Un événement tel que l’annonce de rachat d’Activision Blizzard par Microsoft pour 68,7 milliards de dollars n’est pas anodin. Ce nouvel épisode a des répercussions directes chez Xbox, mais également sur l’ensemble du secteur du jeu vidéo. Quelles perspectives ce rachat peut-il donner à l’industrie toute entière ? Quels pourraient être les points positifs et les réserves liés à cette énorme annonce ? Nous faisons le point.
Un environnement de travail potentiellement meilleur pour les employés
Après avoir couvert les affaires de harcèlement chez Activision depuis des mois sur Xboxygen, la première chose à laquelle on pense avec ce rachat, ce sont les incidences que cela pourrait avoir pour les employés d’Activision.
Bobby Kotick sur le départ, une épine (dorée) en moins pour Activision
En haut de la pyramide d’Activision Blizzard trône Bobby Kotick, PDG du groupe depuis plusieurs dizaines d’années. C’est grâce à lui que la franchise Call of Duty est devenue si importante aujourd’hui, et c’est bien lui qui a fait grandir la société au fil des années jusqu’à sa valorisation à presque 70 milliards d’euros aujourd’hui. Les actionnaires le savent, et on peut reconnaître que la réussite du groupe lui est due en grande partie.
Pourtant, Activision Blizzard est empêtré depuis un an dans des affaires de harcèlement qui sont aujourd’hui entre les mains de la justice américaine. On ne parle pas juste d’une main aux fesses, mais aussi de propos insultants, menaces, viols et suicide. En novembre dernier, on découvrait que Bobby Kotick était au courant de tout cela, et un groupe de salariés réclame sa démission depuis maintenant plusieurs mois.
Selon toute vraisemblance, Bobby Kotick va quitter le groupe dès que le rachat sera finalisé, ce qui devrait avoir lieu l’année prochaine. Microsoft et Bobby Kotick auraient ainsi trouvé un accord permettant au PDG de sortir par la petite porte sans ternir son image davantage. D’un point de vue purement stratégique, son départ serait ainsi vu comme un passage de relai logique, et non pas comme un départ forcé et contraint par la situation difficilement tenable.
Cette issue de secours qui lui est offerte par Microsoft ne semble d’ailleurs pas vue d’un bon œil de la part des employés d’Activision Blizzard qui réclamaient son départ immédiat, selon le journaliste Jason Schreier. S’il revend ses actions, Bobby Kotick partira avec la modeste somme de 350 millions de dollars.
Quel avenir pour le mouvement syndicaliste chez Activision Blizzard ?
Le départ l’année prochaine de Bobby Kotick reste in fine une bonne nouvelle pour les salariés qui réclamaient son départ au plus vite. Non seulement le management va changer, mais ce n’est pas n’importe qui qui prendra le relai, il s’agit de Microsoft, dont le travail autour de l’inclusion ne fait plus débat depuis des années.
Les salariés d’Activision Blizzard peuvent donc être rassurés d’être repris en main par Microsoft et Xbox, avec Phil Spencer désormais à la tête de Microsoft Gaming. Pourtant, le mouvement initié par le collectif A Better Activision-Blizzard-King (ABetterABK) ne devrait pas s’arrêter, et les employés sont bien déterminés à continuer de faire valoir leurs droits et à s’organiser, selon Jason Schreier qui a pu échanger avec certains d’entre eux.
Le secteur du jeu vidéo est encore peu mature sur les questions de syndicalisme, et on ne peut qu’espérer que Microsoft y accordera du crédit et tendra l’oreille. Pour l’instant, rien ne semble encore acquis, mais on imagine que le dialogue sera plus ouvert qu’il ne l’a été par le passé.
De nouvelles licences à (bien) exploiter pour Xbox
Lorsqu’on pense à Activision Blizzard, certains ont immédiatement en tête l’âge d’or des Call of Duty, et d’autres se rappellent leurs parties sur StarCraft. Le groupe dispose en effet de quelques-unes des plus grosses franchises du jeu vidéo aujourd’hui, et il s’agit là d’une opportunité énorme pour Microsoft et Xbox.
