J’aurai pu introduire le test de Wingspan en vous parlant d’oiseaux. J’aurai pu vous parler de la grande frégate qui, incapable d’aller dans l’eau à cause de son pelage non étanche, passe des jours en mer à chasser les poissons volants chassés par les bancs de thons. Pour dormir, elle vole jusqu’à une hauteur de 1500 m et profite de son faible poids pour se laisser porter par les courants. J’aurai pu aussi vous dire que le moineau domestique est capable d’évaluer la vitesse d’un véhicule et de s’envoler juste à temps pour échapper à l’impact. J’aurai pu souligner que la galinette cendrée ne fait pas la différence entre un bon chasseur et un mauvais chasseur à l’instar d’un cueilleur de champignons ou d’un joggeur. J’aurai pu. Mais j’ai préféré vous parler de jeux de société et de l’histoire si singulière entre le jeu vidéo et ces derniers car Wingspan sur Xbox est avant tout l’itération vidéoludique d’un merveilleux jeu physique, celui que l’on pratique autour d’une table, en famille ou/et avec des amis.
Une histoire d’amour…
L’histoire entre le jeu vidéo et le jeu de société est ancienne, Nintendo est peut-être l’exemple le plus emblématique vu qu’il s’agissait à la base d’un fabricant de cartes à jouer avant de devenir l’un des pionniers du jeu vidéo. On passe rapidement sur les jeux de société à licence, les versions Monopoly de Pokemon ou de Final Fantasy VII, le Trivial Pursuit World of Warcraft ou les Risk Metal Gear Solid, Plants Vs Zombies, etc. On ne va pas trop parler non plus des jeux de cartes à collectionner Sim City, Need for Speed, Killer Instinct et consorts. Non. On va plutôt s’attarder sur les grandes périodes où le jeu vidéo a inspiré le jeu de société.
La première grosse période fut dans les années 80, années durant lesquelles Milton Bradley (MB), géant éditeur de jeux de société, s’est intéressé aux stars des salles d’arcade de l’époque et a adapté Pac-Man, Zaxxon, Frogger, Donkey Kong et bien d’autres. Il est suivi par Parker Brothers l’éditeur de Risk et Monopoly avec Joust, Q*Bert et Pole Position. Puis plus rien ou presque jusqu’au début des années 2000.
De l’autre côté, le jeu vidéo s’empare et s’inspire des jeux de société. Outre les adaptations vidéoludiques des standards Monopoly, Trivial Pursuit, on trouve quelques pépites comme Full Metal Planet avec un jeu de plateau sorti en 1988 pour une adaptation en 1989, sur lequel j’avoue avoir passé de très bons moments à l’époque. Le jeu vidéo a aussi su s’inspirer du jeu de plateau, de par les mécanismes de fonctionnement des wargames par exemple, jusqu’à ses cases hexagonales, le système de tour, les mécanismes d’attributs et de réussite des jeux de rôles, Donjons et Dragons en tête.
On peut s’arrêter un peu sur le cas Civilization dont le jeu vidéo (1991) est à la base une adaptation libre du jeu éponyme sorti en 1980. Un succès immense qui a amené une édition d’un jeu de plateau tiré du jeu vidéo, lui-même adapté d’un jeu de plateau en 2001. Vous me suivez ?
Il faut donc attendre 2003 pour voir la machine se remettre en route, avec des jeux de plateau Doom, Warcraft, Age of Empire III et autre Wakfu. L’arrivée des smartphones et des tablettes a remis un coup de boost, s’en est suivi des jeux adaptés des grosses licences telles que Gears of War, The Witcher, Uncharted. Le financement participatif a lancé dans le bain beaucoup d’autres jeux, poussés par des fans et montrant un peu plus que les joueurs de jeu vidéo sont aussi des joueurs de société et vice-versa. La tablette et le smartphone ont pérennisé la démocratisation des jeux de plateau, Small World, Catane, Pandemic, Les Aventuriers du rail et Carcassonne que l’on connait bien sur Xboxygen. Wingspan fait partie de cette longue lignée qui n’est donc pas prête à se tarir.
