Test - Harmony : The Fall of Reverie - Ou plutôt Harmony of Despair

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2023 est une année faste pour Don’t Nod, dix ans après Remember Me, cet ovni cyberpunk qui nous avait permis de découvrir le talent du studio et huit ans depuis le lancement de leur série phare Life is Strange, qui continue aujourd’hui encore à déchaîner les passions. Harmony : The Fall of Reverie est la première des trois nouvelles licences que le studio nous propose cette année, avec Banishers et Jusant, présentés lors des récents showcases. Misant sur des choix scénaristiques multiples forts et laissant la part belle à l’émotion, Don’t Nod nous promet ici au travers de ce visual novel une aventure intense abordant des sujets matures. Harmony : The Fall of Reverie est disponible depuis le 22 juin au prix de 24,99€ sur le Xbox Store.

Tout va bien dans la famille, tout est sûr, ici à la maison

Notre héroïne, Polly, revient sur son île natale méditerranéenne d’Atina suite aux sollicitations insistantes d’un certain Laszlo après une longue absence. La cité insulaire fictive mêle tradition du Sud, architecture rétro, street art et quartiers ultra-modernes.

Bienvenue à Atina

Comme nous l’observons au cours de l’introduction animée, toute la ville est tombée au cours des années sous le contrôle d’une méga-corporation, la Mono Konzern, qui d’après les impressions que nous fournissent progressivement les autres personnages, n’aurait rien à envier à une autre entreprise fictive au logo en forme de parapluie… Cupidité excessive, contrôle des communications, drônes de surveillance à tous les coins de rue, mainmise sur le système de santé, un schéma machiavélique se dessine très rapidement.

Polly rejoint la propriété “Les Naïades” au cœur du quartier côtier d’Alma, à la fois sanctuaire d’artistes de tout poil et institution culturelle de la ville, gérée par sa mère disparue depuis quelques jours. Nous décelons dès les premières lignes de dialogue et les introspections de notre héroïne un schéma familial pour le moins… compliqué.

Les Naïades, souvenirs du passé

Alors qu’elle arrive dans la chambre de cette dernière, un pendentif dégageant une mystérieuse aura bleue s’anime, se met à flotter et la guide vers la salle de bains avant de plonger dans la baignoire pleine dans laquelle il disparaît. Ni une ni deux, notre personnage le suit sans se poser de questions, pour débarquer dans un monde parallèle des plus surprenants.

Tu restes au pays des Merveilles et on descend avec le lapin blanc au fond du gouffre

Nous sommes accueillis par l’Aspiration Félicité, incarnation des rêves et de l’enfance, fort surprise par notre arrivée inopinée. Elle est l’archétype caricatural de la geekette, au look de punkette tendance Misfits de Jems et les Holograms, souligné par son activité vidéoludique interrompue lors de notre arrivée ainsi que les nombreux émotes pixélisés qui ponctuent ses différentes réactions. Son attitude éminemment enjouée nous invite à la classer d’emblée comme personnage gentil et insouciant, ce qui est confirmé par les informations du Codex du jeu (sponsorisé par MK, quelle ironie !), mises à jour à chaque nouvelle révélation et disponible à tout moment. C’est elle qui nous initie à l’utilisation de la Mantique, l’interface décisionnelle qui est au centre du gameplay.

Conseil pertinent de Félicité

Histoire de contrebalancer toute cette bonne humeur initiale, après un choix basique “Action ou Vérité” ainsi que quelques informations éparses offertes sur les personnages qui vont nous accompagner ultérieurement, nous rencontrons Pouvoir, la seconde Aspiration. Ce vieillard aux faux airs de Saroumane bodybuildé en costume et à la coupe militaire est beaucoup plus grave et sérieux que Félicité et nous dévoile, avec un certain sens de l’emphase et des intonations dramatiques, l’ampleur de notre tâche : rien de moins que la sauvegarde des deux mondes. L’objectif principal restant, bien entendu, de retrouver notre mère apparemment liée tout comme nous à cet univers onirique.

Pouvoir, toujours dans la finesse

Nos deux acolytes représentent donc notre premier contact avec Rêverie, le royaume miroir de la réalité. Dans ce monde, nous sommes Harmonie, l’Oracle unique pouvant interagir directement sur les deux plans d’existence, le monde réel étant désigné sous le patronyme de “Fatal”. Tout un programme. Car nous constatons rapidement qu’il y a fort à faire pour rétablir l’équilibre : Vérité a été victime d’un regrettable “accident”, Lien n’a pas répondu immédiatement à l’appel et Chaos refuse le dialogue. Quant à Gloire…. Humm, tout vient à point à qui sait attendre.

