Quel est l’envers du décor des métiers du jeu vidéo ? C’est la nouvelle thématique abordée par Xboxygen ! C’est lors du Forum Horizon(s), se tenant dans le magnifique Grand Théâtre de Bordeaux que nous avons eu l’honneur d’interviewer Yves Le Yaouanq. Aujourd’hui responsable du contenu : Publishing and Acquisitions chez Focus Entertainment et ayant fait ses armes chez Ubisoft, il a bien voulu répondre à nos questions.
Les métiers du jeu vidéo est une initiative Xboxygen qui vise à mettre en lumière les hommes et les femmes qui travaillent dans le milieu, et parfois dans l’ombre. Il fait suite à notre précédente saga sur les femmes dans le jeu vidéo. Le Forum Horizon(s) a pour objectif de réunir des professionnels du secteur afin de dessiner ensemble le futur du jeu vidéo. Il permet aux intéressés d’assister à des Masterclass, de postuler pour différentes offres sur le marché, mais également d’en apprendre davantage sur l’état actuel de l’industrie et sur son potentiel futur. Rendez-vous lundi prochain pour un nouveau numéro.
Xboxygen - Bonjour Yves. Est-ce que vous faites ce métier par passion ou est-ce le hasard de la vie qui vous a amené à le faire ?
Yves Le Yaouanq : Oui, c’est par passion. Le publishing, on ne peut pas faire ça comme si on vendait des voitures.
Xboxygen - Si je ne dis pas de bêtises, vous avez passé dix ans chez Ubisoft, est-ce qu’il y a une grande différence lorsque l’on passe d’un mastodonte comme ça à une structure plus petite comme Focus Entertainment qui n’est pas non plus si petite que cela ?
Même onze ans chez Ubisoft. Focus, quand je suis arrivé, c’était 250 personnes. Aujourd’hui, on a acheté des studios et nous sommes environ 500. Ubisoft c’est 25 000 personnes donc ce ne sont pas les mêmes enjeux, mais les deux sont cotés en bourse donc il y a des problématiques similaires.
La différence, c’est qu’Ubisoft a commencé très tôt à avoir des studios internes, donc cela permet au publisher d’avoir très vite ce lien avec la production. Ça permet de se projeter plus facilement et ça, c’est encore en cours, [chez Focus], c’est pour cela qu’on a racheté des studios.
Avoir des studios internes permet d’avoir une meilleure connaissance du développement et de développer des IP originales.
Xboxygen : Si vous deviez définir le gros de votre travail tous les jours, ça serait quoi ?
Yves Le Yaouanq : On reçoit à peu près 1600 projets de jeu par an, donc je vais les lire, répondre, les accompagner jusqu’à la signature pour ceux qui correspondent à ce que l’on fait et qui nous paraissent intéressants.
Pour ça, il faut avoir une expertise gameplay, game design, production, budget, c’est ça qui est intéressant, on vérifie tout. Est-ce que c’est la bonne équipe pour faire ce jeu ? Est-ce que ce jeu est intéressant en ce moment ? Par exemple, si je reçois un battle royale, est-ce que c’est aujourd’hui pertinent ?
C’est un poste où l’on a la meilleure vision de l’état du marché, on voyage beaucoup, on rencontre presque tous les développeurs de la planète, on voit aussi les évolutions et les tendances bien en amont. Parfois, ça va être des tendances de genre, d’autres fois de settings. C’est vraiment passionnant d’être à l’avant-poste du futur de l’industrie.
Xboxygen - Ça tombe bien que vous parliez du futur de l’industrie, ma question porte sur cette évolution du jeu vidéo. Comment voyez-vous les choses concernant les season pass, les jeux services, etc., quand on vous propose un projet, est-ce que l’on voit systématiquement à très long terme ou est-ce que les jeux courts ont toujours leur place ?
Yves Le Yaouanq : C’est comme toujours quand il y a une nouvelle tendance, tout le monde se jette dans la brèche mais aujourd’hui on a énormément de joueurs qui ont 40 / 50 / 60 ans et qui n’ont pas le même temps disponible pour jouer à des games as service et pour passer de cent à mille heures sur un seul jeu.
