Jeu vidéo et écologie : un mariage difficile ?

«Quelle solution pour notre planète ?» le 3 novembre 2019 @ 11:002019-11-04T23:09:18+01:00" - 16 réaction(s)

Si la victoire des écologistes, et plus globalement des êtres humains sur terre qui souhaitent voir leur espèce préservée, est loin d’être gagnée, une chose est sûre : la prise de conscience est réelle. Impossible d’allumer la TV, de lire un journal ou d’aller sur les réseaux sociaux sans y trouver une mention relative à la préservation de notre planète, et plus généralement de notre espèce. Une tendance qui réjouit une partie de la population, qui attend depuis des années cette prise de conscience pour espérer voir des changements se profiler, mais aussi qui en agace une autre. Et pour cause : il implique d’abord de la part des puissants de ce monde une brutale et importante remise en question (il suffit de voir qui encense et qui insulte Greta Thunberg, vous verrez c’est édifiant), mais aussi et surtout pour nous autres citoyens, parce que le sujet est, il faut bien se l’avouer, super déprimant. Passé les scénarios catastrophes et apocalyptiques, nous sommes tous rattrapés par la réalité : nous sommes en train de foncer tête baissée vers une catastrophe écologique de grande ampleur, qu’on le veuille ou non, et les changements vont arriver, c’est inéluctable.

Un sujet d’autant plus difficile à aborder quand il touche au divertissement, car le jeu vidéo représente, pour bon nombre d’entre-nous, un moyen d’échapper à la réalité. Alors forcément, quand on commence à parler d’écologie et de la catastrophe qui détruira peut-être l’humanité à un public venu lire ici quel sera le prochain jeu qui leur fera oublier les petits tracas du quotidien, je n’ai aucun doute sur le fait que la section « commentaire » de cet article contiendra pas mal de rejet, voire carrément de déni. Étant moi-même collectionneur de jeux sur supports physiques, je me retrouve bien embêté à l’idée que l’on puisse me priver de mes boîtes, comme on a pu me priver des notices il y a quelques années pour les mêmes raisons. Bien sûr, on ne peut nier les motivations économiques derrière ces pseudos bonnes actions, mais la vérité est indéniable : combien de centaines de millions de boîtes sans notices sont en circulation ? Combien de millions de tonnes de papier a-t-on économisé depuis cette tendance ?

Arrive ensuite forcément la question du plastique. Je ne vais pas vous faire l’affront de vous expliquer à partir de quelle matière première il est fabriqué, en revanche je vais peut-être vous apprendre qu’environ 90% du plastique n’est pas recyclé. Toujours est-il que j’ai découvert très récemment l’initiative accompagnant la sortie de Football Manager 2020 : le jeu sera vendu dans une boîte en carton 100% recyclé, avec une notice en carton recyclé, une première dans l’industrie.

Rien que sur ce titre, ce sont donc des centaines de milliers, peut-être même des millions de boîtes en plastique qui vont être évitées. Imaginez maintenant l’impact que cela pourrait avoir si c’était appliqué à l’ensemble de l’industrie ? Sur 100% des jeux ?

Ce serait une avancée considérable, mais on peut sûrement aller plus loin. On pourrait aussi se dire que le dématérialisé serait la solution ultime. Vraiment ?

N’est-ce pas un poil ironique de trouver dans les grandes surfaces des jeux en boîte à 50€ alors qu’ils sont disponibles sans boîte et sans notice à 69.99€ en téléchargement ? La différence de tarif n’a rien à voir avec l’écologie bien sûr, mais c’est un constat globalement avéré, et surtout cela prouve bien que le téléchargement, s’il peut avoir des vertues écologiques face au physique, n’est actuellement pas vendu comme tel.

Le problème quand on commence à se renseigner sur ces sujets, c’est le manque criant de chiffres et d’études précises. Quand bien même on souhaiterait, nous joueurs, au niveau individuel, choisir le moindre mal par pure conscience écologique, il est très difficile de trouver des chiffres sur le sujet.