Wingspan à tire-d’aile
Vous aimez les oiseaux ? Alors c’est parfait car Wingspan s’adresse à l’ornithologue qui s’ignore, au curieux qui essaye de deviner le nom de l’étrange oiseau qui s’est posé devant lui et au rêveur qui aime admirer les ballets aériens dans le bleu infini du ciel. Le jeu de plateau, créé par Elizabeth Hargrave, regroupe 170 cartes d’oiseaux superbement illustrées. Wingspan nous fait découvrir les différentes espèces en intégrant leurs caractéristiques (taille, ponte, nidification, milieu naturel, habitudes alimentaires, etc.) dans les différentes mécaniques de jeu.
Wingspan est à la base un jeu de 1 à 5 joueurs, à partir de 10 ans et dont les parties durent à peu près une heure (suivant le nombre de joueurs, s’ils réfléchissent lentement ou pas). La partie se déroule en quatre manches, chacune comporte un objectif rapportant des points. Les joueurs débutent avec huit dés d’action et un plateau de jeu qu’il vont devoir garnir d’oiseaux divers et variés. Ces plateaux de jeu individuels sont découpés en trois milieux représentant l’habitat naturel des oiseaux : la forêt, la prairie et les marais. Certains oiseaux ne peuvent être posés que dans un seul milieu. Ces milieux correspondent en outre à l’une des quatre actions disponibles pour les joueurs, à savoir collecter de la nourriture (la forêt), pondre des œufs (la prairie), piocher de nouvelles cartes oiseaux (le marais), la quatrième action consiste à poser un nouvel oiseau de sa main, ce qui nécessite de la nourriture particulière et des œufs. Petite subtilité, à chaque fois que l’on pose un dé d’action, alors on active en plus les capacités des oiseaux déjà posés dans le milieu. Ces dernières peuvent octroyer de la nourriture supplémentaire, une pioche de carte, une possibilité de gagner plus de points, ou de pondre des œufs en sus.
Wingspan est donc un jeu de placement, de collecte de ressources et d’anticipation car les objectifs varient d’une manche à l’autre. Il n’y a pas d’interaction directe entre joueurs, mais les tours s’enchaînent rapidement, sans aucune animosité. C’est un jeu calme, presque contemplatif, où l’on apprend énormément sur les oiseaux de façon ludique et fluide. Les subtilités sont nombreuses et maîtriser les mécaniques, pourtant assez simples, demande quelques parties.
L’adaptation en jeu vidéo comme une mise en bouche
Évidemment, le jeu vidéo Wingspan reprend intégralement les mécaniques du jeu de plateau, la manutention des cartes et du matériel disparaît derrière la manette. Même en étant habitué au jeu de plateau, la jouabilité est loin d’être intuitive. On cherche pour sélectionner les cartes, pour passer de milieu en milieu sur ces plateaux virtuels pas vraiment beaux et découpés dans une sorte de zoom, dézoom pas vraiment agréable. Les nombreux paramètres à gérer dans le jeu qui remplissent déjà la table de notre salon, nous perdent un peu sur notre téléviseur.
Le jeu vidéo propose différents niveaux de difficulté pour gérer l’IA lorsque l’on joue seul ou à moins de 5. L’Automata (jeu en solo du jeu de plateau) est aussi présent même s’il se justifie moins par la présence de l’IA dans le jeu de base. Les graphismes sont propres et reprennent intégralement les superbes illustrations des cartes oiseaux avec en prime, au moment où l’on joue les oiseaux, la petite description lue par une narratrice, malheureusement en anglais. Le jeu offre aussi un principe de collection qui permet de débloquer, au fur et à mesure que l’on joue, toutes les cartes du jeu et donc de pouvoir admirer sa volière et ses nombreux oiseaux. Se pose au final toujours la question de prendre la version numérique plutôt que la version physique, outre le fait de pouvoir y jouer en ligne contre vos amis éloignés qui ne peuvent vous rejoindre à tire-d’aile. Le vrai plus de la version numérique est son prix, il n’est que de 19,99 euros, soit encore moins de la moitié du jeu en boîte qui est à 50 euros, le prix d’une belle boîte en somme pour un bien beau jeu.
Testé sur Xbox One X