Dark Souls - Quand la difficulté devient un élément artistique

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À la table des monuments de l’histoire du jeu vidéo moderne, la saga des Souls/Borne peut se vanter d’y avoir un beau siège. Pourtant, cette place attitrée n’a rien du confort de ses voisines. Il aura fallu quelques années et un deuxième épisode pour définitivement imposer From Software comme l’un des studios les plus importants et influents de ces dix dernières années. Lorsqu’on parle de cette saga, le premier mot qui surgit dans notre esprit est « difficulté ». Cet aspect a déjà été abordé de nombreuses fois, mais il serait réducteur de parler de difficulté sans considérer tous les tenants et aboutissants qui en résultent.

Cet article se focalise sur le deuxième épisode de la série des Souls, Dark Souls, pour quelques raisons évidentes. Il a été le premier à sortir sur différentes plateformes. Il est le plus équilibré dans son rythme et dans sa difficulté. Il est celui dans lequel les thèmes dont nous allons parler sont les plus évidents, comme la dépression, la folie, la peur de l’inconnu et la réussite par l’échec.

Chevaliers et métaphores

Cela fait plusieurs années maintenant que le jeu vidéo a mûri. Non pas qu’il soit devenu plus « adulte » en exacerbant une violence parfois grotesque et gratuite, mais parce qu’il fait naître en notre esprit des questions et réflexions que nous n’avions alors pas l’habitude de voir se manifester. Dark Souls, comme ses frères, n’est pas un jeu que l’on lance pendant 30 minutes après une journée de travail. Il est plutôt celui qui va nous accompagner pendant des sessions de plusieurs heures, et qui ne cédera son emprise que le lendemain.

Dark Souls se distingue en premier lieu par une chose inhabituelle pour un jeu de ce genre : la quasi-absence de PNJ (les personnages non jouables qui sont généralement conçus pour aider le joueur). Le premier sentiment qui surgit alors est celui de solitude. D’ailleurs, le premier PNJ que nous rencontrons n’est pas d’une grande aide et nous donnera simplement deux objectifs à réaliser sans la moindre précision. Nous devons donc apprendre à nous débrouiller seuls. Le peu d’assistance viendra de façon très ponctuelle, selon nos interactions avec certains PNJ ou par l’intermédiaire du système de coopération en ligne. Ces petits coups de main éphémères renforcent d’autant plus le sentiment de solitude pendant la majeure partie de l’aventure. Les personnages que nous rencontrons sont eux aussi très seuls. Il n’existe aucun signe de communauté. Néanmoins, certains seront prompts à nous enseigner leur savoir et nous accueillerons à bras ouverts, comme une échappatoire à leur solitude.

Tous les personnages que nous serons à même de rencontrer partagent une même caractéristique : ils semblent tous atteints de maladie mentale. Une maladie qui s’explique par leur existence solitaire dans une échelle de temps qu’on imagine immense, compte tenu de leur état de mort-vivant. Certaines personnalités que nous croisons présentent, en premier lieu, un aspect comique, décalé du monde qui les entoure. On imagine facilement le traumatisme derrière chaque réplique. Très loin de l’excentricité, on parle ici tout simplement de folie. Encore plus évident, c’est la dépression qui est mise en scène dans Dark Souls, mais nous y reviendrons dans un second temps.

Si le jeu utilise l’ancestral système de die & retry avec les ennemis toujours à la même position, ce n’est pas par simple trip nostalgique. La répétition des actions, la routine quotidienne, ce sentiment omniprésent de déjà-vu peuvent progressivement altérer l’esprit. Dans un autre contexte, la routine est synonyme de sécurité et de confort. Elle peut facilement devenir indispensable selon notre état émotionnel. Considérant cela, le monde de Dark Souls devient plus facile à appréhender. L’aspect routinier apporte à la fois une impression d’immobilité dans nos actions, mais aussi un sentiment de contrôle. Dans le cas du jeu, une progression plus aisée et une difficulté moindre. La routine devient alors un mal nécessaire pour affronter la vie. Quand on évoque la vie, on ne peut pas ignorer la mort. C’est habituellement un thème propre aux survival horror, dont la famille des Souls/Borne a hérité de façon audacieuse. On se souvient tous du fameux slogan « Prepare to die » lors des présentations pré-lancement. Celui-ci n’a rien d’anodin vu la quantité de décès enregistrés au compteur de notre avatar. Le jeu va même encore plus loin en utilisant les âmes comme monnaie et points d’expérience. On peut facilement y voir une métaphore de la réussite par l’échec, où chaque faux pas nous fait grandir. Le simple fait de devoir retourner sur le lieu de notre « décès » pour récupérer les âmes perdues (et donc l’expérience) ne fait que renforcer cette métaphore. Tous ces aspects participent non pas à justifier, mais plutôt à mettre en valeur la difficulté qualifiée de légendaire (à tort), en lui donnant un sens.