Alors certes, le téléchargement de jeux sur internet nécessite des infrastructures réseau importantes, allumées 24h/24h avec d’énormes fermes de serveurs, répliquées à travers le monde, le tout dans des Data Center quasiment réfrigérés, pour un coût énergétique colossal et surtout, une consommation en matières premières rares et polluantes (je vous invite à rechercher par exemple l’impact environnemental du silicium, qui compose la plupart de nos appareils). Mais d’un autre côté, s’il permet d’éviter des dizaines de millions de boîtes en plastique par an et tout ce qui va avec (énergie de fabrication, transport à travers le monde, points de vente etc.), on se dit que le bilan écologique est sûrement bien meilleur en dématérialisé. On pourrait aussi évoquer l’argument de la préservation, un sujet cher à beaucoup de joueurs, mais finalement, la problématique ne se situe-t-elle pas plus au niveau des DRM qui obligent des connexions obligatoires à des serveurs à la durée de vie éphémère, ou à l’impossibilité de copier et partager le contenu acheté sur une autre console ? Une protection contre le piratage certes, mais qui n’est pas sans impact si on considère le disque de jeu comme une autre forme de DRM.

Juste pour illustrer rapidement, faisons un petit calcul à la louche : la licence FIFA frôle les 300 millions d’exemplaires vendus à travers le monde (en incluant la démat bien sûr, mais c’est finalement un phénomène assez récent dans l’histoire de la série depuis 1993) : avec une moyenne de 100 g par boîte de jeu, la licence FIFA à elle seule dans le jeu vidéo pourrait représenter plus de 2.5 millions de tonnes de plastique dans le monde. Multipliez encore ce calcul par l’ensemble des licences de jeux et leurs ventes respectives, c’est tout simplement effrayant.

“Mais dis-donc Jamy, le téléchargement gagne des parts de marché tous les ans, les ventes de jeux physiques baissent, et on a même la première boîte en carton recyclé ! Pourquoi tu viens nous bassiner les oreilles avec tes sujets déprimants ?”

Simplement parce que l’avenir n’est pas rose. Les services de streaming existants type Netflix ont déjà un impact écologique colossal, et ce n’est que le début.

Stadia, xCloud, Playstation Now : le streaming de jeu, présenté depuis 10 ans comme la révolution du jeu vidéo, semble enfin vouloir prendre son envol. À la différence du streaming vidéo (qui n’est rien d’autre qu’un téléchargement de fichier vidéo stocké sur un disque dur à distance qui avance en même temps que la lecture), le streaming de jeu nécessite de faire tourner le jeu à distance. Concrètement, cela signifie que la puissance informatique nécessaire à l’affichage du jeu est déportée, et donc que quelque part dans le monde, une ou plusieurs cartes graphiques et processeurs tournent à plein régime, au fond d’un bunker climatisé.

On peut voir le verre à moitié plein, et se dire que comme pour tout serveur informatique, la mutualisation des serveurs “pourrait” voir l’impact global réduit, mais on pourrait aussi se dire que ces infrastructures disposent forcément du potentiel nécessaire pour que tous les utilisateurs du service puissent y accéder en même temps. Imaginez donc qu’en plus de toutes les consoles déjà existantes dans le monde, un volume similaire sera allumé 24h sur 24h, pendant des années, simplement en attendant qu’un badaud veuille bien s’y connecter.

De son côté, la technologie continue d’évoluer : plus de performances graphiques, des résolutions toujours plus élevées, donc plus de taille de stockage, plus de puissance de calcul, plus de silicium, plus de câbles sous-marins, plus de serveurs, etc…

Alors que faire ? C’est bien la question qui se pose, et à vrai dire je n’ai pas de réponse. J’aurais tendance à croire que le téléchargement de jeu (et pas le streaming) semble être la solution du “moins pire”. Mais je ne peux m’empêcher de voir que consommer moins de plastique et moins de papier, c’est surtout plus de marge pour des multinationales qui nous proposent de construire d’énormes frigos à cartes graphiques pour qu’on puisse jouer sur nos téléphones en 5G.