Venez, laissez la révolution prélever son dû

Une fois de retour dans le monde réel, des protagonistes un peu moins… typés se présentent à nous. D’abord Nora, notre “sœur” timide et influençable, puis le fameux Laszlo, son grand-père et tuteur très paternaliste (et accessoirement notre beau-père… Vous suivez toujours ?).

Faire confiance, ou s’opposer

Il partagent avec nous leurs peurs, envies et aspirations pour l’avenir, avec en fil rouge notre mère, disparue mais pourtant omniprésente. Le poids écrasant de l’entreprise MK sur la vie des citoyens d’Atina se dévoile petit à petit, ainsi que la présence de ruines d’une ancienne civilisation sur l’île bien entendu en rapport avec le monde de Rêverie.

Au fil des cinq actes de l’histoire, notre petite bande hétéroclite de rebelles face à la suprématie de l’ogre capitaliste sans visage se forme, s’organise et part à l’attaque, avec des moyens relevant parfois d’un deus ex machina en manque d’inspiration. Le stoïcisme avec lequel l’ensemble des personnages adopte certaines révélations pour le moins surprenantes qui émaillent le scénario ou accepte de prendre de gros risques sans justification valable est juste effarant.

MK, le Mal capitaliste incarné

Nous assistons ainsi à des échanges fabuleux où la seule pensée qui nous vient est “Les incohérences, c’est magique !”. Tout ceci nous confirme que Harmony : The Fall of Reverie se déroule bien dans un monde fantasmé, “nous” les gentils contre le reste du monde “méchant”.

Un grand pouvoir implique… Oui, oui, je sais

Intéressons-nous maintenant à la Mantique, l’interface qui représente notre progression dans l’histoire. Mi-ligne temporelle, mi-arbre de type généalogique dans sa construction, elle se compose de nœuds représentant les choix que nous faisons pour l’avenir, choix qui d’ailleurs ne nous concernent parfois pas directement. Chaque nouvel icône présent sur les différents embranchements disponibles est expliqué au fur et à mesure, nous amenant bien entendu à des bifurcations excluantes. Notre vision du futur ne va malheureusement pas au-delà d’un certain point, souvent balisé par une décision à prendre plus importante que les autres.

Certaines d’entre elles nous allouent un ou plusieurs cristaux d’égrégore, la texture des rêves, matérialisant ainsi notre allégeance à l’une ou l’autre des Aspirations alors que d’autres nous en font perdre ou ne sont accessibles que via un échange. Ces “négociations” dignes de marchands de tapis karmiques (“Investis donc ton égrégore de Félicité et tu en recevras deux de Vérité, plus une révélation exclusive !”) entraînent une réflexion stratégique pour prévoir nos pertes et profits à l’avance, biaisant complètement la spontanéité de nos choix : un parti-pris très surprenant pour un jeu qui se veut basé sur des décisions “de cœur”.

Les choix indisponibles tentent d’instiller le regret

Plusieurs résolutions prises en amont nous ouvrent ou nous ferment évidemment des possibilités, parfois bien plus tard dans l’aventure. À la fin de chaque chapitre, l’égrégore gagnée est mise en réserve pour “acheter” la manière de clore l’acte en cours parmi plusieurs alternatives, chacun d’entre eux se composant de trois chapitres. Malgré les six types d’Aspirations qui les gouvernent (techniquement quatre, plus un élément perturbateur et une retardataire), nos choix sont la plupart du temps limités et extrêmement binaires. Soit nous privilégions le dialogue, la compassion et la sincérité, soit l’insouciance, la ruse et l’agressivité (toute relative, entendons-nous bien).

Lien, gourou ultime du dialogue et de la coopération

Nous impactons ainsi de manière importante les deux mondes, mais parfois le jeu nous prive de l’impression d’en avoir été les acteurs ou même les spectateurs, tant il se veut dirigiste par moments. Des séquences qui auraient mérité un traitement visuel impactant sont sommairement expédiées en quelques lignes désincarnées, laissant la part belle à des introspections flirtant parfois avec l’auto-apitoiement, compréhensible certes, mais traînant parfois en longueur.

Tout le monde sait que les dés sont pipés

Car oui, chacune de nos actions s’effectue obligatoirement via le menu de la Mantique qui impose de valider notre avancée à tout moment, qu’elle requière un choix de notre part ou juste un suivi linéaire (en nous agitant sous le nez les potentialités impossibles), souvent sur plusieurs nœuds de distance. Nous devons explorer parfois plusieurs embranchements pour récolter certains cristaux, afin de débloquer la suite de l’histoire de l’autre côté de la Mantique, ce qui est déroutant.

