Testé sur Xbox One et sur Xbox 360
L’arrivée des nouvelles consoles n’aura pas changé grand-chose, l’immense majorité de la production continue de suivre des chemins balisés depuis des lustres. Des jeux qui sont des suites de licences connues, ou bien de nouveaux titres qui reposent sur des principes de gameplay éculés et traitent de thèmes et d’environnements vus et revus. Il est donc rafraichissant de voir débarquer un jeu comme Murdered : Soul suspect. Incarner un fantôme sur la piste de son assassin, voilà une formule qui s’écarte un peu des sentiers battus, et il faut donc au minimum s’intéresser à ce que propose Eidos, ne serait-ce pour encourager ce genre d’initiative.
Back from the dead, go back to the House of Pain
Ce titre de paragraphe, hautement référentiel pour les amateurs de hip-hop et de films fantastiques, résume assez bien la situation de notre héros. Ancien voyou au parcours marqué par la violence dont témoignent les tatouages de taulard qui recouvrent son corps, Roman s’est rangé pour devenir flic et pour couler des jours paisibles auprès de l’amour de sa vie. Tout semblait bien engagé jusqu’à ce que sa femme se fasse tuer, ce qui l’a fait sombrer dans une fuite en avant suicidaire, la vie n’ayant plus la même valeur. Cette pulsion non-avouée finira par trouver satisfaction quand le mystérieux tueur à la cloche l’abattra de sept balles dans le corps. Après avoir pris conscience de sa mort, Roman pensa de prime abord que ce n’était pas si mal. Après tout, il allait retrouver Julia. Sauf que pour sortir de ce purgatoire, il lui faudra d’abord terminer ce qu’il avait commencé…
Ce court résumé est ce qui est présenté à travers une belle cinématique racontant l’histoire de notre héros à travers les tatouages recouvrant son corps. La suite, c’est le corps du jeu. Le plaisir étant de découvrir toute l’histoire, il n’est pas question de dévoiler quoique ce soit ici. Disons juste que l’histoire, sans réserver de surprises stupéfiantes, est suffisamment bien construite et intéressante pour qu’on reste accroché à la manette avec l’envie de tout savoir. L’action se déroulant à Salem, ville tristement célèbre pour avoir brûlé de nombreuses femmes accusées de sorcellerie, on se doute dès le départ des ingrédients qui la composeront…
En pratique, l’essentiel du jeu consiste à mener un véritable travail de flic, c’est-à-dire à mener une enquête en collectant des indices et en faisant des déductions.
C’est un genre rarement exploité en jeux vidéo (à part la série Sherlock Holmes), et dans le cas présent le système proposé, plutôt simple sans être simpliste, donne vraiment l’impression au joueur d’être dans la peau d’un policier. Un flic un peu spécial, bien entendu, et donc doué de certaines limitations (il ne peut pas manipuler les objets ni s’adresser directement aux vivants), mais aussi de pouvoirs qui rendent l’enquête si particulière. On pourra ainsi faire ressurgir des scènes du passé, posséder les vivants pour lire leurs pensées ou les pousser à se remémorer ce qui nous intéresse. Bien entendu ces particularités constituent le charme du jeu. On cherche à collecter un maximum d’informations pour pouvoir les utiliser quand on possède quelqu’un et pour avoir ainsi toujours un train d’avance sur les « vrais » flics. L’originalité du concept est bien trouvée, et on ne peut que féliciter Eidos pour avoir mis en place un système qui ne bloque pas le joueur dans sa progression tout en le poussant à avoir un rôle actif dans l’enquête. Il faut toutefois être clair, si résoudre les enquêtes est valorisant, cela n’est pas très difficile, et on aura parfois l’impression d’être dans un livre interactif autant que dans un jeu. L’immersion compense cela, ce n’est pas aussi exagéré que dans les jeux Quantic Dream, mais il faut tout de même adhérer au principe de se laisser porter par l’histoire. Conséquence indirecte, l’aventure se termine en plus ou moins 7 heures, un peu plus quand on prend son temps pour collecter les objets et résoudre les quêtes annexes, ce que je conseille vivement.
