Le rachat d’Activision par Microsoft peut-il être bloqué par la FTC ? Des experts répondent

«Quel est l’impact réel de la FTC ?» le 14 décembre 2022 @ 18:012022-12-14T18:01:17+01:00" - 10 réaction(s)

Dans les derniers épisodes du feuilleton Microsoft rachète ABK, nous apprenions que la firme de Redmond aurait proposé à Sony d’inclure la licence Call of Duty dans le PlayStation Plus et ce matin, un analyste parlait de l’impact éventuel de l’ajout de Call of Duty dans le Xbox Game Pass. Malgré tous ces débats, la FTC a annoncé jeudi dernier qu’elle se positionnait contre le rachat d’ABK par Microsoft en attaquant, de surcroît, le groupe en justice, mais quel impact concret la Federal Trade Commission peut-elle avoir sur la transaction ?

Un veto si problématique que cela pour la finalisation du rachat ?

Ce sont nos confrères de Gamesindustry.biz qui se sont penchés sur le sujet en interrogeant plusieurs experts juridiques. La plainte déposée par la Federal Trade Commission (FTC) des États-Unis jeudi a rebattu les cartes de Microsoft et a clairement changé la donne pour la firme de Redmond qui semblait, jusqu’à maintenant, conserver une certaine position de force. Les craintes de la FTC sont diverses, mais l’organisme cherche avant tout à réguler les fusions technologiques massives, quelles que soient leurs sources, et le passif de Xbox avec Zenimax n’aurait pas convaincu la FTC.

David B. Hoppe, associé directeur de Gamma Law, est l’un des experts juridiques interrogés. Il s’est exprimé sur la régulation de la FTC et notamment sur les fusions verticales. Une fusion verticale "implique des entreprises qui ne sont pas des concurrents directs, mais qui se situent à différents niveaux de l’industrie. Ainsi ABK est en quelques sortes un fournisseur de jeux pour le constructeur qu’est Xbox. Jusqu’à maintenant, ces fusions n’étaient pas jugées comme étant risquées ou néfastes pour les consommateurs, mais cela a évolué.

« La théorie a été que l’intégration des entreprises à différents points de la chaîne de valeur entraînerait une baisse des prix pour les consommateurs. Toutefois, il n’est pas certain que cela ait été le cas. En outre, l’opinion actuelle des économistes les plus libéraux aux États-Unis est que d’autres facteurs doivent être pris en compte, au-delà de la simple question de savoir si une fusion entraînera une hausse des coûts. Ces autres facteurs incluent l’impact sur l’innovation et les marchés du travail, par exemple.  »

Selon l’expert Richard Hoeg, la problématique est bien plus simple que cela et la FTC fait juste plus attention qu’avant à appliquer les lois antitrust en général, notamment vis-à-vis des grandes entreprises technologiques et de leur impact sur des millions voire milliards de consommateurs.

« Ostensiblement, leurs plus grandes préoccupations sont que le contrôle par Microsoft des principales franchises AAA - en particulier Call of Duty - leur donnerait la capacité et l’incitation à retirer ces franchises des plateformes rivales et leur permettrait de monopoliser injustement les ventes de matériel, les services d’abonnement et le cloud gaming. »

Une bataille juridique qui ne serait pas jouée d’avance pour la FTC

Richard Hoeg a ensuite été interrogé sur la bataille juridique qui allait être engagée par la FTC. Celle-ci anime les débats et pourrait sembler difficile à mener de la part de Microsoft, mais selon Hoeg, il serait tout de même difficile pour la FTC de l’emporter devant les tribunaux.

"Du côté des consoles, pour faire valoir que Microsoft aurait un pouvoir de marché démesuré, il faut que la FTC affirme que Nintendo et le succès massif de la Switch ne font pas partie du marché pertinent qu’ils examinent - c’est difficile à vendre.

En ce qui concerne le jeu par abonnement et le cloud gaming, la FTC doit faire valoir que ces marchés sont distincts du marché global de la distribution de jeux, ce qui est également assez difficile étant donné que les deux ne représentent que des modèles commerciaux différents pour la vente et la présentation des mêmes biens. Le fait que le cloud gaming ne soit pas vendu séparément par Microsoft brouille également les pistes.

Enfin, le fait que toutes ces questions soient posées à une société qui se situe au moins au deuxième, voire au troisième rang des ventes de consoles (dans certaines juridictions), rend les arguments de Microsoft plus puissants. La FTC a un dossier très difficile".

