Présente lors du forum Horizon, le salon pour les professionnels du jeu vidéo, pour animer des conférences sur la gestion d’un studio de développement, Anne Devouassoux, présidente du Syndicat National du Jeu Vidéo, nous a fait l’honneur de répondre à quelques questions.
Jeu vidéo côté pro : les tendances et projets du secteur. Cet article fait partie du programme lancé par Xboxygen qui consiste à passer de l’autre côté du rideau afin de découvrir certains des enjeux professionnels autour de notre média favori. Des dossiers créés suite à nos visites et interviews au forum Horizon(s), qui s’adresse pendant deux jours aux cadres et aux dirigeants du secteur du jeu vidéo. Vous pouvez retrouver tous les articles associés dans la rubrique dédiée aux métiers du jeu vidéo.
Xboxygen : Cela fait maintenant un peu plus d’un an que vous êtes présidente du SNJV (depuis février 2023), quels ont été vos plus grands défis à ce poste ?
Anne Devouassoux : J’en suis actuellement à mon cinquième mandat en tant qu’administratrice, après avoir exercé deux mandats en tant que vice-présidente. Aussi, l’arrivée au poste de présidente n’a pas été une totale découverte pour moi. J’étais déjà assez familière des enjeux auxquels je serais confrontée.
Parmi les aspects les plus exigeants de cette fonction, il y a la responsabilité de porter la voix des entreprises, des professionnels du secteur, ainsi que de leurs salariés, auprès du public et des administrations. Un des premiers défis a été de réussir à transmettre les messages de toute une industrie française dans un format souvent très court, car ces interventions ne laissent généralement que quelques minutes pour s’exprimer.
Un autre défi majeur réside dans notre rôle syndical, qui consiste à anticiper et à avoir une vision à long terme. Il nous incombe de penser l’avenir de notre industrie et de la projeter sur les décennies à venir, ce qui implique de s’adapter, d’innover et de devancer les sujets clés de demain. Heureusement, je bénéficie du soutien d’un conseil d’administration solide, ce qui facilite l’élaboration et la mise à l’épreuve des idées. Mais, le plus grand défi reste sans doute celui d’établir des plans qui se concrétiseront bien au-delà de la durée de mon mandat. Cela exige de prendre du recul et d’avoir la bonne intuition au bon moment.
Xboxygen : Vous avez également porté la première charte de mixité et diversité du secteur en 2020…
AD : À l’époque, j’étais première vice-présidente en charge des affaires sociales. Ce projet avait été initié deux ans plus tôt, sous l’impulsion du ministère de la Culture et du CNC (Centre national du cinéma, ndlr), car il concernait aussi d’autres industries culturelles.
Venant d’un environnement plus opérationnel, j’avoue être toujours surprise lorsque je participe à des réunions très formelles comme celles qui ont accompagné la création de cette charte. Cela dit, j’ai toujours cru en la pertinence de ce projet, d’autant que l’industrie était réellement à l’écoute et concernée par ces questions. Nous n’avons donc rencontré aucun obstacle majeur dans l’élaboration de la charte.
Étant donné la taille relativement modeste de notre secteur, avec 15 000 à 20 000 personnes, le processus a été assez rapide. En réalité, nous avons créé la toute première charte de mixité et de diversité pour l’ensemble de l’industrie culturelle, pas seulement pour le jeu vidéo. Cette initiative a d’ailleurs eu un écho très positif, et d’autres industries s’en sont inspirées pour rédiger leur propre charte. Nous avons rendu la signature de cette charte obligatoire pour toute adhésion au SNJV. En parallèle, nous avons collaboré avec Women in Games pour développer un guide pratique sur les questions de diversité, couvrant des aspects comme le recrutement, la gestion des équipes et la communication. L’objectif était de transformer cette charte théorique en un outil concret que les entreprises peuvent appliquer en interne.
Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire. Un simple texte ne suffit pas à changer les comportements du jour au lendemain. Il faudra sans doute des années pour que ces questions ne soient plus au centre des préoccupations, mais nous avons déjà enclenché une dynamique positive.
