Edito - Cinéma et jeux vidéo partie 2

«Silence, on tourne» le 10 septembre 2014 @ 17:512014-09-10T17:50:55+02:00" - 0 réaction(s)

La dernière fois, nous avons parlé de l’influence des jeux vidéo sur le cinéma. Mais à l’origine, c’est beaucoup plus le cinéma qui a influencé les jeux vidéo.

Le cinéma est un média beaucoup plus mature que les jeux vidéo. Il a son langage, ses codes installés au fil du temps, son format propre. N’importe qui de plus de 25 ans a pour référence de nombreux films. Pour les plus jeunes, cela n’est pas forcément si évident. Je n’ai aucune donnée statistique pour appuyer mes propos, mais je soupçonne que les plus jeunes ont vu plus de jeux et de séries télé que de films. Le cinéma étant le média audiovisuel sur écran le plus ancien, il est logique que les jeux vidéo s’érigent sur ce socle pour se développer.

Je ne vais pas traiter ici des adaptations de films, cela n’est pas vraiment le sujet… Et il y aurait sans doute beaucoup trop à en dire. Ce sera peut-être pour une autre fois. Intéressons nous plutôt à ce qu’il y a en commun entre les deux médias (en d’autres termes ce que les jeux vidéo ont piqué au cinéma !), avec ce que cela a de positif, mais aussi, malheureusement,de négatif. Eh oui, ma thèse n’est pas particulièrement réjouissante, car je constate un peu tristement que les jeux vidéo, pourtant maintenant un média ancien, n’arrivent toujours pas dans leur majorité à s’émanciper du grand frère.

A noter que cet édito se penche plus sur la relation entre le cinéma et les jeux AAA, qui sont souvent plus enclins à emprunter au 7ème art que des productions plus modestes qui ne jouent pas sur le même terrain.

De façon pour ainsi dire évidente, les jeux vidéo, dans les parties démonstratives (cinématiques), sont une déclinaison du cinéma. Là où cela pourrait sembler plus surprenant, c’est quand le décalque se retrouve également dans le gameplay. Ainsi, on retrouve une structure générale proche des films. Il y a souvent un générique, ainsi qu’un découpage répondant aux unités de lieu et de temps classiques (les niveaux). Quand on y réfléchit quelques instants, cela n’est pas forcément approprié, et dessert le jeu. Pour ce dernier, il n’y a pas possibilité de manipuler l’ellipse une fois qu’on est dans un lieu. Dans un film, chaque péripétie se déroule dans un temps limité, et les parties les plus inintéressantes (en général les déplacements d’un point A à un point B) sont tout simplement gommées, sous-entendues. A l’inverse, les jeux nous font tout vivre… Cela implique donc des passages qui tirent en longueur, et sans grand intérêt. Pour combler cet écueil, le jeu créé des péripéties artificielles afin de rallonger la sauce. Mais dans 80% des cas, il est bien visible que ce n’est fondamentalement que du remplissage afin de satisfaire les joueurs qui ne veulent pas d’un titre qui se terminerait en quelques heures (alors que la durée d’un film n’est jamais un problème, sauf quand il est trop long !). La vraie logique que les jeux devraient adopter serait de ne faire vivre que les passages ayant un véritable intérêt, et si cela pose un problème de durée de vie, c’est qu’il n’y a pas assez de choses intéressantes à faire vivre, et qu’il faut revoir sa copie ! Une démarche bien plus complexe que de rajouter des ennemis supplémentaires.

la mise en scène contemplative dans les jeux vidéo est avant tout une facilité

Au lieu de rechercher son propre langage, le jeu oublie son aspect interactif et décline les caractéristiques communes qu’il a avec le cinéma. Ainsi, je ne cesse de déplorer la mise en scène passive des jeux vidéo, usant de cinématiques et de scripts, comme un reniement du joueur qui n’est pas le centre du propos alors que c’est bien là que se trouve la différence fondamentale, la caractéristique majeure du jeu vidéo. Comme certains jeux contournent cela (nous verrons ces exemples en fin d’édito), force est de constater que la mise en scène contemplative dans les jeux vidéo est avant tout une facilité. Le cordon est difficile à couper… jusque dans les genres abordés. Depuis le temps, le cinéma est très codifié, et obéit majoritairement à des genres définis. Étrangement, les jeux vidéo suivent cette même codification. A nouveau, l’interaction est sous-exploitée. Enfin, au lieu de rechercher ses propres concepts, les jeux vont chercher à transformer en gameplay ce qu’on voit dans les films, dans une recherche permanente de réalisme, ou plutôt de l’image du réalisme renvoyée par le cinéma. Difficile pour autant de blâmer les développeurs, car c’est également ce que recherchent les joueurs quand ils achètent un jeu estampillé AAA. On veut des jeux qui ressemblent à des films, c’est ce que les développeurs offrent. Dommage que ce soit des films sans ambitions artistiques que vienne la majorité de l’inspiration… Peut-être, encore et toujours, parce que le public est aujourd’hui frileux et ne se sent à l’aise que dans ce qui est standardisé.

Vous l’avez compris, ce qui me pose problème dans cette relation cinéma-jeux vidéo, c’est que ces derniers ne parviennent toujours pas à s’émanciper, à vivre leur propre vie, à tracer leur propre sillon, à développer leur propre langage. Pourtant, je ne peux qu’apprécier des influences également très positives. Ainsi, la qualité des dialogues dans les jeux a joliment progressé au fil du temps, les auteurs étant, justement, de vrais auteurs. Les scénarios, également, bien que trop calqués sur le grand frère, se sont mis à apporter un peu de profondeur au média vidéoludique. Enfin, la musique a trouvé une véritable terre d’accueil avec les jeux vidéo. Si on peut regretter que les mélodies simples et entêtantes des débuts aient laissé leur place à des orchestrations symphoniques, difficile de bouder son plaisir devant les très belles BO qui fleurissent de partout. Elles sont souvent supérieures à une production ciné très calibrée, et attirent même de grands noms, comme par exemple Hans Zimmer sur Call of Duty.