Malgré le duel infernal engageant les autorités antitrust, Sony et Microsoft depuis des mois autour du rachat, les arguments avancés par Microsoft au fil du temps seraient finalement assez pertinents pour que la firme de Redmond plaide efficacement sa cause devant les tribunaux. David B. Hoppe n’est pas aussi optimiste quant à l’issue du procès pour Microsoft et il s’appuie sur l’article « étonnamment faible » écrit par Brad Smith dans le Wall Street Journal. Il contrebalance toutefois son propos en expliquant que les arguments les plus susceptibles de trancher l’affaire seront basés sur les précédents en matière de droit antitrust - et à cet égard, la loi n’est « pas du côté de la FTC. »

« Il parle de la capacité multiplateforme comme si c’était une chose révolutionnaire que Microsoft allait apporter au monde s’ils pouvaient acheter Activision. De nombreux lecteurs du WSJ et membres du Congrès trouveront cela intéressant. Mais comme le savent les personnes qui jouent à des jeux ou qui travaillent dans le secteur, le multiplateforme est déjà là et ne va pas disparaître, et les éditeurs n’ont pas besoin des plateformes pour cela. »

Que faut-il attendre pour la suite ?

En termes d’échéances, il faut savoir que le rachat, s’il était amené à se conclure positivement, ne serait pas bouclé avant 2024. Microsoft a encore une semaine pour répondre à la plainte de la FTC avant que la procédure formelle ne commence vraiment. Une audience est déjà prévue pour août 2023 devant un juge administratif de la FTC. D’ici là, Xbox et Microsoft peuvent tenter de trouver un accord et de faire des concessions.

Si jamais l’audience d’août a lieu, le juge pourra faire appel, s’il le souhaite, et porter l’affaire devant la Cour d’appel des États-Unis voir jusqu’à la Cour suprême. Microsoft pourra toujours tenter de trouver un accord durant les périodes de battement malgré le fait que les commissaires de la FTC aient affirmé l’an dernier « qu’ils étaient sceptiques quant à la valeur de tels accords. »

Le litige entre la FTC et Microsoft/Activision n’en est qu’à ses débuts et il est d’autant plus difficile d’en voir le bout actuellement. Néanmoins David B. Hoppe et Richard Hoeg pensent que Microsoft rejettera la plainte de la FTC. Hoppe déclare ceci :

"Jusqu’à présent, il a été très difficile pour la FTC de gagner ces affaires visant à stopper les fusions verticales. La principale raison en est que les tribunaux ont exigé de la FTC qu’elle démontre le préjudice subi par les consommateurs. Cela peut aller de soi lorsque les deux entreprises sont des concurrents directs, mais c’est très difficile dans le cas d’une fusion verticale.

Par exemple, le fait que Microsoft fournisse ou non aux utilisateurs de Xbox des fenêtres de sortie exclusives pour Call of Duty dépendra probablement de divers facteurs inconnus à ce stade. Ils peuvent déterminer que cela n’a pas de sens pour différentes raisons, ou la dynamique du marché dans deux ou trois ans peut être telle que cela n’a pas vraiment d’importance de toute façon. Il est donc difficile de faire la démonstration à un tribunal qui le convaincra d’intervenir pour arrêter une transaction de 69 milliards de dollars."

Richard Hoeg poursuit dans cette dynamique en ajoutant ceci :

"Si l’affaire devait aller jusqu’à une décision de justice, je pense que Microsoft gagnerait. La question la plus délicate est de savoir si Microsoft ira jusqu’au bout d’une telle décision ou se retirera avant, en particulier si la CMA [l’autorité de la concurrence et des marchés, un régulateur britannique] et l’Union européenne s’y opposent également.

Ces choses prennent beaucoup de temps, d’argent et de ressources, et de nombreuses agences parient essentiellement qu’une entreprise abandonnera en fonction de la pression qu’elles peuvent exercer avec une plainte. "

Hoeg conclut son propos sur les « frais de pénalité » que Microsoft devrait payer pour annuler la transaction. La firme de Redmond devrait payer 2 milliards de dollars pour arrêter l’opération avant le 18 janvier 2023 et 3 milliards de dollars d’ici au 18 avril 2023.

Pour ce qui est des enquêtes respectives menées par la CMA et l’UE, Hoeg ne pense pas qu’elles aient un impact très important étant donné que « les préoccupations politiques auxquelles la CMA ou la CE pourraient être confrontées en engageant une action sont considérablement réduites par le fait que la FTC a déjà agi dans ce domaine ». David B. Hoppe estime que l’action juridique de la FTC impactera inévitablement le résultat dans d’autres juridictions, comme le Royaume-Uni et l’UE.

La transaction de Microsoft pour racheter ABK ira-t-elle au bout ?