Beaucoup moins complexe qu’elle en a l’air

Ce morcelage intempestif, souvent forcé et inutile, brise complètement la dimension organique que nous sommes en droit d’attendre d’une aventure narrative. Qu’il s’agisse de demander l’avis d’un personnage (voir même de plusieurs) ou même d’initier un échange plus léger, seule la Mantique le permet, ou pas.

L’omniprésence de cette interface vire rapidement à l’intrusivité, nous empêchant de profiter de l’histoire dans de bonnes conditions. Certaines propositions sont même bloquées par une validation à plusieurs facteurs, demandant à la fois une certaine quantité d’égrégore ainsi qu’une décision antérieure précise. Pis, la progression (ou la narration) s’embrouille parfois en indiquant des liens de causalité qui sont impossibles à réaliser. Bref, l’interface de jeu aurait sans doute mérité plus de clarté et de soin, tout en la rendant plus discrète, laissant les intrigues et les interactions se développer beaucoup plus naturellement.

Ce sont toujours les meilleurs qui partent les premiers

L’un des sujets centraux, annoncé dès l’écran-titre, celui de la perte, est ainsi traité de manière arbitraire et uniforme, tel un long couloir fragmenté d’une incontournable descente aux enfers comme transition entre deux actes, ponctué par nos pressions répétées sur le bouton pour passer à la scène suivante. La peine et la douleur des protagonistes sont ainsi impitoyablement saucissonnées sans aucun respect en mini séquences de souffrance, parfois d’une poignée de lignes, demandant à chaque fois notre assentiment pour subir la suivante. Pour un peu, nous nous attendrions presque à voir un “Voulez-vous en savoir plus ?”, à chacun de ces insupportables retours à la Mantique. Dans tous les cas, l’effet dramatique d’accablement ne se transmet jamais à la personne qui tient la manette.

L’influence des Aspirations. Attention à l’équilibre !

De même, l’impossibilité de pouvoir consulter les décisions majeures prises en amont, via un résumé même succinct, interdit de bénéficier d’une vision d’ensemble (un comble !) et promet éventuellement de compliquer l’obtention de chacune des huit fins possibles. En l’absence d’une sélection de chapitres ou de fonctionnalités permettant de passer les dialogues déjà connus, la tâche s’avère longue et fastidieuse, augmentant ainsi artificiellement la durée de vie du titre.

Notons au passage que le Codex divulgâche certaines informations avant qu’elles ne soient abordées dans le scénario (que sont donc ces “oxiones” sur la description de la propriété familiale ?). Contrairement aux précédentes productions narratives du studio, aucune statistique consistant à comparer nos choix à ceux de nos amis et de la communauté n’est présente ; un manque certes anecdotique, mais un manque quand même.

Je vois tes vraies couleurs, c’est pour ça que je t’aime

Si les séquences animées sont dynamiques et de bonne facture, elles sont malheureusement courtes et beaucoup trop rares au fil de l’aventure, ponctuant le plus souvent la transition entre deux chapitres ou actes. Les environnements, modélisés en 3D avec un timide travelling en début de scène, sont néanmoins fort bien rendus et plantent des décors généralement chaleureux et plus rarement dantesques, principalement à Rêverie.

Les personnages sont montrés en plan américain et bénéficient d’animations sympathiques lors de leurs prises de parole, bien que redondantes dans les poses et gimmicks utilisés à force de les observer. Le liseré blanc autour du protagoniste “actif” des dialogues le fait cependant ressortir inutilement sur les décors, son pendant silencieux étant déjà ombré pour marquer son retrait. De plus, l’effet miroir utilisé lorsqu’un personnage est à droite ou à gauche de l’écran, même si c’est une technique couramment utilisée, est extrêmement dérangeant. Enfin certaines émotions intenses, comme la douleur ou la colère, ne sont simplement pas retranscrites ingame de manière convaincante.

Quand l’ordre et les mondes s’effondrent

Ce qui nous amène à la partie sonore du jeu. Le doublage est intégralement… en anglais. Rude constat, pour un jeu narratif réalisé par un studio bleu-blanc-rouge. Si ce choix s’explique par le côté multilingue du titre, nous supposons que l’utilisation du pronom épicène “they” passe beaucoup mieux dans la langue plus neutre de Shakespeare, dans un souci d’inclusivité. Le jeu d’acteur est néanmoins de très bonne qualité, faisant aisément passer les émotions par des intonations justes. Lena Raine, qui avait déjà œuvré sur Céleste, nous gratifie ici d’une bande son électronique et classique, à la fois discrète et planante. Nous regrettons cependant l’absence d’un thème principal fort représentant le titre.

