plus « concret » de nos adversaires. Ces derniers ne sont que des ombres génériques et, si ce choix était acceptable sur Wii U, il l’est bien moins sur des consoles de dernière génération. Même sur Switch, dans Shin Megami Tensei V, nous avons droit à l’aspect réel des démons dans les donjons.
Le corollaire est simple à comprendre : lorsque nous accepterons certaines quêtes, nous serons contraints d’enclencher la bataille avant de savoir de quel ennemi il s’agit. Un choix certes artistique et donc difficilement critiquable, mais dommageable pour le joueur dans le feu de l’action.
Testé sur Xbox One X.