Un portfolio de choix pour Xbox
Nous avons déjà publié la liste des licences de jeu vidéo possédées par Activision Blizzard, et on se rend compte que beaucoup d’entre elles dorment plus ou moins au fond d’un placard aujourd’hui. Guitar Hero, Geometry Wars ou True Crime n’en sont que quelques-unes et vous êtes beaucoup à souhaiter le retour d’une diversité de catalogue chez Activision.
Sur notre sondage, vous êtes aussi nombreux à demander ce qu’il adviendra des franchises Diablo, de l’abonnement à World of Warcraft ou de Battle.net. Pour l’instant, ces questions ne sont évidemment pas tranchées tant que le rachat n’est pas effectif, mais les équipes Xbox y travaillent déjà assurément. Il est peu probable que l’abonnement à WOW soit stoppé ou modifié complètement puisque c’est un process qui tourne « bien » depuis longtemps, mais il y aura certainement des synergies à trouver dans l’écosystème Xbox et Microsoft, ne serait-ce qu’entre les équipes du Store Xbox et celles de Battle.net.
Une chose est sûre, Xbox dispose désormais de monuments du jeu vidéo avec Diablo, StarCraft, Warcraft, World of Warcraft, Candy Crush, Guitar Hero, Overwatch et autres Crash Bandicoot.
On note d’ailleurs que certaines de ces franchises visent particulièrement un public familial, que cherche à atteindre Microsoft depuis déjà un bon moment. Avec King (Candy Crush), Xbox va aussi toucher un public mobile qu’il n’a jamais su gagner réellement jusqu’à présent, en témoignent les fermetures prématurées de Gears POP ! et de Forza Street.
Gardons aussi en tête que même avec l’acquisition de King, le segment mobile de Microsoft peinera encore à trouver ses clients en Asie, un territoire largement occupé par son grand rival Tencent. C’est d’ailleurs un certain TiMi Studios (studio appartenant à Tencent) qui a développé Call of Duty : Mobile pour le marché Asiatique. Le jeu est devenu le quatrième jeu mobile le plus rentable en Chine avec 14 millions de dollars de revenus pendant sa seule semaine de lancement.
La balle sera finalement dans le camp de Xbox pour bien utiliser chacune de ces nouvelles licences dans son portfolio. Même si Xbox semble avoir appris des ses erreurs passées, tout n’est pas gagné pour autant lorsqu’on se souvient des fermetures de Lionhead (Fable), de l’annonce prématurée de Scalebound ou encore de certaines franchises qui dorment également au fond d’un tiroir chez Xbox (coucou Banjo).
Plus de studios pour davantage de collaborations
Avec plus de 10 000 employés dans le monde, Activision Blizzard dispose également de talents créatifs certains. Et si beaucoup de ses studios travaillent aujourd’hui sur la franchise Call of Duty avec le roulement annuel que l’on connaît, Microsoft peut aussi y trouver de belles perspectives de synergies.
Imaginez un Banjo Kazooie développé par Toys For Bob. Ou ce que pourraient apporter les équipes dédiées à StarCraft à une franchise telle que Age of Empires. Ou même celles des Call of Duty dans l’univers des FPS chez Xbox. Les associations pourraient être nombreuses entre les deux géants. La capacité d’Activision Blizzard a créer des moteurs de jeux solides et efficaces (Call of Duty en tête) sera également appréciée des équipes de Xbox, mais aussi de celles de Bethesda qui sont également à la pointe en la matière.
Nous l’avons vu récemment, lorsque Microsoft rachète un studio, c’est pour lui donner davantage de poids et de moyens. C’est ainsi que Playground Games, habitué à développer les jeux Forza Horizon, a pu créer une seconde équipe pour développer Fable. Il y a donc de fortes chances que les studios Activision puissent s’émanciper également à moyen terme. Cela ne se fera pas en un claquement de doigt, mais l’opportunité de diversifier le catalogue Xbox est vue comme une bonne nouvelle, selon ce que vous nous dites dans le sondage.
Quid des exclusivités Xbox et du Xbox Game Pass ?
La question qui nous a été remontée de nombreuses fois, c’est de savoir si les jeux Activision Blizzard vont être exclusifs à Xbox. Comme nous l’avons indiqué lors de l’annonce, ce n’est pas encore complètement tranché, et tout porte à croire que l’on se dirige vers un entre-deux.