Plaire à tout le monde, c’est plaire à personne

Quand une équipe de développement (menée de main de maître par Hidetaka Miyazaki) prend le parti d’imposer un niveau de difficulté unique, ce n’est pas par fainéantise et encore moins par fourberie. Dark Souls est d’ailleurs loin d’être le jeu le plus difficile du monde, et encore moins le seul à ne proposer qu’un unique mode de difficulté. Quand on y réfléchit, les différents niveaux de difficulté agissent généralement sur la résistance de notre personnage et celle des ennemis. Imposer une difficulté unique, c’est imposer une vision précise. Si vous trouvez idiot de regarder le film Memento monté « à l’endroit », alors vous voyez de quoi je parle. Dans le même esprit, il n’y a rien de pire que de se retrouver face à un long-métrage dont le montage a été rectifié par la production pour une meilleure compréhension. Avoir des options d’accessibilité (audiodescription pour un film, aide à la visée pour un jeu, etc.) est une chose, modifier la structure même d’une œuvre en est une autre. Pour notre sujet ici, avoir des ennemis moins résistants aurait été absurde tant cela irait à l’encontre même de la philosophie du jeu.

Cela permet aussi de mettre tous les joueurs à égalité. Le jeu vidéo, étant un art à part entière, a la capacité de réunir les gens. Chacun peut avoir sa propre interprétation du moment que le matériau brut reste identique. Comme nous l’avons vu plus haut, les passages les plus difficiles peuvent être joués en coopération avec des joueurs en ligne et aussi parfois avec l’aide d’un PNJ. Chaque joueur partagera donc une expérience de jeu identique durant la session, les seules différences étant leur équipement et leur maîtrise du jeu. En parlant de ça, il n’est pas indispensable d’amasser les meilleures armes et armures possible pour terminer le jeu. Il est tout à fait envisageable de voir le générique de fin en conservant notre équipement de base. Quel autre action-RPG peut s’en vanter ? Preuve en est que la difficulté de Dark Souls est conçue de façon intelligente.

Il serait néanmoins idiot de considérer les Souls comme des jeux faciles, bien au contraire. Le défi est bien présent, mais sera amplifié si l’on ne prend pas quelques instants pour se remettre en question. On peut être rebuté par Dark Souls pour deux raisons. La première est sa réputation de jeu très difficile où le moindre petit squelette peut nous tuer (ce qui n’est pas faux). La seconde est l’effet de surprise, lorsqu’on ne connaît justement pas sa réputation et qu’on se retrouve dans ce vaste monde sans tutoriel, sans carte, livré à soi-même. Dans les deux cas, le jeu nous apprend à aller au-delà de ses appréhensions, à agir avec méthode et d’ouvrir nos chakras à l’apprentissage. C’est ici que nous trouvons le parallèle avec la dépression.

L’un des symptômes les plus envahissants de la dépression est le sentiment qu’on ne peut pas y arriver, peu importent nos efforts. Il y a constamment une petite voix qui nous dit « laisse tomber, t’es trop nul, abandonne ». Dark Souls peut sembler aller en ce sens car il bouscule nos habitudes. Pour arriver à vaincre cela, il faut prendre chaque petite difficulté comme un objectif à atteindre. Dark Souls est rempli de ces petites difficultés, qui peuvent devenir un cauchemar si l’on n’essaie pas d’y aller à notre rythme. Chaque échec devient un apprentissage et la routine nous aide à trouver la voie. Petit à petit, on entre en confiance. On peut demander de l’aide dans les moments les plus compliqués. Puis vient l’affrontement contre un boss où la panique reprend le dessus, accentuée par la musique d’habitude absente. La victoire devient alors un moment d’accomplissement très fort. Puis on trébuche à nouveau contre le petit squelette qui attendait derrière la porte suivante.