Vivre l’instant au lieu d’être juste témoin, voilà une belle différence avec le cinéma

L’identité du jeu vidéo, il faut aller la chercher du côté de ceux qui ne sont pas estampillés AAA, et qui adoptent une représentation sans lien avec le cinéma. Les jeux non-figuratifs, les jeux de stratégie, les jeux en 2D, les jeux des indés… Ces styles de jeux ne nourrissent pas de rapport visuel avec le cinéma, leur représentation et leurs caractéristiques leur sont donc propres. Cela ne les empêche pas pour autant de s’inspirer de la narration du septième art ou de ses instrumentations. Et au milieu de tout ça se trouvent quelques exceptions salutaires qui prouvent qu’on peut aussi être un jeu ambitieux dans sa conception, adoptant de nombreux points communs avec le cinéma, tout en exploitant réellement le potentiel du média jeu vidéo. Comme il n’y en a pas tant que ça, je vais prendre le temps de lister ceux qui me sont venus à l’esprit en détaillant en quoi ils prouvent que la cinématique et le script ne sont pas des fatalités. Le plus ancien, c’est le premier Silent Hill. Ici, pas de caméra totalement libre, mais bien des plans directement dictés par une logique de cinéma, ayant un sens, mais n’étant pas totalement fixes, apportant ainsi la touche propre aux jeux vidéo. On a donc à la fois une vision d’artiste imposée, mais aussi la liberté du joueur. Cette possibilité du plan semi-imposé a été abandonnée avec l’avènement des moteurs 3D sans avoir donné tout son potentiel dans des jeux plus récents. Dans l’ordre chronologique vient ensuite la série Halo. Contrairement aux autres jeux de shoot qui obligent le joueur, par des scripts non joués ou des cinématiques, à assister à des scènes clés, Halo construit ses niveaux pour que la logique lui fasse contempler ce qui se passe. La différence est essentielle car elle implique le joueur dans l’histoire. Le fait que la démarche soit volontaire se révèle être synonyme de personnification de l’avatar, et centre le déroulement des évènements autour du joueur. A l’inverse, celui qui fait n’importe quoi, qui regarde ailleurs ou bien s’occupe de jouer avec ses flingues loupera tout simplement ce qui se passe, et ne verra pas passer, par exemple, ce vaisseau au-dessus de sa tête. C’est bien lui le centre de l’histoire, s’il n’y prête pas attention, cette dernière continuera de se dérouler sans le prendre en considération non plus. Vivre l’instant au lieu d’être juste témoin, voilà une belle différence avec le cinéma. Red Dead Redemption est de loin mon préféré dans la personnification même de l’essence du jeu vidéo. Les déplacements, ici, sont des moments où on peut enrichir l’univers, donner de l’épaisseur aux personnages. Mais surtout, la construction même de ce monde est une véritable mise en scène, dans un langage possible uniquement dans un jeu vidéo. On descend la colline du Ranch pour admirer l’étendue sauvage, où la rivière devient une véritable frontière, un point de blocage/passage obligatoire, bien que ne comportant aucun mur pour freiner la progression. Magnifique. Plus proche de nous, le tout début de Skyrim donne une véritable leçon. On est embarqué sur un chariot, en étant probablement entravé. Cela aurait pu être une cinématique, ou le début d’un film. Sauf qu’on peut bouger la tête, et donc choisir de regarder les alentours ou pas, d’écouter ou pas une discussion, de chercher à entendre ou pas ce que disent les passants. Cette petite liberté donnée au joueur change tout : immédiatement, l’identification est forte et on se retrouve immédiatement concerné. Bien plus que dans un long prologue d’un Metal Gear. Outlast, lui, renvoie la balle au cinéma. En étant basé sur le found footage, le jeu montre au cinéma ce que devrait réellement être un film de ce genre. Le cinéma singe par ce biais la sensation de direct, Outlast ne se contente pas de la sensation, et utilise le média vidéoludique pour en faire une tranche de vie nourrie par l’immédiateté. Enfin, The Last of us, classique par bien des égards, montre que les scènes « creuses » de déplacement peuvent être des moments privilégiés pour installer une ambiance et pour développer des personnages. Le jeu n’évite pas toutes les limites développées dans cet édito, mais ne s’en contente pas, et arrive ainsi à un niveau autrement plus convaincant que le téléguidé Uncharted 3 du même développeur.

Pour terminer, je voudrais aborder le mauvais exemple, celui du jeu qui cherche à développer son propre langage et qui se plante du fait de choix à côté de la plaque. Heavy Rain. L’idée de base, de faire « jouer » tout ce qui se passe, est ambitieuse et semble originale. Le résultat, par rapport à la thématique de ma diatribe, est pourtant une belle catastrophe. Faire jouer ce qui n’a pas d’intérêt…Et bien, sans surprise, cela n’a pas d’intérêt. Du coup, ce sont les scènes les moins vidéoludiques du monde (de bêtes QTE pendant des cinématiques) qui en deviennent aussi les moins ennuyantes. Malgré cela, ce jeu a toute ma sympathie, car au moins il essaie de proposer quelque chose… Trop peu s’y risquent et pourtant, si on veut que les jeux vidéo évoluent un minimum et s’affranchissent pour proposer quelque chose qui leur est propre, il faut bien au moins tenter. J’espère que les joueurs seront sensibles à l’avenir sur ces paris pris par certains développeurs, sans quoi cette industrie, aujourd’hui en période de maturité, continuera de stagner.

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