Chambrage entre frangines

Le jeu est proposé en quatre langues pour les textes, obligeant de nombreux joueurs mondiaux à opter pour la version anglaise et offre trois emplacements de sauvegarde, sans possibilité néanmoins de pouvoir effectuer des copies de notre progression partielle. Techniquement, il n’y a pas grand chose à ajouter, d’un autre côté, ce ne sont pas une poignée d’animations et du texte défilant qui risquent de faire surchauffer les processeurs de la Xbox Series X.

Venez à moi, mes adelphes, communions dans la joie !

Harmony : The Fall of Reverie n’est au final rien de plus qu’un visual novel très classique et particulièrement manichéen. Les différents embranchements scénaristiques finissent par converger vers les mêmes évènements, peu importent les choix effectués, seule la manière d’y arriver influe sur l’égrégore gagnée, qui impacte principalement l’accès ou non à certaines fins. Il est donc inutile d’espérer la complexité impactante tant attendue ; tout comme à l’époque, “il est impossible de sauver Aerith”. La seconde moitié du titre est d’ailleurs beaucoup plus linéaire que le début de l’aventure, renforçant cette impression de déterminisme pas franchement agréable à certains moments, surtout au regard des promesses annoncées.

Gloire, échappée de La Matrice…

L’obligation faite de traiter avec certaines Aspirations est frustrante, à plus forte raison lorsque d’autres alternatives logiques mais non prévues par le scénario nous viennent à l’esprit. Leur pouvoir réel est d’ailleurs remis en question à plusieurs reprises, nous offrant une image particulièrement monolithique de l’incarnation de ces désirs humains, finalement égoïstes, faillibles et prévisibles.

Cette tentative de redéfinir ces Vertus cardinales et autres Péchés capitaux en mixant plusieurs de leurs traits pour créer les Aspirations est intéressante, mais incomplète, glissant invariablement vers une neutralité positive terriblement mièvre.

Chaos, toujours responsable mais jamais coupable…

Le casting chamaré majoritairement androgyne est cohérent et adapté pour un titre qui, s’il ne l’annonce absolument pas d’emblée, est définitivement “queer-friendly”, ce qui représente une continuité dans les productions du studio depuis plusieurs années. Certains personnages tels que Omar, mystérieux et déterminé, ou Chaos, insupportable mais attachant joker à la fois perturbateur et charmeur, sortent du lot et donnent corps à cette intrigue familiale et mystique qui part à la dérive.

Preuve de cette position militante assumée, l’écriture inclusive y est d’ailleurs de rigueur, une bonne partie des protagonistes, typiquement certaines Aspirations, étant présentée comme non-binaire. De quoi “ravir” les membres de la Ligue du Bescherelle qui n’ont aucune chance de survivre à cette expérience “traumatisante” sans y abandonner une bonne partie de leur santé mentale.

Test réalisé sur Xbox Series X

Bilan

On a aimé :
  • Une direction artistique originale
  • Des personnages intéressants
  • Une ambiance typique signée Don’t Nod
On n’a pas aimé
  • La Mantique, interface maudite
  • Une histoire finalement “sur rails”...
  • ...et manichéenne au possible
  • Une rejouabilité forcée
Ce n’est pas ma faute répondit le scorpion, c’est ma nature

Harmony : The Fall of Reverie porte au final fort bien son nom. La chute d’un rêve déséquilibré. La direction artistique inspirée, les personnages sensibles, le jeu d’acteur au sein des doublages et l’ambiance musicale contribuent grandement à la construction de cet univers original et complexe. Mais le titre est impitoyablement plombé par une interface de jeu inutilement complexe et poussive qui nous nargue en permanence avec un ersatz de gameplay et des choix illusoires qui n’en sont plus depuis longtemps. La promesse de décider “en toute connaissance de cause” en nous permettant quelque part de passer de l’autre côté du décor pour en maîtriser les mécaniques est loin d’être tenue et c’est en celà que le titre est déceptif. À réserver aux inconditionnels du studio français.

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Harmony : The Fall of Reverie

PEGI 16 Langage grossier

Genre : Aventure/Réflexion

Editeur : Don’t Nod

Développeur : Don’t Nod

Date de sortie : 22 juin 2023

Prévu sur :

Xbox Series X/S, PlayStation 5, PC Windows, Nintendo Switch