Les jeux d’Activision Blizzard existent aujourd’hui sur diverses plateformes, et nous prévoyons de continuer à soutenir ces communautés à l’avenir. L’acquisition vise à accroître la disponibilité du contenu d’Activision Blizzard sur un plus grand nombre de plates-formes, y compris les mobiles.
C’est conforme à l’engagement de Microsoft qui vise à donner aux joueurs plus de choix pour jouer aux jeux qu’ils veulent, de n’importe où.
On ne peut pas aujourd’hui prédire que Call of Duty 2023 sera une exclusivité Xbox. Et si tel était le cas, il s’agirait d’un coup dur pour Sony quand on sait que la licence occupe les deux premières places des jeux les plus vendus sur PlayStation en 2021. Seul l’avenir nous dira quelle stratégie adoptera Xbox, mais on peut dès aujourd’hui citer deux cas différents au sein de la branche gaming de Microsoft.
Quand Microsoft a racheté Mojang pour 2,5 milliards de dollars en 2014, ce n’était pas pour empêcher Minecraft d’être joué sur les plateformes de Nintendo ou PlayStation. Aujourd’hui, la franchise se porte très bien, et rapporte des millions de dollars à Microsoft en étant accessible partout. A contrario, la nouvelle franchise de Bethesda, Starfield, sera une exclusivité Xbox et PC. Pour l’instant, il semblerait donc que Microsoft cherche à garder pour lui les vraies nouveautés, et à laisser les jeux historiques tourner là où ils se trouvent depuis longtemps.
On imagine mal Warzone Caldera être retiré de PlayStation et priver Microsoft de toutes les microtransactions et des millions de dollars de revenus qu’elles représentent. Par contre, il paraît plus probable qu’une campagne Call of Duty devienne exclusive à l’écosystème Xbox, au moins pendant une certaine durée. Cela permettrait à Microsoft d’attirer toujours plus d’abonnés sur son service Xbox Game Pass, tout en laissant les différentes communautés s’affronter en multijoueur.
Une chose est sûre, c’est que les jeux Activision Blizzard ont bien vocation à arriver dans le Game Pass aussi vite que possible. Quand ? Cela reste une question épineuse, mais la communication de Microsoft semble indiquer que ça ne sera pas avant la clôture du deal, qui doit avoir lieu au cours de l’année fiscale 2023 de Microsoft, qui s’achève le 30 juin 2023.
Dès la clôture, nous proposerons autant de jeux Activision Blizzard que possible dans le Xbox Game Pass et le PC Game Pass, qu’il s’agisse de nouveaux titres ou de jeux issus de l’incroyable catalogue d’Activision Blizzard. Nous avons également annoncé aujourd’hui que le Game Pass compte désormais plus de 25 millions d’abonnés. Comme toujours, nous sommes impatients de continuer à ajouter plus de valeur et plus de grands jeux au Game Pass.
Toujours plus de concurrence dans le jeu vidéo, mais aussi de consolidation
L’industrie du jeu vidéo est plus importante que jamais. Le nombre de joueurs et de joueuses est en croissance, les recettes générées sont également en hausse, et le secteur tout entier connaît ses heures de gloires. Si nous pensons à Nintendo ou Sony avec nos yeux d’occidentaux biberonnés aux pubs TV, Microsoft vise pourtant bien plus haut.
Google, Amazon et Tencent en ligne de mire, et une consolidation du secteur qui inquiète
Sony et Nintendo sont évidemment des concurrents du secteur pour Xbox. C’est d’ailleurs la PlayStation 2 qui a inquiété Microsoft à l’époque et qui a fait prendre conscience aux équipes de Microsoft qu’il fallait également créer une console de jeu vidéo à installer dans tous les foyers.
Mais aujourd’hui, le paysage a changé, et le gaming n’est plus vu comme un loisir de quelques geeks. Avec trois milliards de joueurs et de joueuses dans le monde, c’est un marché juteux qui dépasse ceux du cinéma et de la musique réunis, même s’il peine encore à faire parler de lui dans les médias mainstream. Pour Microsoft, Sony et Nintendo sont des concurrents sur le secteur des consoles, mais ce sont bien Amazon, Google ou encore Apple qui concurrencent le cœur de son business. Le jeu vidéo est l’une des manières pour Microsoft de garder du terrain, voire d’en gagner.