Xboxygen : Est-ce qu’avec vos nouvelles responsabilités, le travail sur le terrain ne vous manque pas ?
AD : En réalité, mon éloignement du développement s’est fait progressivement. J’ai évolué de productrice à directrice de production, puis vers la gestion d’un studio, donc il n’y a jamais eu de rupture nette dans mes fonctions. Cela dit, je me suis plusieurs fois interrogée sur ce changement, mais je suis convaincue que les personnes qui occupent aujourd’hui les postes que j’ai laissés font un travail formidable, et je suis heureuse de leur avoir passé le relais.
Je pense aussi que le temps où je dirigeais directement une équipe de développement est révolu : je suis passée à autre chose. Aujourd’hui, j’accompagne les équipes de production, ce qui me permet de rester proche de mes débuts, sans pour autant être en première ligne. Une chose est sûre, je ne me verrais pas faire ce métier dans une autre industrie que celle du jeu vidéo !
Xboxygen : Cette année, le forum Horizon(s) est placé sous le thème de l’environnement. Comment voyez-vous la question de l’écologie et les problématiques qu’elle soulève pour l’industrie du jeu vidéo du côté du SNJV ?
AD : Dans nos studios de développement, la population est relativement jeune et l’écologie fait naturellement partie de ses valeurs. Cette génération a d’ailleurs sensibilisé même certains réfractaires parmi celles d’avant. Nous avons une obligation morale, ne serait-ce que vis-à-vis des talents qui composent nos entreprises, de nous emparer de ce sujet essentiel qu’est l’écologie. Toutefois, rendre cela concret au sein des entreprises est un défi. Chez Spiders, nous avons lancé plusieurs initiatives, comme le forfait mobilité durable pour encourager les employés à limiter l’usage de la voiture personnelle, en les aidant par exemple à acquérir un vélo. Certes, ce sont encore de petits gestes, mais j’ai l’espoir que chaque action, aussi modeste soit-elle, contribuera à faire évoluer les mentalités.
Au niveau national, nous nous sommes engagés dans le projet Jyros, porté par les associations régionales du jeu vidéo. Désormais, chaque studio peut calculer son empreinte carbone. Si nous manquons encore parfois de plans d’action concrets, certaines mesures ont déjà été mises en place, comme des options de réglages dans les jeux permettant aux joueurs de réduire leur consommation d’énergie. Cela se traduit par des paramètres graphiques plus bas, mais avec une expérience de jeu tout aussi qualitative. Ce genre d’initiative permet de sensibiliser les joueurs à l’impact environnemental des jeux, tout en leur laissant le choix.
Cependant, il reste beaucoup à faire, notamment sur des aspects sur lesquels joueurs et développeurs sont démunis, comme l’origine de l’électricité. Par exemple, aux États-Unis, l’électricité est huit fois plus polluante qu’en France. C’est frustrant, car il y a des leviers sur lesquels nous ne pouvons pas agir directement. Mais cela ne doit pas nous empêcher de continuer à développer et promouvoir des initiatives en faveur de l’environnement. Comme l’a si bien dit Yves Guillemot : « Nous sommes tous responsables des contenus que nous mettons dans nos jeux vidéo. Et puisque ce média est le premier consommé par la jeune génération, nous avons la responsabilité de véhiculer des messages positifs et d’accompagner les joueurs dans ces questions de société. » Ces enjeux ne doivent pas être vus comme un objectif lointain à atteindre, mais comme un travail quotidien pour rendre notre secteur plus vertueux.
Merci beaucoup à Anne Devouassoux de nous avoir accordé de son temps et d’avoir partagé sa vision avec notre journaliste. Nul doute que le SNJV jouera un rôle clé dans les nombreux défis sociaux et environnementaux auxquels l’industrie du jeu vidéo devra faire face dans les années à venir. Avec des initiatives ambitieuses et un engagement fort, l’avenir du secteur s’annonce néanmoins porteur de changements positifs.