Après le succès de The Walking Dead, Telltale reste sur le créneau de l’adaptation de comics plutôt mature et à la réputation flatteuse. Il s’agit cette fois de Fables, édité aux US par DC dans leur collection Vertigo (projets originaux hors super-héros). Ce choix peut paraître surprenant, mais se révèle diablement efficace car fonctionnant très bien auprès des joueurs qui ne connaissent pas le matériau de base. C’est même l’occasion de découvrir un univers furieusement original, dont s’est probablement inspirée la vague de transpositions dans le quotidien de l’univers féérique qui a déferlé sur les écrans (Grimm, Once Upon a Time et autres).
Qui a peur du grand méchant loup ?
L’histoire se déroule à Fablestown, un quartier dans lequel se sont réfugiés les habitants des contes et légendes, se mêlant aux humains en dissimulant leur apparence derrière des charmes magiques.
Ce lieu est tout sauf une maison de retraite pour légendes fatiguées. Au contraire, c’est une véritable allégorie de la vie des immigrants qui nous est racontée. Se payer des charmes coute cher, et ceux qui n’ont pas les moyens se retrouvent expulsés à la ferme, lieu qu’on ne verra pas mais qu’on devine être une sorte de réserve. Ils sont prêts à tout pour rester, basculant pour les moins nantis dans l’illégalité, que ce soit le crime ou la prostitution. Au milieu de tout ça, nous prenons le contrôle de Bigby Wolf (alias Big Bad Wolf, alias Le Grand Méchant Loup), shérif des lieux qui tente manifestement d’expier son passé. Sa volonté est sans cesse confrontée au souvenir que les autres habitants ont de lui (son ennemi juré est le bucheron), et il reste évident qu’il ne faut pas trop le pousser pour que la bête reprenne le dessus. Dès le début du jeu, on est confronté à un crime atroce, et on ne peut pas dire que l’enquêteur va être bien reçu en suivant la piste qui va le mener jusqu’au meurtrier…
Comme d’habitude, l’histoire est le point fort de cette production Telltale. Dans une ambiance de série noire, c’est en suivant le fil rouge d’une enquête empruntant un chemin tortueux qu’on découvrira un monde jouant sur l’anthropomorphisme, l’allégorie ou la métaphore, et sur le renversement des valeurs communément admises. L’enquête en elle-même est déjà intéressante, même si elle n’évite pas quelques incohérences et raccourcis vite balayés par le rythme de l’action. C’est surtout le sens de l’histoire qui en fait une remarquable réussite. La leçon principale à en tirer est que les apparences sont trompeuses : les ogres font preuve d’humanité, les princesses finissent putes, souvent victimes, Blanche-neige est une gouvernante bien loin de l’ingénue chanteuse des bois, etc… Mais au-delà de ça, sans jamais prendre un ton moralisateur, The Wolf Among Us nous parle d’exclusion, de marginalité, de ce qu’on peut être amené à faire par désespoir, ainsi que des efforts qu’il faut déployer pour ne pas être une victime ni un bourreau, bref, pour être juste quelqu’un de bien. Attention, je décrypte là ce qu’on trouve dans le jeu, mais il n’y a rien de rébarbatif : tout cela est induit avec un naturel désarmant par le déroulement de l’histoire et par les réactions des protagonistes. Ainsi, l’étrangeté de cet univers est présentée comme une normalité entraînant chez le joueur une suspension d’incrédulité immédiate. Bien entendu, l’ensemble, bien que très noir, reste fun grâce à l’amusant jeu du who’s who entre les personnages de conte et ce qu’ils sont en « réalité ».
Concernant la narration, l’autre superbe succès de Telltale est d’avoir réussi à provoquer une empathie immédiate avec BigBy en un temps incroyablement court. Grâce à des dialogues d’une précision redoutable, on ressent le combat intérieur chez le personnage, cherchant à faire le bien tout en luttant contre son irrépressible envie de botter le cul de ses contradicteurs. L’identification fonctionne à la perfection, et le joueur lutte lui-aussi pour se contenir…Tout en explosant de temps à autre, lassé de ne pas rendre les coups. Ce personnage est complexe, profond, et est un superbe vecteur d’émotions pour le joueur. Après The Walking Dead et Lee, ils l’ont refait avec BigBy. Bravo Telltale !
Un comics live
Visuellement, The Wolf Among Us est probablement le jeu de Telltale le plus abouti. Le travail réalisé est juste bluffant. L’ambiance de série noire est parfaitement représentée, à travers des effets d’éclairages très prononcés, et chaque lieu renforce cette impression générale. Tous les personnages sont juste parfaits, suffisamment normaux pour être ancrés dans la réalité, mais avec un petit quelque chose d’exagéré qui révèle leur nature surnaturelle. Le style choisi colle parfaitement avec l’histoire : rien n’est vraiment clean. Il y a toujours une chemise qui n’est pas bien rentrée dans le pantalon, ou bien un carton qui traine par terre… De petits détails, mais qui font toute la différence et qui témoignent du soin apporté à l’ensemble pour lui donner une cohérence totale.
On pourra tout au plus reprocher des démarches encore un peu raides (même si plus fluides que dans The Walking Dead). Le gameplay reste très basique, entre le point’n click classique et des QTE plutôt dynamiques, ce qui a au moins l’avantage de ne pas polluer l’histoire. Dommage que celle-ci soit au final bien peu impactée par nos choix, même si l’aspect dirigiste propre aux jeux Telltale est plutôt bien dissimulé. Au niveau du son, que ce soient les acteurs ou les musiques, c’est là encore très, très bon. Ainsi, il n’y a pas de mauvais comédiens qui viendraient gâcher les excellents dialogues du jeu. Enfin, et c’est important de le souligner après les adaptations bâclées de The Walking Dead Saison 1 et surtout saison 2, la version Xbox One ne se retrouve pas impactée par des freezes venus de nulle part, et a le droit à des sous-titre français tout à fait convenables.