L’aventure dans Dark Souls est remplie de contrastes, entre la routine calme sans la moindre musique et les combats de boss parfois surprenants accompagnés d’une musique tonitruante. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la première partie du jeu nous demande d’aller faire sonner une première cloche tout en haut d’une tour, puis d’aller faire sonner la deuxième dans les profondeurs de la Terre. Si nous restons cloisonnés dans la peur de l’échec et de l’inconnu, il ne sera pas possible d’avancer et comprendre le monde qui nous entoure. En cela, notre plus redoutable adversaire, c’est nous même.

Fais-le, ou ne le fais pas, mais tu peux essayer

Dark Souls est l’un de ces trop rares jeux vidéo à nous donner un contrôle total sur nos actions. Rien ne nous empêche d’attaquer et tuer tous les PNJ rencontrés. Au-delà de ça, le level design est conçu pour nous donner énormément de marge de manœuvre. C’est à nous de choisir le chemin qui nous paraît le plus approprié, le plus rapide, le plus facile. Les ennemis n’ont pas de « niveau » à proprement parler, mais ont tous une barre de vie visible à la première attaque réussie. Un ennemi trop coriace est signe d’une zone dangereuse. Mais comme les niveaux sont interconnectés, il y a toujours des accès alternatifs pour progresser. Des accès pas toujours imaginés par les développeurs d’ailleurs, c’est là tout l’intérêt de l’expérimentation.

Car oui, le gameplay est suffisamment permissif pour nous laisser libres d’explorer à peu près n’importe où. Comme les ravins et autres rebords sont dépourvus de murs invisibles pour nous empêcher de tomber, il est possible d’accéder pratiquement à n’importe quoi et de couper de grandes portions de niveaux. L’audace prend souvent l’avantage sur le skill dans Dark Souls et pas seulement pendant les phases d’exploration. Les combats aussi peuvent passer de quasi impossibles à enfantins après une petite expérimentation, y compris contre certains boss (faire tomber le Chevalier Noir dans le vide est un petit bonheur). C’est là qu’on se rend compte de l’intelligence apportée à la conception du jeu, il suffit parfois d’être malin pour s’en sortir.

Une fois compris et assimilé, ce contrôle rend le jeu bien moins ardu qu’il n’y paraît. L’échec ne devient pas pour autant de l’histoire ancienne, mais il devient bien plus facile à digérer et à comprendre. La difficulté et la progression sont pensées pour que chaque joueur trouve son rythme, quitte à farmer plusieurs fois la même zone pour monter en compétences et s’approprier les lieux. Un joueur préférant explorer de nouvelles zones sera peut-être récompensé par une nouvelle arme ou armure. Un joueur peut finir le jeu en étant niveau 85 avec 60 heures de jeu à son actif et un autre en étant seulement niveau 30 et en mettant deux fois moins de temps. C’est le joueur qui crée son mode de difficulté.

Au final, Dark Souls est un jeu accessible à tous mais possédant malgré lui une réputation exagérée quant à sa difficulté. Sa façon de donner les clés de la boutique au joueur, l’intelligence de son gameplay, son équilibre et ses thématiques abordées... Tout cela mérite que l’on sorte de nos a priori pour aller vivre l’une des aventures les plus inoubliables de la décennie.

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Dark Souls Remastered

PEGI 16 Violence

Genre : Action RPG

Editeur : Namco Bandai

Développeur : FromSoftware

Date de sortie : 25/05/2018

Prévu sur :

Xbox One, PlayStation 4, PC Windows

5 reactions

tryclo999

11 avr 2021 @ 16:21

J’avais adoré le premier DS en grande partie pour tout ce que tu explique, par contre j’ai détesté le 2 avec sa mécanique de perte de vie max... C’était vraiment bizarre car a cause de ca on finissait par avoir peur de tout et du coup je ne tentais plus rien... J’ai lacher le jeu rapidement alors que ma partie sur le 1 avait duré plus de 100 heures. Le 3 m’a pas mal plus mais il lui manquait cette map magique qu’avait Dark soul 1, ou tout était imbriqué, cohérent, sans coupure. Je l’ai presque finit mais je sais pas, la magie du 1 n’était plus.

