La composition dans le jeu vidéo : bonne élève de la parité ?

«» le 22 septembre 2021 @ 18:292023-11-13T13:21:45+01:00" - 0 réaction(s)

L’industrie vidéoludique est jeune et immature sur bien des points. Elle est aussi sclérosée par des comportements sexistes dans les équipes de travail ou dans les bureaux des décideurs, chose que le mouvement Me Too et le Gamergate ont permis de mettre sous les projecteurs. Pour autant, il y a un domaine spécifique dans lequel les femmes occupent une place offrant de la reconnaissance par les pairs, c’est la composition.

En se penchant d’abord sur le milieu du cinéma afin d’avoir une vue d’ensemble de la répartition actuelle des femmes à la composition, on creusera quelque peu dans le monde du jeu vidéo afin de creuser l’hypothèse que les compositrices y sont bien représentées dans les crédits comme dans les palmarès.

Cet article a été rédigé par Eboux dans le cadre d’un partenariat avec le média Potiches. Xboxygen consacre ainsi ce mois de septembre aux questions de représentativité dans le jeu vidéo à travers une série d’articles ayant vocation à ouvrir le débat. Vous trouverez ci-dessous les autres articles sur la même thématique

Où sont les compositrices ?

Alors que le grand public est facilement capable de citer bon nombre de compositeurs de musique de films, de James Horner à Ennio Morricone en passant par Hans Zimmer, il est difficile de trouver une compositrice un minimum reconnue.

Les rares prix récompensant la composition de musiques de films ont une influence capitale sur la perception du métier de compositeur.trice, pour le grand public comme pour le milieu professionnel.
Extrait de la lettre ouverte adressée à l’UCMF

C’est dans l’indignation du constat qu’une seule femme était présente dans la liste des 28 nommées en 2020 aux prix de l’UCMF (Union des Compositeurs de Musiques de Films) que le grondement d’un groupe de femmes s’est fait entendre dans une lettre ouverte. Même si elles sont bien présentes dans le milieu télévisuel, les femmes sont peu représentées au cinéma et dans les palmarès. On en retrouve donc peu dans les nominations des divers prix du milieu.

Eímear Noone, la première conductrice d’orchestre de la cérémonie des Oscars en 2020

Fait notable, cette même année, Eímear Noone est la première femme à conduire l’orchestre de l’académie des Oscars lors de sa 92e édition. On retrouve d’ailleurs son nom à la conduite des orchestres de nombreux jeux Blizzard comme World of Warcraft et son extension Warlords of Draenor, Starcraft II Wings of Liberty ou encore Diablo III, Hearthstone et Overwatch. Ce fait est d’autant plus notable que les cheffes d’orchestre sont rares. Elles représentent seulement 4 % de la profession en France selon la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques.

(contre 6 % à l’échelle mondiale) et une seule est à la tête d’un des trente grands orchestres permanents, celui d’Avignon. Et encore, elle est en poste depuis septembre 2020. Pourtant, la parité est plus qu’atteinte dans les conservatoires où deux tiers des élèves sont des femmes.

Toujours en 2020, Hildur Guðnadóttir est couronnée d’un Oscar, d’un Golden Globe, d’un BAFTA et d’un BFCA Awards pour son travail sur Joker, la même année où est souligné la force du travail sonore de la série Tchernobyl, sur laquelle elle a travaillé aussi.

Hildur Guðnadóttir repartant avec l’Oscar pour l’OST de Joker

Ces considérations ne sont pas si récentes. En 2014, outre-Atlantique, est créée l’AWFC - pour Alliance for Women Film Composers - qui compte environ 550 membres actifs. Le but de cette alliance est d’accroître la visibilité des compositrices pour leur offrir plus d’opportunités. Il a fallu six années ensuite pour que la compositrice islandaise Hildur Guðnadóttir reparte avec un Oscar. En 2020, les femmes représentent entre 6 et 8 % des personnes créditées au générique d’un film à travers le monde, et bien souvent elles le sont en tant qu’interprètes. Ce constat est triste pour le monde du cinéma et pour ces femmes qui restent dans l’ombre.

L’industrie vidéoludique, une terre d’accueil ?

Dans l’industrie du jeu vidéo, le constat est moins mitigé. Les compositrices ont pu régaler les joueurs du fruit de leur travail depuis fort longtemps. Sans aller jusqu’à dire qu’elles sont traitées sur un pied d’égalité avec leurs confrères (il faudrait une enquête plus poussée pour cela), elles disposent tout de même d’une place de choix qui montre une ouverture d’esprit plus large dans notre industrie que dans le cinéma. Certes, il serait difficile pour le grand public de citer des noms comme pour les compositeurs du grand écran, mais rendons un peu à ces dames ce qui leur revient de droit.

