Ina Gelbert - directrice Xbox France : « Sortir des clichés et des stéréotypes »

«Interview» le 30 septembre 2021 @ 18:302023-11-13T13:21:51+01:00" - 0 réaction(s)

Elle dirige Xbox France, elle est une pointure de l’industrie du jeu vidéo : Ina Gelbert est une femme au parcours improbable, bien loin de l’image de l’entrepreneuse parfaite que l’on imagine. À 41 ans, elle est plus sûre que jamais de qui elle est : une femme forte.

Cette interview a été réalisée par Jade dans le cadre d’un partenariat avec le média Potiches. Xboxygen consacre ainsi ce mois de septembre aux questions de représentativité dans le jeu vidéo à travers une série d’articles ayant vocation à ouvrir le débat. Vous trouverez ci-dessous les autres articles sur la même thématique

« J’ai eu l’impression d’être résumée à ce mot : « une femme » ». Ina Gelbert se souvient encore des articles, à son arrivée à la tête de Xbox France en 2019 : la presse spécialisée n’en revenait pas de voir une représentante « du sexe faible » à la tête de la surcussale d’une boîte internationale qui devrait peser 15 milliards de dollars en 2021. Elle est alors entrée dans la catégorie des responsables à haut poste qu’on anonymise. Elle déplore notamment que « c’est ce qui a marqué médiatiquement ma prise de poste. On ne parlait pas de mes compétences et de ce que j’avais fait avant. » Elle a cependant conscience que ce rôle lui permet d’incarner un modèle pour les petites filles de son époque. Si elle a « mis du temps à l’intégrer », c’est une place qu’elle assume pleinement aujourd’hui. Elle n’oublie cependant pas de souligner le manque évident d’autres représentations dans le milieu du jeu vidéo : « On a encore besoin de femmes dans le milieu ou, plus globalement, dans le high-tech. »

Le chemin est encore long, elle-même a dû faire face à des remarques sur son genre : « Alors que je rentrais dans le management, on m’a interrogé sur la possibilité que ce soit compatible avec ma vie de famille. Mais est-ce que ce genre de réflexion, tu la ferais à un homme ? Non. » Des réactions qui l’ont questionnée sur la place des femmes dans la société mais qui l’ont aussi pas mal énervée. Elle souligne avoir été tout de même « largement épargnée » chez Xbox. Ce qui reste important pour elle, c’est la nécessité de « sortir des clichés et des stéréotypes ».

Un chemin tout sauf linéaire

Son parcours est cabossé, mais elle l’aime comme ça. Fille de parents immigrés, arrivés en France après avoir fui la guerre civile - elle ne nous dira pas de quel pays -, elle grandit en Seine-Saint-Denis, entourée de ses trois sœurs. Durant cette enfance « enrichissante » mais bien loin des fastes de la capitale, sa famille est soudée et ses parents travaillent d’arrache-pied tous les deux afin que leurs filles ne manquent de rien. Un bac S plus tard (même si elle aurait préféré faire ES), elle finira par faire des études d’hôtellerie pour finalement se rendre compte à 20 ans que ce n’est peut-être pas ce qu’elle veut faire de sa vie. La jeune femme rêve de commerce et de marketing. Elle passe alors par « la petite porte de l’ESSEC » et intègre l’école de commerce de Cergy-Pontoise en apprentissage pendant deux ans. Une bosseuse infatigable qui, en plus de ses études, devait également travailler à côté pour pouvoir se payer cette « super école ».

Son diplôme en poche, elle intègre l’industrie de l’agroalimentaire et passe par Mars puis Unilever. Mais 9 ans plus tard, nouveau virage. Décidément, ce n’est toujours pas ça qu’elle veut faire. Amoureuse de la tech depuis toujours, elle admire l’entreprise Microsoft de loin. Elle finit par rejoindre la multinationale en 2012 en démarrant comme gestionnaire de compte-clé pour ensuite gravir les échelons jusqu’au poste de directrice.

