Sorti début décembre, The Callisto Protocol était l’une des sorties phares de la fin d’année 2022, un titre attendu comme le fils spirituel de la saga Dead Space et pour cause, c’est Glen Schofield qui est à la tête de ce projet et du studio Striking Distance depuis 2019. Néanmoins, nous apprenons aujourd’hui que tout ne se passe pas aussi bien qu’on pourrait le croire en interne.
Des développeurs principaux et des piliers du projet « oubliés » dans le générique final
En effet, une vingtaine de membres de Striking Distance aurait été oubliée dans le générique final du jeu. Les employés concernés ont des rôles bien différents et travaillent dans des départements variés : des développeurs, des responsables ou encore des directeurs présents depuis un long moment, certains ayant même connu Glen Schofield chez Sledgehammer Games. Nos confrères de GamesIndustry.biz sont allés à la rencontre de cinq d’entre eux pour en savoir plus et l’un des développeurs exprime son amertume :
« Ça fait mal, c’est sûr. Ça craint. J’ai apporté une bonne contribution et j’ai travaillé dessus pendant un certain temps. Ne pas être là du tout, c’est merdique ».
Les sources appuient sur le fait que les employés omis ne sont pas des petits noms de l’équipe. Il s’agit de membres expérimentés, de pivots du projet méritant légitimement cette reconnaissance, « de personnes vraiment essentielles qui ont construit le studio » pour reprendre les termes d’une source. L’International Game Developers Association précise que les studios doivent créditer chaque membre de l’équipe ayant travaillé pour la société pendant au moins 30 jours, qu’il s’agisse de contractants ou d’employés partis avant la sortie du jeu.
« Je comprends si un entrepreneur fait une petite quantité de travail pendant quelques mois et est laissé de côté, mais nous parlons d’employés à temps plein qui ont investi plus d’un an dans le titre, et ont eu la main sur des parties importantes du produit. C’est de là qu’est venue la surprise pour beaucoup d’entre nous ».
Une autre source évoque un certain favoritisme, une hiérarchisation particulière dans les crédits. Certains ont été triés dans une catégorie « aide supplémentaire », d’autres dans une catégorie « divers » à la fin des 20 minutes de générique.
« Il y avait certainement une certaine dose de favoritisme avec les personnes qui ont été créditées. J’ai l’impression qu’ils ont choisi des personnes qu’ils appréciaient ou avec lesquelles ils avaient une certaine relation, et que celles-ci étaient créditées et pas les autres. »
La culture du crunch également présente chez Striking Distance
Aussi ambitieux et expérimenté soit-il, le studio Striking Distance n’est pas exempt de tout reproche concernant les conditions de travail des employés et notamment le respect des temps de travail. Cela fait un moment que le crunch est un sujet évoqué de plus en plus librement dans l’industrie du jeu et certains développeurs de Striking Distance en parlent.
« Il s’agit d’une culture assez intense de livraison et d’heures de travail intenses, ce qui est très bien. Le développement de jeux vidéo peut être intense, surtout lorsqu’il s’agit de livrer un produit de cette ampleur, et on ne trouve pas toujours le meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Le problème, c’est que ceux d’entre nous qui ont pris part à cette culture, qui ont consacré du temps et travaillé intensément à l’élaboration de ce produit, ont été punis par une omission de crédit pour ne pas avoir fait un effort supplémentaire... pour rester jusqu’à ce que le produit soit expédié. »
On peut notamment repenser à un message douteux publié par Glen Schofield l’an passé en pleine pandémie de COVID. Schofield se disait fier du travail fourni par son équipe 12 à 15 heures par jour, 6 ou 7 jours par semaine, malgré le contexte. Le directeur du studio avait supprimé son message, mais cela n’a rien changé à la situation réelle en interne.
Cette pression constante ne s’est pas arrangée au fil du temps et l’augmentation de la taille de l’équipe (près du double) durant la pandémie a considérablement changé l’organisation du studio, obligeant l’administration à organiser des réunions très régulières et intégrer les nouveaux venus.
« Les concepteurs que je connais travaillaient 10 heures par jour rien qu’en réunion. Ensuite, ils devaient craquer juste pour faire essentiellement le travail qu’ils avaient à faire ».
Les développeurs interrogés évoquent les incohérences de la direction de Striking Distance, soulignant à la fois l’importance du bien-être des employés et le fait de prendre son temps sur chaque tâche tout en rajoutant des missions permanentes et donc en encourageant les heures supplémentaires.
« Il y avait toujours un décalage entre ce qu’ils disaient en apparence et ce qu’ils disaient presque toujours quelques instants plus tard pour le contredire. »
« Ils ne vous donnent pas moins de tâches. C’est la même quantité de choses sur lesquelles travailler, et pourtant ils veulent que vous preniez tout le temps dont vous avez besoin ? La politique est de ne pas faire d’heures supplémentaires, mais vous en faites toujours. »
« Chaque fois que quelqu’un quittait le studio, il n’y avait aucune reconnaissance de son départ. C’est la seule entreprise dans laquelle j’ai travaillé où l’on apprenait une semaine à un mois plus tard que quelqu’un de l’équipe était parti. »
Un turnover assez important à partir du quatrième trimestre 2021
Avec ce contexte bancal, de plus en plus d’employés ont pris la porte et les développeurs restants soulignent le fait que la direction ne communiquait jamais sur les départs et qu’aucun mail d’adieu n’était partagé. Un processus particulier que Striking Distance aurait privilégié pour ne pas attirer l’attention des médias ni même des autres employés.
« Vous ne voyiez jamais ces emails. Il n’y avait pas d’emails de ce genre. Les gens partaient tout simplement. Oh, qu’est-ce qui s’est passé avec untel ou untel ? Il est parti. »
« Je pense que les gars de Sledgehammer aiment la loyauté. Et ils peuvent être punitifs s’ils détectent un manque de loyauté... L’omission du générique a été ressentie comme un désaveu évident par ceux qui ont été laissés de côté. Quelqu’un voulait envoyer un message, et le message était : »La prochaine fois, soyez un peu plus loyaux envers nous".
Pour finir, les sources interrogées ayant été omises du générique final n’ont pas de mal à exprimer leur déception après s’être investis dans ce projet. Selon eux, ce choix est incompréhensible et les raisons excessives.
« En fait, j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler là-bas, et je sentais que j’avais une excellente relation avec tout le monde dans l’équipe, jusqu’au C-staff et Glen. Je n’ai rien de mauvais à dire sur Glen... Le seul moment où il y a eu quelques frictions, c’était à la sortie, et je pense que les devs qui partaient étaient punis par des omissions de crédits. »
« Je n’ai pas passé un mauvais moment chez Striking Distance. J’aimais beaucoup mon travail, j’aimais l’entreprise, j’aimais les gens avec qui je travaillais, et j’aimais le jeu. Je ne sais pas si cela a été sans douleur, mais la transition a été aussi douce qu’il est possible de l’être. Je ne pensais pas qu’il y aurait un quelconque drame à ce sujet ».
Une sacrée histoire qui nous en apprend plus sur le développement de ce jeu tant attendu et l’ambiance au sein de Striking Distance. Reste à voir si le studio s’exprimera à ce sujet et si cela impactera leurs prochains projets si tant est qu’ils aient des idées en tête.