Les gens ont des enfants, un travail et, malgré l’excitation du game as service, on voit que cette mode commence à se rétracter. Ça ne veut pas dire que ça ne va plus exister mais il ne peut pas y avoir le même modèle de jeu pour tout le monde. On voit que les attentes changent, rien que cette année avec Baldur’s Gates III, Zelda, Starfield, etc. les gens ont envie d’expériences, même courtes, qui se finissent en 5 / 10 /15 heures.
Il va y avoir un rebalancement avec tous ces types d’expérience. Concernant le futur, il y a beaucoup de choses qui émergent : NFT, Blockchain, Metaverse, tout ça. Le seul auquel je crois fondamentalement, c’est le transmédia.
On est vraiment dans une période où l’on voit avec Arcane [Série basée sur l’univers de League of Legends], The Witcher, The Last of Us, etc. et les plateformes comme Netflix, Amazon ou même le cinéma s’intéressent au média du jeu vidéo et vice-versa d’ailleurs. Et ça, pour moi, c’est vraiment un des futurs du jeu vidéo.
Xboxygen : En tout cas, il s’y intéresse comme il faut. Enfin ! Car ça se faisait avant mais c’était rarement convaincant rires
Yves Le Yaouanq : Oui, il y avait Uwe Boll rires
Xboxygen : En parlant un peu des technologies futures, tout le monde n’a plus qu’un mot à la bouche en ce moment : c’est l’IA, qui a réellement explosé aux yeux du grand public, cette année. En coulisses, voit-on une différence ? Va-t-il y avoir un avant/après dans le monde du jeu vidéo ?
Yves Le Yaouanq : C’est comme tout, ça reste des outils. Il y a des trucs que l’on voit comme plutôt utiles sur l’utilisation de l’IA. Par exemple, pour tout ce qui est concept art : présenter le monde, l’univers, la direction artistique etc. Cela permet de transmettre une vision, surtout à une étape où l’on n’a pas encore spécialement de financement car, embaucher des concept-artists, ce n’est pas à la portée de tout le monde alors que grâce à l’IA, ils partagent leur vision.
On le voit, c’est déjà une utilisation mature. Par contre, sur tout ce qui est remplacement du voice acting, j’y crois très moyennement et on a un exemple avec Baldur’s Gate III. Sa qualité d’écriture et de voice acting, je ne crois pas que cela puisse être remplacé par l’IA dans un futur proche.
Xboxygen : Ma dernière question va porter sur Internet. Comment faites-vous pour contrôler l’image d’un jeu qui n’est pas encore sorti quand on voit toutes les fuites possibles ? Est-ce que vous y porter de l’importance ou est-ce que vous laissez passer ?
Yves Le Yaouanq : Tout le monde ne leak pas et heureusement mais cela dépend aussi de l’excitation et de l’attente du projet. C’est plus un travail d’éducation qui va se faire auprès des joueurs.
Il y avait eu un mouvement très positif autour de GTA VI lorsque des leaks, très early, [très tôt dans le développement] étaient sortis et toute l’industrie s’était mobilisée massivement en expliquant “voilà à quoi ça ressemble, tel ou tel jeu que vous avez tous adoré, à peu près à la même date”. C’est normal, cela fait partie du processus de production.
Il y a donc un travail d’éducation pour une meilleure compréhension des coulisses. C’est peut-être là où l’industrie à un travail à faire, de mieux partager comment on produit un jeu. Et c’est normal qu’un jeu en passe par là.
Xboxygen : Oui, c’est d’ailleurs Double Fine qui avait fait des documentaires en parallèle de la conception de leurs jeux pour montrer l’ensemble des coulisses, le bien comme le moins bien.
Yves Le Yaouanq : Oui, de toute façon, la transparence est l’un des meilleurs outils de communication.
Xboxygen : Merci beaucoup pour ces réponses !
Yves Le Yaouanq : Merci, bon courage !