La légitimité d’être

Chez les femmes, le syndrome de l’imposteur - sentiment qui mêle manque de confiance en soi et anxiété poussant certaines personnes à douter de leurs propres réussite et mérite - est multiplié par trois par des stéréotypes ancrés depuis l’enfance et véhiculés par la société. Bien qu’Ina Gelbert travaille chez Microsoft depuis 10 ans, le doute a fait partie de sa nomination. « Je me suis dit : « Mais en fait, j’ai pas les compétences, ils ne se rendent pas compte », se rappelle la jeune quarantenaire, si j’avais pris conscience de ce syndrome avant, j’aurais peut-être pris ce poste en étant un peu plus sereine. »

Car il y a la peur de ne pas être à la hauteur, mais aussi la crainte d’avoir été nommée pour rentrer dans les chiffres de l’égalité des genres. Une spécificité amplifiée par le manque de modèle dans l’industrie selon elle : « S’il y avait eu plus de femmes dans le milieu à mon époque, j’aurais sans doute perdu moins de temps à douter de ma place en tant que femme. » Ce ressenti n’aura pas duré longtemps, son arrivée est restée très bien perçue par la communauté et sa direction « était bienveillante et [son] équipe extraordinaire ». Cette expérience la pousse d’ailleurs à participer à des ateliers sur le syndrome de l’imposteur afin de témoigner et d’informer sur le sujet.

La touche Ina

Ina Gelbert lors d’une émission Xbox

Cette passionnée de Xbox ne s’est pourtant pas laissée engouffrer dans ses obligations salariales. Touchée par les vagues de harcèlement en ligne contre les streameuses du milieu du jeu vidéo, elle n’a pas hésité à relayer leurs histoires, notamment celle de Manon. « Je trouve ça génial qu’elle ait parlé. Même si elle sait ce qu’elle va avoir comme retours, son courage a permis d’ouvrir la voie à d’autres témoignages. » Des dérives qu’à son échelle, la société essaye de limiter : filtres de mots sur le chat de la plateforme Xbox, contrôle parental… « L’important, c’est d’éveiller les consciences sur l’impact que les harceleurs peuvent avoir sur les victimes », conclut-elle.

Si elle assume être féministe, Ina n’en reste pas moins préoccupée par d’autres sujets. Elle a à cœur d’avoir un véritable impact au niveau local (entendre ici en France). Par le biais de partenariats et d’initiatives en tous genres, c’est l’environnement qui importe aussi particulièrement à la directrice. « On essaye de vraiment montrer l’exemple chez Xbox, on vise la neutralité carbone d’ici 2030 et on a un fonds d’investissement d’un milliard pour les nouvelles technologies dans le développement durable. » Plus personnellement, elle a essayé d’instaurer un stand axé sur le développement durable lors de la dernière Paris Games Week. Une initiative compliquée selon elle, mais qui ouvre la porte à d’autres possibilités pour les prochaines années.

Bien sûr, malgré la multiplicité de ses tâches et convictions, la dirigeante n’en reste pas moins une joueuse, mais pas de la première heure. C’est à 20 ans, alors qu’elle vit en colocation, qu’elle prend entre ses mains sa première manette. Aujourd’hui, elle a fait des jeux vidéos son travail, mais elle joue aussi chez elle, dans son salon, entourée de ses enfants. « C’est un partage familial chez moi. On rit et on sursaute devant Hello Neighbor, Rocket League passe aussi parfois par là. » Elle n’avouera pas quel est son jeu préféré, mais c’est Psychonauts 2 qui se lance en ce moment sur sa Xbox Series S.

Si Ina Gelbert n’a pas l’habitude de parler d’elle, elle est pourtant plus assurée que jamais : « J’arrive à une étape de ma vie, en tant que femme, où je me dis que les choses que je n’assumais pas parce que je m’étais formée une sorte de « carapace », représentent aujourd’hui qui je suis, ce que j’ai vécu et d’où je viens ».

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