D’un autre côté, Microsoft (comme Google d’ailleurs) affirme utiliser de l’énergie renouvelable pour ses infrastructures, avec un objectif de 100% d’ici quelques années. Un pas en avant significatif, qui pourrait même inverser la tendance : imaginez des applications Xbox / Stadia intégrées à nos télévisions via des partenariats avec les constructeurs, et l’absence de puissance de calcul à domicile réduirait la consommation dans tous les foyers, pendant que le calcul et l’énergie sont mutualisés et produits à partir d’énergie renouvelable côté serveur. Le cloud serait-il l’avenir du jeu écolo ? Un raisonnement un peu simpliste, qui fait abstraction du coût des infrastructures réseaux du serveur jusqu’au client final, des immenses batteries et toujours plus de métaux polluants, dans une course sans fin vers des performances graphiques plus importantes, mais après tout pourquoi pas.

Une fois encore, on constate le besoin crucial d’études d’impact globales sur le sujet, afin que nous, consommateurs, joueurs, puissions trouver au milieu de tout ça la meilleure alternative, sans avaler bêtement les communiqués de presse de multinationales à grand coup de greenwashing.

S’il est important pour chacun de faire des petits pas individuels,à son rythme, il est primordial d’exiger une action immédiate de ceux qui ont un impact mondial infiniment plus large. En tout cas, il est nécessaire de continuer à propager la réflexion, à échanger sur le sujet, et à saluer les initiatives qui vont dans le bon sens. Si la proposition de Football Manager et de sa boîte recyclée fait un buzz monumental, il ne serait pas à exclure que d’autres éditeurs s’engouffrent dans la brèche. C’est ainsi qu’une action isolée peut devenir une norme, et c’est peut-être encore la chose la plus facile à faire à notre niveau.

Une chose est sûre : les stocks de pétrole sont à sec, des continents de plastique se forment dans les océans, les glaciers fondent sous l’effet du réchauffement climatique. Il est important, si ce n’est primordial de réfléchir collectivement à des solutions concrètes, y compris quand ces décisions impliquent une remise en question de notre confort personnel.

Peut-être que, finalement, le dématérialisé tant décrié pendant des années n’est pas à jeter, tant il peut réduire les emballages, supports et transports. Peut-être que les boîtes que beaucoup d’entre-nous chérissent dans leurs étagères doivent devenir un objet du passé, et qu’il faut bien commencer quelque part. Peut-être qu’une nouvelle forme de DRM physique, moins polluante, pourrait allier le meilleur des deux mondes.

Que le streaming ou le téléchargement de jeu vidéo soit l’avenir ou la solution, je ne peux y répondre aujourd’hui. Tout ce que j’espère, c’est que le meilleur moyen de jouer à Fallout dans 30 ans, ce ne soit pas de sortir de chez soi.

Quelques sources que je vous recommande chaudement : Youtube :

HeavyEyed : The Environmental Impact of Physical Games - The Ethics of Buying Games - https://www.youtube.com/watch?v=N1zlT0a503Q

Game Spectrum : Les jeux vidéo vont-ils disparaître ? https://www.youtube.com/watch?v=2Qq-6wByLPI

Le Monde - Crise écologique : l’impact environnemental du jeu vidéo, un sujet d’inquiétude grandissant - https://www.lemonde.fr/pixels/article/2019/09/29/crise-ecologique-l-impact-environnemental-du-jeu-video-un-sujet-d-inquietude-grandissant_6013480_4408996.html

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16 reactions

Mal KIRAVI

04 nov 2019 @ 12:18

Très bon article. J’espère que les acteurs de l’industrie du jeu vidéo pensent comme l’auteur de cette réflexion. Sinon je sais pourquoi je ne consulte que Xboxygen et jamais jeuxvideos.com .

Koubiwan

05 nov 2019 @ 08:37

Merci d’avoir pris le temps et surtout avoir eu l’intelligence de traiter ce sujet.

