>> Maintenant que vous avez pu déchiffrer l’inscription, vous pouvez ouvrir ce vieux coffre construit dans une matière noire que vous ne parvenez pas à identifier. À l’intérieur, un véritable fatras de babioles en métal.
>> Il faut qu’on trouve le médaillon du Shoggoth ! Je fouille !
>> Ça ne va pas être évident, fais un TOC, mais je vais t’appliquer un sévère malus.
>> De combien ?
>> Tu verras bien le résultat, mais tes chances de le trouver rapidement sont très minces.
>> 03, critique !
>> Parfait, tu peux te cocher. Tu repères le médaillon. Mac Grave, tu sens quelque chose couler sur ton épaule. Quelque chose de compact, comme une glaire visqueuse.
>> Je regarde au plafond !
>> Au-dessus de toi, une créature est accrochée au plafond. Tu as du mal à compter combien de têtes elle peut avoir au milieu de ses tentacules verdâtres. Que faîtes-vous ?
Le jeu des Grands Anciens
Cette introduction ne vous rappelle rien ? C’est que vous n’avez jamais joué à L’Appel de Cthulhu, le célèbre jeu de rôle édité par Chaosium. Se déroulant dans l’univers de Lovecraft, ce dernier nous fait jouer des investigateurs à la fin du 19e ou au début du 20e siècle. Au menu, des mystères, des dangers, de l’inconnu, des mondes non-euclidiens, et surtout la peur et la folie qui guettent à chaque instant. Pour ceux qui ne connaissent que les jeux vidéo, quand je parle de jeu de rôle, c’est du vrai qu’il est question : autour d’une table, avec un maître de jeu (un mélange de sadisme et de bienveillance, forcément), et des joueurs qui imaginent tout ce qui peut se passer. Vous l’aurez compris, j’ai passé beaucoup de temps sur l’Appel de Cthulhu, en joueur ou en maître de jeu. Autant dire que j’étais sacrément impatient de lancer cette adaptation.
On incarne un détective privé de seconde zone qui va tomber sur une affaire peu banale. Sur une île, une jeune peintre est morte avec toute sa famille lors d’un incendie. Enfin, morte… Ce n’est pas l’avis de votre commanditaire, qui est prêt à lâcher un gros paquet de billets pour qu’on tire cette affaire au clair.
Dès le départ, on est plongé dans un univers qui pose les éléments avec lesquels les amateurs de l’oeuvre de Lovecraft sont familiers. La ville est cafardeuse, en décrépitude, pleine de désespoir. Au milieu de tout ça, on est frappé de visions, de cauchemars, qui laissent à penser que les choses ne vont pas très bien se passer.
Très vite, on apprécie une chose importante qu’on attend forcément de ce jeu : la fidélité au matériau de base. Oui, il y a des cultistes, oui, il y a des scènes éprouvantes, et oui, les Grands anciens sont bien là. L’amateur est immédiatement happé par le jeu, en même temps qu’il réalise que la conception de jeu est elle aussi très ancienne…
Une génération de retard
Ainsi, si esthétiquement le jeu est souvent réussi, techniquement ce n’est pas tout à fait la même histoire. Les PNJ se ressemblent tous, et ne sont franchement pas très jolis. D’une façon générale, les visages ne bénéficient pas du même soin que dans The Council, pourtant du même studio. C’est même l’ensemble de la conception qui a un coup de vieux. Il y a beaucoup de rails, et donc peu de liberté (un comble quand on adapte un jeu de rôle), et certains passages sont même pénibles à jouer, en particulier toutes les phases « d’infiltration » entre des gardiens aveugles. En fait, c’est dans l’action que Call of Cthulhu échoue systématiquement. On en arrive même à regretter qu’il n’y ait pas quelques QTE pour donner un peu de dynamisme aux cinématiques qui se lancent à chaque moment tendu, comme autant d’aveux de faiblesse pour gérer cet aspect du jeu.
Les animations sont elles aussi discutables, semblant venir d’une Xbox 360, et la musique est elle aussi critiquable, ne parvenant qu’avec peine à soutenir l’ambiance du jeu. On aurait tellement aimé entendre un Olivier Derivière, par exemple, sur un jeu de ce genre. Cela fait beaucoup de points faibles, et pourtant !
L’essentiel est là
Autant les faiblesses sont patentes, autant Call of Cthulhu est traversé de fulgurances qui font qu’on se retrouve malgré tout accroché. La priorité a été mise sur l’ambiance, et c’est une belle réussite : l’ensemble est poisseux, et surtout baigne en permanence à la lisière de la folie, ce qui est un élément fondamental dans l’œuvre de Lovecraft. L’histoire reste classique, mais comporte des thèmes bien exploités et se suit avec plaisir (même si quelques raccourcis sont regrettables). Mais surtout, le feeling jeu de rôle est totalement là. Tous ceux qui l’ont pratiqué vont tout de suite augmenter leurs capacités en Trouver Objets Cachés, et vont être bien prudents en veillant à leur santé mentale. On retrouvera aussi l’importance des livres et des documents, qui font le charme de l’investigation : on peut avancer relativement vite (il faut compter 10 petites heures pour en voir le bout), mais si on veut tout saisir, si on veut profiter de l’histoire, notre curiosité nous pousse à réellement tout fouiller.
Des scènes spectaculaires, particulièrement réussies, font oublier les déceptions, créant un ensemble bicéphale avec des qualités aussi fortes que ses défauts. Apprécier ce jeu est sans doute plus difficile quand on n’est pas familier du jeu de rôle ou de Lovecraft, mais quand c’est le cas, c’est en fin de compte le plaisir qui l’emporte. C’est donc avant tout un jeu pour les fans : dommage que ses faiblesses n’en fassent pas un titre qui aurait pu servir d’introduction aux néophytes.