Pour David B. Hoppe, la plainte de la FTC complique clairement la situation et une annulation potentielle du rachat n’a jamais été aussi plausible qu’actuellement. L’annonce du rachat fête bientôt ses un an et le sujet a déjà fait couler beaucoup d’encre sur l’année 2022.

« Je serais surpris que l’on n’envisage pas sérieusement d’annuler l’accord et de payer les frais de rupture, s’ils s’appliquent. S’ils vont de l’avant et ne parviennent pas à un règlement provisoire avec la FTC, je pense qu’ils l’emporteront. Il est même possible qu’ils gagnent en août de l’année prochaine devant le propre juge de la FTC, comme cela s’est produit récemment dans une autre affaire de fusion verticale. »

Selon Richard Hoeg, la firme de Redmond devrait aller au bout pour « montrer l’exemple » face aux autres acteurs de l’industrie, ne serait-ce que pour voir si une telle transaction peut aboutir malgré les innombrables obstacles à surmonter pour y arriver. Cette situation est inédite dans le secteur et Microsoft avance à tâtons pour tenter de finaliser ce rachat.

« Personnellement, j’aimerais que Microsoft poursuive la procédure car je pense qu’une décision finale permettrait aux participants de l’industrie de mieux comprendre ce qui est et sera autorisé, mais ce n’est pas mon argent ni mon temps qui sont en jeu. C’est presque entièrement 50/50 à mes yeux, et cela dépend entièrement de l’appétit qu’a Microsoft pour aller jusqu’au bout de cette affaire. »

Quoiqu’il en soit, les éclaircissements de nos deux économistes sont plus qu’intéressants par les temps qui courent et on espère que de nouvelles précisions liées au rachat d’ABK par Microsoft nous seront partagées dans les prochains jours.

Activision Blizzard

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zorglub

14 déc 2022 @ 19:02

Le fait que la FTC se contente de trainer Microsoft devant son propre tribunal administratif (au lieu d’une cour fédérale) est déjà en soit un signe qu’elle n’a même pas assez confiance en ses propres arguments. Et le fait qu’elle donne rdv en aout 2023, soit bien après les décisions des instances du vieux continent le prouve encore plus : elle botte en touche en espérant que l’Europe ait dit non avant. Dans les faits, tout se jouera avec la CMA, qui d’ailleurs, doit sortir un rapport préliminaire début janvier. Si il est vraiment négatif, nul doute que Microsoft jettera l’éponge avant la 1ère date fatidique du 23 janvier. C’est en effet à cette date là que la « pénalité d’abandon » que Microsoft devra payer à Activision passera de 2 milliards à 2,5 milliards. Si ce rapport préliminaire est plutot positif, alors probablement le rapport final de la CMA, prévu au 1er mars, le sera aussi, et ce sera ensuite l’ UE qui devra donner sa réponse, au plus tard le 11 avril. (Notez bien qu’elle à la possibilité de répondre avant..)

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Zephir Snake

15 déc 2022 @ 10:25

Jeter l’éponge ? Non je pense pas mdrrrr, Microsoft en affaire c’est pas des tendres et ils veulent pas passer pour des faibles, avec toutes les attaques qu’ils ont reçu ils vont pas se laisser faire. Ils vont rien lâcher du tout les coco, arrêtez de faire des plans sur la comète les mecs c’est pas des amateurs, ils sont préparer à tout les scénarios, tu fait pas une telle manœuvre à 70 milliards à l’arrache...

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zorglub

15 déc 2022 @ 11:27

Bah si la CMA dit non, quels sont les recours possible pour Microsoft ? Réponse : il n’y en a pas.

Pas de tribunal possible, pas d’appel possible , pas de procès possible. Ils seraient obligés de renoncer, fin de l’histoire. (A moins, carrément, de sortir du marché anglais. Ce dont j’ai grand peine à imaginer.... )

C’est bien pour ça que la CMA édite un rapport préliminaire, 2 mois avant la décision finale : c’est pour laisser une chance aux intéressés d’abandonner, ou de modifier drastiquement leur proposition. Mais après le rapport final (1er mars), c’est terminé. Ce sera oui ou non, point final. et Microsoft n’aura pas le choix que de s’y plier.

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Zephir Snake

15 déc 2022 @ 11:43

Oui mais la c’est la FTC pas la CMA dont on parle en faite. La CMA on a aucune nouvelle donc arrêtez de jouer les nostradamus expert en rachat :p (et ya toujours une voie vers le tribunal, t’en fait pas)

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zorglub

15 déc 2022 @ 12:10

Je redis que non, avec la CMA il n’y a pas de voie possible vers un tribunal. NON. Avec l’europe, oui, mais pas avec les anglais. C’est comme et pas autrement, en fait. Par contre si l’europe et la CMA disent oui, ça mettra une grosse pression sur la FTC, qui sera à cours d’argument. Mais comme la CMA devrait, a priori, donner son avis en premier, tout va se jouer a leur niveau.