Dans le 1, sans connexion internet, je l’ai fait comme ça, on se sentait réellement seul, on faisait des érreurs, mais avec du courage, on y arrivait ! Mais c’est surtout qu’on avait jamais vu un Dark soul ! Et ca changeait tout. Maintenant c’est une formule connu, toujours inégalé a mon avis, mais on en a l’habitude. J’attend le jeu qui me proccurera des sensations forte comme Ds1, mais je suis sur d’une chose, ça ne sera pas un Dark soul like !

Flash Killer

11 avr 2021 @ 19:26

Fais-le, ou ne le fais pas, mais tu peux essayer.
Très bon passage. On en redemande de ce genre de jeu avec un game design intelligent, et un gameplay permissif.

@Tryclo999 : Oui la map du 1er DS était exceptionnelle, sa cohérence et le fait que tout soit connecté, invite autant à admirer l’environnement, qu’à refaire le jeu plusieurs fois, car le start pouvait énormément varier. Dark Souls m’a mis une claque comme m’en ont mis FF7 ou Morrowind.

J’avais également fait ma première run en solo, et oui c’était un sentiment inégalé, face à la découverte de nouvelles mécaniques.. Déjà je n’avais pas l’habitude de fuir dans les jeux vidéo. Généralement dans les JV, ont peut tomber sur des ennemis coriaces, mais pas des machins qui te one-shot, encore moins dès les premières minutes de jeu. D’où mon mon incompréhension face au démon, dragon et j’en passe.

Dans Dark Souls on est d’emblée confronté à bien plus fort que soit, et aussi à devoir tirer un avantage de l’environnement. C’est pour moi la grande leçon de Dark Souls ! Ce jeu ne donne pas se sentiment d’être un joueur qui va devoir battre une IA, mais plutôt celui d’être un aventurier qui doit peser chacune de ses actions et décisions. Il est souvent question de savoir quand retourner au feu de camp, quand renoncer pour mieux revenir. Et donc de bien se mesurer soit et l’adversité.

Il faut souvent fuir, comme dans d’anciens RPG, mais on peut aussi parfois surmonter l’insurmontable. Comme tuer un chevalier noir* ou démon et dragon en early. Pour y parvenir il faut de l’expérience (back stab), de l’intelligence, du sang froid, du skill, les bonnes stats, le bon équipement... Et quand l’ennemi est vraiment trop coriace il reste toujours l’environnement (attaque chutes, le vide, les pierres qui roulent, le feu, etc...). Mais là j’ai un peu le sentiment de paraphraser. ^^

Dans ce dilemme de tuer/fuir, savoir si c’est le bon ou le mauvais chemin, aucun des souls n’est aussi bon que le 1er. Surement pas le 2, trop linéaire avec son Nexus. Le fait que la vie se dégradait donnait en effet un sale sentiment, surtout pour l’exploration. C’est le seul que je n’ai jamais refait.
Le 3 a tout un tas d’éléments fantastiques qui rappellent le 1er, mais la map n’arrive pas à la cheville de celle du 1er, et de tous les enjeux qui en découlent. Par contre le multi, la coop, et les serments dans le 3 sont juste au top, et donnent lieu à des batailles épiques où tout peut vite se retourner. Et les DLC de DS2 et 3 sont très sympas aussi.

J’ai aussi envie d’évoquer en vif : les secrets, la verticalité, les queues des boss ^^.

tryclo999

12 avr 2021 @ 10:31

Morrowind <3

S’il pouvait ressortir en remake hd, tout en gardant son identité et son coté simulation, en version exclu Xbox... Ha le rêve !

avatar

Cavaseb

Rédaction

12 avr 2021 @ 17:43

Super article, Bravo ! Quand on a fait les Dark Souls, on ne peut que valider et encourager ceux qui sont passé à côté de s’y mettre !

Pour ma part, j’ai adoré le 1 sur lequel j’ai sué sang et eau pour avoir les 1000G. Le 2 m’avait un peu déçu par le manque de cohérence du level design (genre on prend un ascenseur en haut d’un donjon pour arriver dans un désert ?!? WTF), alors que j’avais trouvé que le 3 justement renouait avec le concept de la map hyper connectée. Par contre je l’avais trouvé beaucoup moins dur que les 2 premiers (ou alors j’ai dû m’habituer, je sais pas...)

J’hésite encore à me mettre sur Sekiro... J’attends la promo que je ne pourrai pas refuser, mais sont statut de GOTY 2019 le maintient à un prix très haut !

Flash Killer

14 avr 2021 @ 11:23

@Cavaseb : Sekiro est vraiment hard.