Kumi Yamaga, Manami Matsumae, Tamayo Kawamoto, Harumi Fujita et Junko Tamiya, la team Capcom

Dans une série de tweets datant de 2017, le journaliste Mark Brown de la chaîne youtube Game Maker‘s Toolkit mettait en avant le travail de ces femmes officiant chez Capcom dans les années 80. Elles constituaient l’équipe son de la firme ayant œuvré au sound design et à la composition sur quelques-uns des plus grands hits de l’époque, de Megaman à Ghosts’n Goblins.

Les firmes japonaises donnent le La

Yōko Shimomura en live pour l’OST de Final Fantasy XV

Il est possible que la relative jeunesse du média ait aidé les femmes à s’y intégrer. Le cas Capcom n’est en tout cas pas une exception au Japon. On peut en effet citer d’autres noms, comme Michiru Yamane connue pour son travail chez Konami principalement sur la licence Castlevania - une licence majeure et très vendeuse de la firme - y compris sur son plus célèbre épisode Symphony of the Night. D’autres compositrices ont des CV dignes d’admiration. C’est par exemple le cas de Yōko Shimomura, notamment associée aux séries Kingdom Hearts et Mana (Legends et Heroes), et qui a aussi composé la bande-son de Final Fantasy XV.

Manaka Kataoka, rare image d’elle visible sur certains sites spécialisés

La relève se met en place doucement parmi les grands jeux issus du monde japonais. Récemment, du côté de chez Nintendo, Manaka Kataoka a eu la lourde tâche de travailler sur The Legend of Zelda : Breath of the Wild après son travail sur Wii Fit et les épisodes Wii et 3DS d’Animal Crossing. Sans trop s’avancer, on peut donc admettre que la place des femmes est bien acquise dans de grandes compagnies nippones et il ne fait nul doute que cela sera le cas encore longtemps.

L’occident emboîte le pas

En occident, on dénombre moins facilement des talents ayant travaillé sur de nombreux jeux. L’attrait pour la musique de jeux y est plus récent, aussi met-on peut-être moins en avant les compositrices. Cependant, on constate qu’un bon nombre d’entre elles ont su trouver au fil du temps leur place dans un univers très masculin dans l’esprit du public.

Il n’est pas non plus question ici de faire une liste exhaustive des compositrices, mais bien de mettre en avant que sur des projets occidentaux, on peut trouver des femmes associées autant à de grandes licences qu’à des projets moins ambitieux ayant une grande renommée, que celles-ci peuvent même gagner des prix, et que l’exception vidéoludique ne vient pas que du pays des otakus.

Winifred Philips dans son studio de travail

Winifred Phillips, par exemple, était une compositrice et productrice de drama radiophonique avant de se retrouver en charge de composer pour God of War, jeu particulièrement typé masculin de par le côté violent de son personnage principal. En seize années, elle a pu œuvrer régulièrement dans le milieu et cumuler des prix pour le fruit de son travail sur certains jeux.

Sarah Schachner durant un Game Makers Podcast sur AC Valhalla

Plus récemment, Call of Duty Infinite Warfare - épisode d’une licence tout aussi pointée du doigt pour sa virilité affichée à outrance - se voit trouver en 2016 son ambiance sonore sous la composition de Sarah Schachner, qui récidive en 2019 pour Modern Warfare. Elle a auparavant fait ses preuves en co-composant pour Assassin’s Creed Unity, licence qu’elle retrouve plus tard avec les épisodes Origins puis Valhalla au côté d’une pointure en la personne de Jesper Kyd, le compositeur des premiers Assassin’s Creed. Son nom est aussi visible au générique de Anthem, jeu dont l’ambition ne manquait pas et qui devait se vendre à des millions d’exemplaires.

Lena Raine, telle qu’on peut la voir sur son profil Spotify

En regardant du côté du jeu vidéo indépendant, on peut même trouver des personnalités qui ont su se faire une place grâce au bouche à oreille sur les réseaux sociaux autant que dans la presse spécialisée. On pense à Lena Raine ayant été mise sous les projecteurs grâce à l’excellente soundtrack de Celeste pour laquelle elle remporte un BAFTA Games Award en 2019. Depuis, sa renommée est faite et on espère la voir œuvrer pour de plus gros projets même si elle semble s’épanouir sur la scène indé notamment avec le récent et très charmant Chicory après des participations à Minecraft et Sackboy : A big adventure.

Faire du name dropping et des listes non exhaustives ne donnera jamais totalement corps à une hypothèse. Il est évident que sur le nombre impressionnant de jeux sortants tous les jours sur toutes les plateformes, on ne trouve pas en parfaite égalité la représentation des sexes à des rôles de composition. On tenait tout de même à mettre en avant que même s’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que tout un chacun puisse citer un nom de compositrice à succès, le poids actuel de l’industrie de jeu vidéo pourrait aider des talents à se retrouver à la tête de gros projets pour ainsi faire bouger les choses dans tous les milieux.

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