Quel est l’envers du décor des métiers du jeu vidéo ? C’est la nouvelle thématique abordée par Xboxygen ! C’est lors du Forum Horizon(s), se tenant dans le magnifique Grand Théâtre de Bordeaux que nous avons eu l’honneur d’interviewer Thomas Bidaux, CEO et Co-fondateur avec Diane Lagrange, d’ICO Partners. Cette entreprise basée à Brighton au Royaume-Uni est notamment célèbre dans le monde de l’édition pour avoir distribué en Europe des titres tels que League of Legends, Baldur’s Gate 3 ou encore l’excellent Tunic et bien d’autres encore. L’occasion d’interroger Thomas sur son parcours et son métier ainsi que l’évolution des budgets dans le jeu vidéo.
Les métiers du jeu vidéo est une initiative Xboxygen qui vise à mettre en lumière les hommes et les femmes qui travaillent dans le milieu, et parfois dans l’ombre. Il fait suite à notre précédente saga sur les femmes dans le jeu vidéo. Le Forum Horizon(s) a pour objectif de réunir des professionnels du secteur afin de dessiner ensemble le futur du jeu vidéo. Il permet aux intéressés d’assister à des Masterclass, de postuler pour différentes offres sur le marché, mais également d’en apprendre davantage sur l’état actuel de l’industrie et sur son potentiel futur. Rendez-vous lundi prochain pour un nouveau numéro.
Xboxygen - Bonjour Thomas. Notre première question va te concerner directement. Comment en es-tu arrivé là ? Est-ce un hasard dû à la force des choses ou est-ce que c’est un métier de passion ?
Thomas Bidaux : Alors, j’ai commencé en 1999 chez France Télécom dans une de leur filiale créée à l’époque pour encourager les contenus de jeux vidéo. J’ai un passif très MMORPG et jeux en ligne. Je suis arrivé là-bas un peu par hasard et par chance. J’avais un profil atypique, très joueur, multilingue et de l’expérience dans la gestion de projet. Il se trouve que c’est exactement ce dont ils avaient besoin.
Mes premiers pas dans l’industrie sont donc dus au hasard. Ce n’était pas du tout un choix de carrière stratégique mais ça correspondait parfaitement à mes aspirations, étant autant intéressé par les jeux vidéo que par les jeux sur table : jeux de rôle, de plateau ou de cartes.
J’ai donc fait quatre ans chez France Télécom durant lesquels j’ai pu, en tant que chef de projet, gérer Dark Age of Camelot et la Quatrième Prophétie.
Puis j’ai déménagé en Angleterre en 2004 pour rejoindre NCsoft qui est une entreprise d’édition Coréenne spécialisée dans les MMORPG. [Notamment Guild Wars.]
Pour finir, en 2008 j’ai monté ma structure ICO Partners. Sa mission de base était d’être une société de conseils accompagnant les personnes qui éditent leurs jeux.
Ma carrière s’est donc faite au fil de rencontres et de hasards mais toujours grâce à cette affinité pour le jeu en ligne qui m’a permis de commencer à l’époque.
Aujourd’hui, on travaille sur tout type de jeux, PC ou consoles, plutôt tourné Online mais pas uniquement. Nous avons même des missions qui vont au-delà du jeu vidéo. Avec ICO, on a, par exemple, travaillé sur Magic : The Gathering pendant deux ans et demi ainsi que sur Donjons et Dragons.
Xboxygen - Et donc, la finalité de ICO Partners, c’est quoi ?
Thomas Bidaux : On se présente comme une agence d’auto-édition et de conseils. On accompagne les sociétés de jeux vidéo, éditeurs ou studios dans leurs démarches d’édition.
Nous travaillons sur de la stratégie pour des projets de toutes tailles avec des besoins vraiment différents : quel jeu sortir, quand, comment, quel prix, quelles plateformes, quelles sont les opportunités.
On va aussi faire de la stratégie marketing et comment l’exécuter : relation presse, marketing avec les créateurs de contenu vidéo, pub Facebook, etc.
Nous essayons d’être l’interlocuteur capable d’apporter des réponses à toutes les problématiques liées à l’édition.
Xboxygen - Ton métier a dû beaucoup évoluer en même temps que le jeu vidéo. On est passé d’un jeu qui sortait et c’était “fini” puis l’arrivée des standalone, suivis de près par les DLC. Aujourd’hui, on parle aussi de jeux-services. La communication doit être totalement différente ?
Thomas Bidaux : Alors, nous on existe depuis 15 ans en tant que ICO et nous sommes plutôt spécialisés dans le jeu en ligne. On a eu la chance d’accompagner League of Legends pendant les quatre premières années de son existence en Europe. La communication autour d’un tel jeu se fait sur la durée.
Pour nous, le changement est plutôt inverse. On est passé du jeu en ligne à tous types de jeux qui ont des cycles de communication différents mais qui se rapprochent de plus en plus de ce que l’on a connu avec les MMO.