Je vous rejoins sur le fait que très peu de joueurs demandent le stream, le Xcloud, de jouer sur portable, etc...nous, on veut du jeu...et si ça tourne en 1080p, ça me va très bien.

Par ailleurs, de ce que j’ai compris et gardé de mes lectures/documentaires, c’est que, comme cela a été dit, d’ici 10 ans, nous n’aurons plus de cuivre notamment. Plus de cuivre, plus de nanotechnologie, plus d’écran LCD, plus de smartphones...

L’avenir du jeu vidéo réside dans le retrogaming, qu’on se le dise. Donc gardez bien au chaud vos vieilles consoles !

Pour le reste, profitez de chaque jour qui passe car demain pourrait être celui du grand chamboulement. Et perso, je préfère ne pas y penser.

Koubiwan

05 nov 2019 @ 08:59

Rectification : c’est l’indium et non le cuivre qui sera en pénurie d’ici 10 ans. Je viens de rechecker le lien de game spectrum en bas de ton article.

Excellente vidéo au passage.

ChupaLoL360

07 nov 2019 @ 21:31

Félicitations pour cet article éclairant qui questionne les fondements d’une industrie qui, je l’espère comme vous, saura faire face à ses responsabilités face aux enjeux climatiques.

krapice

13 fév 2020 @ 10:19

Salut, perso je rigole de cette mode, désolé du terme, de l’écologie.

Je m’explique brièvement, car le sujet illustre pleinement la problématique, mais au fond la question que vous vous posez, est : « qu’est ce qui est le moins pire pour pouvoir continuer a profiter... »

Et bien la réponse est pourtant simple, ce passer du futile (et le jeu vidéo rendre largement dans cette catégorie), et non on essaye de nous déculpabiliser a base d’énergie verte, refuser un sac chez le marchand ou manger du quinoa bio...et meme la reponse revient a dire que vous ne vous posez pas la bonne question.

Mais non la solution n’est pas de choisir le moins pire, notre planète ne va pouvoir supporter notre présence qui augmente exponentiellement , même si on décide de faire juste « attention ». Bref l’éveil des conscience écolo bobo me fait sourire, surtout qu’elle vient largement de population qui ont profiter comme des porcs depuis des générations sans se poser de questions.

Attention je ne suis pas dans l’agression, juste dans la constatation, ne me tombez pas dessus pour mon premier message ici.

Mais alors ce con il propose quoi ? Et bien regardez autour de vous, combien de besoin vous vous êtes créez ? Combien de chose possédez vous par pur plaisir ? Seriez capable de faire l’impasse sur votre voiture, votre smartphone, votre console, votre 4g, votre netflix ou votre gamepass ? Vos fringues que vous ne portez jamais ? N’allez vous pas tout simplement plonger dans la next gen ?

Bon je n’ai pas le temps de développer plus ce matin, mais je reviens ce soir pour illustrer mes propos et me présenter plus largement. Sur ce, bonne journée pleine d’essence, connexion réseau,4 g a fond et quinoa boulgour a midi et même un petit « tu as vu la nouvelle serie netflix ? »

tryclo999

10 avr 2021 @ 15:03

C’est triste mais en vrais les joueurs de jeux vidéo, ou plutôt tout les fans de tech sont clairement responsable de destruction du monde... C’est une histoire de perdant perdant... Ca m’arrive pas souvent mais des fois, je rêve que je suis sur un vaisseau géant qui quitte la terre pour échapper a sa propre destruction et çà vire très vite au cauchemars. Plus de ressource, pollution, en fait si on voudrais vraiment échapper a tout ça il faudrait tout changer dans notre société, vivre comme au moyen age... Et le moyen age, si certains arrivaient a y vivre correctement, la plupart des autres mourraient a 35 ans.

Donc soit on détruit tout notre monde en continuant comme on fait, sois on change tout, mais va falloir se préparer a déguster !... Comme je l’ai dit plus haut, c’est une histoire de perdant perdant !

Ps : Vite que je rallume ma Xbox série S pour oublier tout ça !!!

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