(Même si l’Europe à encore la possibilité de donner son avis avant la date du 11 avril. -> les rumeurs semblent montrer que l’Europe ne serait pas contre ce rachat...)

(Et juste pour dire : je joue les nostradamus si je veux. Et d’ailleurs, je donne mon avis dans une partie qui s’appelle « Partagez votre avis ! », c’est marrant comme le hasard fait bien les choses. Mais enfin, si ça dérange t’es pas obligé de me lire.)

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fatpunkslim

15 déc 2022 @ 12:11

Je crois pas du tout que la rachat soir refusé, les arguments de la FTC sont tellement absurdes et en plus démentis par la commission européenne concernant les jeux bethesda, je vois pas sur quel base sérieuse le rachat pourrait être invalidé, il n’y a simplement aucune donnée tangible ou même réaliste pour que ce soir refusé. La FTC a juste été influencé par Sony et ont fait preuve d’un grand amateurisme en ne fournissant rien d’objectif. J’ose croire qu’en europe, on pousse les recherches un peu plus loin et qu’ils se rendent compte qu’il n’y a objectivement rien de négatif dans ce rachat, bien au contraire, c’est même l’inverse, ce sera bénéfique pour tout le monde, même les joueurs PS car ça poussera Sony à se sortir les doigts, à moins profiter de leur quasi monopole avec des augmentation de prix en tout genre, consoles et autres et à moins les pigeonner.

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Senix78

15 déc 2022 @ 13:14

Il faut juste patienter et s’occuper sur autre chose, bien que l’actu Activision est passionnante ( mais trop longue) et remplis de rebondissements.

Il faut se faire à l’idée, si le rachat ne se fait pas Activision restera l’éditeur super dépendant de call of duty ( je suis toujours attristé de voir presque que du call of sur le site officiel) avec probablement Bobby à la direction.

Si le rachat se fait, on va probablement voir apparaître une nouvelle ère du groupe avec plus de prise de risque. Apres ca Microsoft pourra racheter des studios moins gros, par exemple je rêve de voir Asobo travailler main dans la main avec activision et des studios comme Ninja Theory.

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Jack O’lantern

15 déc 2022 @ 16:39

Personnellement les jeux ActiBlizz c’est pas forcément ma cam, ce n’est pas que les jeux soient mauvais mais j’en joue peu en fait. Je préférerais que MS se lâche sur des studios plus petits mais plus diversifiés. J’aime déjà ce que font les studios actuels sur Xbox et ce qu’ils préparent à l’avenir, ActiBlizz c’est clairement pour COD et Candy Crush si je veux simplifier l’affaire entrevue par MS. Mais je ne doute pas une seconde que MS ne lâchera pas l’affaire, ne serait-ce que pour les pénalités prévues, mais aussi pour l’honneur de la boîte.

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Gerland

15 déc 2022 @ 20:42

Ici ça parle beaucoup d’Activision et donc le marché console, mais vous vous rendez pas compte à quel point une réponse positive est attendu par les joueurs Blizzard, la déliquescence des licences Blizzard au fil des années fait mal au cœur.

World of Warcraft, Starcraft, Warcraft, Diablo et Overwatch, autant vous dire que l’espoir est élevé pour bon nombre de licence.

Sur WoW vous trouverez personne qui sera contre.

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Halouf

16 déc 2022 @ 02:29

Donc la FTC n’a aucun éléments pour prouver devant un tribunal que ce rachat serait à charge contre le consommateur. J’ose espérer que Microsoft ira jusqu’au bout, qu’ils disent carrément être décidé à aller devant le tribunal si la FTC continue de bloquer.

Dossier analogue qui passe sous les radars, Tencent. C’est LE plus gros groupe mondial, un groupe chinois...et personne ne dit rien quand ils gobent tout ce qui passe façon Pac-man ! Tout ça parce qu’ils ne font pas de consoles. Mais les chinois ne sont pas bêtes, ils peuvent très bien grossir comme un bon gros goret puis seulement ensuite se jeter sur le marché des consoles, la FTC ne pourra rien leur interdire du tout. Jusque là, Microsoft est bien plus propre sur les tarifs que Sony ou Nintendo, et ces deux là sont devant Microsoft au global. Donc, Sony veut juste une chose, empêcher Microsoft de devenir plus dangereux pour leur position, et pour se faire rien de tel que de venir jouer la Victime devant les instances.