Le diktat de l’action
J’imagine sans peine comment les choses se sont déroulées : l’enquête est bien le cœur du jeu, mais les développeurs n’ont pas osé se limiter à ce concept, pourtant fort. Ils ont donc ajouté des adversaires, des démons qui aspirent l’âme des fantômes, pour ajouter des scènes d’action à l’ensemble. Malheureusement ce n’est pas la meilleure idée qu’ils aient eue. Pour ne pas se faire prendre, il faut se cacher et se téléporter d’un résidu de fantôme à un autre, jusqu’à réussir à se placer derrière le démon pour le tuer. Une sorte de jeu de cache-cache plutôt laborieux, en partie à cause d’une maniabilité discutable, mais aussi à cause de l’inutilité même de ces péripéties dans le récit. Cela ne fait que ralentir le déroulement de l’histoire qui est pourtant le point fort du jeu. Les autres évènements, comme les quêtes annexes, l’exploration des lieux ou les petites énigmes à résoudre pour se rendre d’un lieu à l’autre, sont bien plus intéressants et auraient suffis à enrichir la trame principale.
Heureusement, ce point relativement faible ne suffit pas pour nuire à l’impression d’ensemble d’un titre qui regorge de qualités. La façon dont le scénario avance est très bien vue, avec de nombreux personnages qui ont bénéficié d’un soin évident, donnant corps à la crédibilité de l’ensemble. Cela participe à la cohérence d’un monde à l’ambiance très marquée donnant une forte identité au jeu. Alors que tant de jeu se ressemblent, cela fait beaucoup de bien d’avoir sur l’écran quelque chose qui sort de l’ordinaire ! Ce qui laisse d’autant plus de regrets sur les quelques insuffisances de la réalisation.
Techniquement, le jeu est proche sur Xbox 360 et sur Xbox One, même si, bien entendu, cette dernière propose des graphismes plus nets et propres. On pourrait traduire cela en disant que c’est plutôt joli pour de la Xbox 360, et plutôt ordinaire pour de la Xbox One, voire un peu à la traîne avec même quelques ralentissements de temps à autre. Ce n’est pas très grave, la Direction Artistique rattrapant sans peine la simplicité des graphismes. Le fait qu’on traverse les murs, ce qui est d’ailleurs plutôt fun, provoque aussi quelques cafouillages de la caméra…Mais le vrai problème vient de la difficulté à correctement cibler objets, personnes et résidus fantomatiques. On se croirait revenu des années en arrière, dans ces jeux où on devait se placer au millimètre pour prendre un objet. Cette fois ce n’est pas le personnage qui doit être placé d’une certaine manière : il peut se trouver à deux centimètres de sa cible, si la caméra n’est pas correctement orientée, impossible d’interagir. On finit par prendre le coup, mais cela demeure agaçant, surtout dans un titre où on enquête et dans lequel on passe donc beaucoup de temps à examiner diverses choses…
La partie sonore s’en tire beaucoup mieux, même si les musiques ne sont pas ce qu’on va retenir. Bien que pas désagréables, elles restent dans le créneau des classiques des films d’horreur, et ne sont pas toujours jouées avec beaucoup d’à-propos. Par contre, les dialogues en Français sont d’une bonne tenue. Correctement, voir bien joués (le personnage principal), ils sont surtout bien écrits et naturels, nouveau témoignage de la volonté des auteurs de proposer un jeu avant tout basé sur son univers et son histoire.
Je terminerai en exprimant ma satisfaction de voir un jeu véritablement mature. Non pas parce qu’il y a du gore ou du sexe, mais parce que le sujet traité, bien que totalement fantastique, s’inscrit dans un cadre réel avec un traitement au premier degré. Murdered ne cherche pas spécialement à choquer, mais ne cherche certainement pas non plus le politiquement correct. Ainsi, Roman traverse la totalité du jeu avec au bec la clope qu’il avait au moment de mourir. Une idée toute simple et pourtant tellement évocatrice de la situation du personnage. Et même une idée culotée : avoir un héros qui fume, chose considérée aujourd’hui comme l’équivalent de tuer un enfant, ça ne court pas les rues…rien que pour avoir osé faire ça : merci Eidos.