La culture toxique chez Ubisoft a beaucoup fait parler d’elle ces dernières années et presque rien ne semble avoir changé si l’on en croit de nouvelles informations partagées par Insider Gaming ainsi qu’une ancienne développeuse qui a décidé de parler.
Sale ambiance sur le développement de XDefiant, rien n’a changé ?
On pouvait imaginer que les choses se soient améliorées chez Ubisoft depuis les nombreuses accusations de harcèlement au sein de la société en 2020, 2021, 2022 et 2023. Mais de nouvelles informations partagées par Insider Gaming et un nouveau témoignage semblent montrer qu’il reste encore bien du travail.
Insider Gaming, qui dit disposer de plusieurs sources proches du développement de XDefiant, dépeint aujourd’hui un climat plutôt nauséabond au sein des équipes de développement du jeu qui devait sortir au mois de mars, mais qui, visiblement, sera une fois encore repoussé.
Le média indique que les lacunes de XDefiant seraient dues à plusieurs cadres et directeurs du projet, que la grande majorité de l’équipe appelle en interne « The Boys Club ».
Au début, « The Boys Club » était le nom donné à quelques individus triés sur le volet qui causaient des problèmes constants au développement du jeu, et le terme était collectivement accepté par certains membres de l’équipe pour ressentir un sentiment de camaraderie. Mais quelques années plus tard, ce groupe s’est élargi à une douzaine d’individus, hommes et femmes confondus, et le terme s’est transformé en quelque chose de beaucoup plus amer au sein du studio. Le groupe a été à l’origine de délais non respectés, d’un environnement de travail toxique et du départ de plusieurs personnes du projet, ont déclaré des sources.
Les sources évoquent une culture de travail toxique sur XDefiant ainsi que du crunch, si bien que le nom du « Boys Club » se serait répandu vers d’autres studios d’Ubisoft. En plus du manque d’éthique au travail et du comportement désagréable et l’ego de ces individus qui « ont créé un lieu de travail vraiment malsain » il est évoqué que « l’un des membres n’a aucune expérience en matière de conception ou de relations humaines et s’est vu confier des pouvoirs de direction en raison d’amitiés personnelles », selon l’une des sources. « L’un des membres a l’habitude de traiter les gens très mal et a fait l’objet de plus de rapports de RH que je n’en ai jamais vus », a déclaré une autre.
Une ancienne développeuse témoigne
Suite à l’article, Lisette Titre-Montgomery a décidé de parler. Elle a travaillé chez Ubisoft de 2015 à 2017 avant d’arriver chez Double Fine Productions pour ensuite co-fonder son studio, Cornerstone Interactive Studios. Elle explique que ce qui est dit dans l’article est précisément la raison pour laquelle elle a quitté Ubisoft.
C’est pourquoi j’ai quitté Ubisoft SF pendant le SPTFB.
Les « Boys Club » sont des abuseurs notoires. Y compris les violences domestiques. J’étais constamment insultée verbalement. On m’a traitée de « salope stupide » devant mon équipe.
Lors d’une réunion à laquelle j’ai assisté, on a écrit « Ni**er » (Hard ER) sur un tableau blanc. Les brimades étaient monnaie courante, tout comme les coups bas. J’étais régulièrement et délibérément exclue des réunions de direction et des décisions qui affectaient mon équipe et les processus.
Ce type de comportement était si répandu que plusieurs autres membres de l’équipe ont fait une dépression mentale au cours de leur mandat. Même si je voulais me plaindre aux RH, je ne pouvais pas le faire. Mon patron couchait avec la femme qui dirigeait les ressources humaines du studio.
J’ai des amis qui ont connu la même culture dans d’autres studios d’Ubi à travers le monde, à commencer par le comité éditorial de Paris dont les abus sont également bien documentés... mêmes histoires à Montréal et dans les studios philippins.
La merde continue de dévaler les pentes. Sans aucune responsabilité.
Un peu plus loin, Lisette Titre-Montgomery dit qu’elle écrirait un livre « un jour » à propos de cette industrie, « car ce n’est même pas le dixième des conneries que j’ai subies. » Elle conclut par « Cette industrie est un spectacle de merde que personne ne veut regarder. »
L’ambiance toxique d’Ubisoft documentée depuis 2020
Nous avons largement couvert les affaires de harcèlement chez Ubisoft de ces dernières années. On peut dire que tout a commencé à sortir dans la presse au cours de l’année 2020 durant laquelle plusieurs employés témoignaient d’une culture très toxique au sein d’Ubisoft. La même année, on apprenait que Tommy François avait été mis à pied et que Maxime Beland avait démissionné, deux noms qui sont souvent remontés dans les discussions qui faisaient état d’une certaine impunité dans les hautes sphères de la société.
Violences sexuelles et sexistes, harcèlements et humiliations publiques ont été détaillées par plusieurs salariés, mais malgré une volonté publique de lutter contre ces agissements, le groupe d’employé nommé « A Better Ubisoft » dénonçait encore un an plus tard une indifférence de la direction face au harcèlement. Le groupe demandait, entre autres, d’arrêter de promouvoir et de déplacer les délinquants connus d’un studio à l’autre, d’une équipe à l’autre, sans aucune répercussion. « Ce cycle doit prendre fin » écrivait-il en novembre 2021 avant de rappeler en février 2022 que la direction n’en faisait pas assez et qu’il restait encore beaucoup de chemin à faire.
« Nous sommes conscients que la société a fait quelques améliorations, et nous sommes heureux d’entendre qu’Yves et l’équipe dirigeante conviennent que ce n’est pas suffisant. Cependant, Ubisoft continue de protéger et de promouvoir les délinquants connus et leurs alliés. Nous constatons que la direction continue d’éviter cette question. Il convient également de préciser qu’une invitation à joindre personnellement la direction de l’entreprise n’est pas la même chose que d’avoir un siège collectif à la table. »
En janvier dernier, on apprenait que Serge Hascoët et Tommy François seraient jugés suite à l’ouverture d’une procédure judiciaire après un article de Libération sur les conditions de travail au sein d’Ubisoft en 2020. C’est le 6 février que trois anciens cadres de Ubisoft ont été convoqués au tribunal de Bobigny. Le journal Le Monde avait pu consulter le rapport d’enquête et faisait état d’un dossier de plus de 1000 pages contenant les témoignages d’une soixantaine de personnes. Le service des Ressources Humaines est également accusé de sourdes oreilles ou de tempérer la gravité des cas de harcèlement ou d’agression.
Les témoignages recueillis à cette époque révélaient, par exemple, un épisode au cours duquel Tommy François aurait demandé à l’une de ses collaboratrices de se tenir en poirier dans l’open space alors que cette dernière était vêtue d’une jupe. D’autres témoignages allèguent que l’homme avait également la fâcheuse tendance à lancer des films pornographiques sur les ordinateurs des équipes.
Serge Hascoët est également accusé d’avoir protégé Tommy François auprès des ressources humaines d’Ubisoft alors que celui-ci usait de sa position au sein de l’entreprise afin d’exercer des humiliations auprès de salariés qu’il avait alors sous sa direction.