Il y a encore une multiplicité de genres de jeux et certains ont des cycles de communication qui ne sont pas destinés à durer après leur sortie.
Actuellement, nous travaillons sur Baldur’s Gate et il y a beaucoup de choses à dire suite à la sortie. Et il y aura encore sûrement beaucoup pour le futur et les années à venir.
La grosse évolution finalement, ce sont les canaux de communication. À une époque, il n’y avait que les sites spécialisés dans le jeu vidéo. Aujourd’hui, les sites généralistes prêtent de plus en plus attention à notre média. Mais on a aussi vu pléthore d’autres solutions de communication émerger, que ce soit les créateurs de contenu sur YouTube ou Twitch ou les réseaux sociaux qui ont leurs propres codes et opportunités, sans parler de TikTok qui a également son propre univers.
Nous, en tant que professionnels qui accompagnons les personnes qui font leur marketing, devons constamment nous assurer de la pertinence des médiums dans la durée. Savoir lesquels sont adaptés à quel genre de jeux. Par exemple, un jeu narratif de deux à trois heures n’a pas d’intérêt à être streamé sur Twitch. À l’inverse, certains jeux se prêtent bien plus à ces interactions avec le chat pour que le streamer prenne des décisions.
Il faut donc garder un œil sur ces canaux et définir les types de jeu et les plateformes qui sont les plus en phase avec eux.
Xboxygen - Ces canaux de communication ayant évolué, les budgets alloués ont-ils changés ? Nous nous rappelons qu’à l’époque de Call of Duty Modern Warfare 2 (2009) le budget communication avait été quatre fois plus important [200 millions de dollars] que le coût de développement du titre [50 millions de Dollars]. Aujourd’hui, réfléchit-on différemment ?
Il n’y a pas toujours de corrélation entre budget marketing et développement, même s’il y a une logique de les regarder ensemble parce qu’il faut que le marketing ait suffisamment de succès pour recouper les deux. Pour l’exemple, on va prendre des chiffres qui n’ont aucun sens :
Un jeu de 1000 euros n’aura pas les mêmes enjeux qu’un titre qui aura coûté 10 millions d’euros, et donc des relations presse pour un jeu de 1000 euros coûtent très cher parce qu’il faut faire la liste des journalistes, écrire des press release, faire un trailer, mettre en place les outils de communication. Tout cela a un coût qui est incompressible, mais un jeu à 10 millions d’euros, même s’il va faire plus de relations presse, ne va pas coûter proportionnellement plus.
Ces nouveaux canaux permettent aussi par exemple de dépenser 50 euros de communication sur Facebook et que ça vaille réellement le coût, tout autant que des millions sur ces mêmes outils pour des résultats importants, mais proportionnellement pas aussi intéressants.
Dans le monde des mobiles, ces coûts sont très établis, l’acquisition des utilisateurs est quasi scientifique et ne passe quasiment que par la publicité et eux vont dépenser des millions pour maintenir un flot constant de nouveaux utilisateurs sur leur jeu.
Les budgets sont donc souvent indexés sur les coûts de développement, mais à différentes échelles. Nous travaillons souvent sur la relation média, car on trouve que c’est le plus efficace. Mais en fonction du budget, on peut également allouer des fonds aux créateurs de contenu ou dans la pub, voire faire des choses encore plus créatives qui sortent de l’ordinaire.
Xboxygen - Ma dernière question est tournée vers les bad buzz et les leaks. À l’ère d’internet, tout va très vite et certains découlent de versions qui sont loin d’être le jeu final, nous pensons notamment au cas GTA VI. Comment gère-t-on de telles situations ?
Thomas Bidaux : Chaque situation est un cas unique, on peut parler du bad buzz de Unity ces dernières semaines, qui est un gros sujet plutôt tourné vers les professionnels.
Il y a différents types de bad buzz. Il y a la version du jeu qui est rendue publique avant qu’elle soit à la qualité voulue. Il n’y a pas grand-chose à faire là-dessus. Le diable est sorti de sa boite mais j’aurais tendance à dire qu’il faut encaisser le coup et expliquer les circonstances ou ne rien dire du tout, ce qui est tout à fait acceptable.
Après, il y a d’autres types de bad buzz. Parfois, il vaut mieux attendre de voir comment les choses se passent et, en fonction des réactions, il arrive que la communauté supporte le studio ou l’éditeur. Ce n’est pas toujours évident de savoir comment une news va être perçue.
Si le buzz devient vraiment mauvais, on va faire un message expliquant ce qu’il s’est passé et ce que l’on va faire. Nous ne sommes que des partenaires et souvent nous sommes là pour structurer le message et aider à optimiser sa communication, mais notre vocation n’est pas de donner la solution. Nous ne développons pas le jeu, nous ne sommes pas décisionnaires.
En revanche, si c’est de la pure communication, nous pouvons aider, mais, 75% du temps, la solution vient du studio car ce sont eux qui ont les outils pour communiquer sur la crise.
Xboxygen - Merci beaucoup pour toutes ces réponses.
Thomas Bidaux : Merci !