La communication de Microsoft lors de l’annonce du rachat est claire : « Lorsque la transaction sera conclue, Microsoft deviendra la troisième plus grande société de jeux au monde en termes de chiffre d’affaires, derrière Tencent et Sony. » Avec les nombreux rachats déjà arrivés en 2021, la consolidation du jeu vidéo n’est pourtant pas une très bonne nouvelle si l’on souhaite conserver coûte que coûte une certaine diversité, et éviter une situation de quasi monopole. C’est un sujet qui vous préoccupe si l’on consulte les réponses à notre sondage.
Est-ce que le deal pourrait être annulé ? Nous pensons qu’il y a peu de chances que le rachat d’Activision Blizzard par Microsoft ne se fasse pas. Dan Ives, analyste chez Wedbush Securities, pense tout de même qu’il y aura des « obstacles aussi bien à Washington qu’à Bruxelles pour faire accepter une opération de cette taille ». De son côté, l’analyste Carolina Milanesi estime qu’il est difficile de parler de comportement monopolistique avec cette acquisition et pense que la FTC (Federal Trade Commission) n’y regardera pas d’aussi près que pour le deal entre Amazon et MGM parce qu’il ne s’agit pas de contrôle des médias.
Microsoft avait déjà tenté de rivaliser avec Twitch d’Amazon en misant beaucoup sur Mixer, mais faute de succès, l’entreprise avait décidé en juin 2020 d’abandonner son service au profit d’un partenariat avec Facebook. En coulisses, c’est bien auprès de ces géants du numérique que se frotte Microsoft, davantage qu’à Sony ou Nintendo.
En rachetant Minecraft, Microsoft en avait ainsi profité pour faire passer les infrastructures du jeu de Amazon Web Services à Azure, la plateforme Cloud de Microsoft. Et c’est également ce qui risque de se passer avec le rachat d’Activision, qui est pour l’instant lié à Google dans ce domaine. En effet, Activision a signé en 2020 un « partenariat multi-annuel stratégique » avec le Cloud Google. Il était précisé que « Google Cloud servira de fournisseur privilégié pour l’infrastructure d’hébergement de jeux d’Activision Blizzard et YouTube en tant que partenaire de streaming exclusif dans le monde entier. »
En rachetant Activison Blizzard, Microsoft s’attaque donc aussi de façon indirecte à ses rivaux Google, Amazon ou Tencent, comme nous l’avons vu plus haut.
Oui, Microsoft va continuer de racheter des studios
Est-ce que que Microsoft va s’arrêter là ? Là aussi, vous avez été plusieurs à nous poser la question, et la réponse est évidemment non. Le géant américain ne va pas se contenter d’une troisième place dans le secteur, et d’autres rachats auront certainement lieu dans les prochaines années, et peut-être plus tôt qu’on ne le pense.
Phil Spencer, patron de Xbox et désormais de Microsoft Gaming, n’a jamais caché ses ambitions de trouver d’autres studios après Bethesda. On pourrait croire que la prise d’Activision puisse suffire, mais il a plusieurs fois dit que le marché japonais était une cible pour Microsoft. La société dispose en effet de peu de studios capables d’accéder à ce marché très spécifique mais ô combien florissant. C’est d’autant plus vrai pour le marché asiatique dans son ensemble qui est dominé par Tencent, et très difficile à pénétrer pour une société occidentale.
En résumé, le rachat d’Activision Blizzard par Microsoft pour Xbox est assurément un événement majeur pour l’industrie du jeu vidéo. Mais il faut garder en tête que celui-ci n’est qu’une nouvelle pierre dans l’édifice que tente de construire Microsoft pour rivaliser avec ses homologues aussi bien occidentaux qu’orientaux.
Il reste aujourd’hui des questions auxquelles les équipes Xbox répondront probablement dans les prochaines semaines, mais force est de constater qu’une nouvelle fois, Microsoft soutient plus que jamais les activités gaming du groupe.
