C’est que l’on en a pourfendu, du monstre, dans les jeux vidéo. Plombés, tranchés, explosés, certains ne nous avaient rien fait si ce n’est de commettre l’erreur d’être là, sur notre chemin. Pourtant, entre colère et fascination, on aime bien voir ces créatures infâmes se mouvoir et déployer une violence sans retenue pour arracher nos membres ou dévorer nos chairs. C’est de ce postulat, qu’a dû germer l’idée de Carrion. Et si, pour une fois, on prenait le contrôle du monstre au lieu de le pourchasser ?
Monster Munch
Carrion nous met au contrôle d’une créature à la conformation aussi anarchique que hideuse. Des bouches, des tentacules, un corps mou qui s’étire pour se mouvoir. La bête est aussi indescriptible et horrible qu’une créature de Lovecraft. Pourtant, on est bien loin de l’inspiration malsaine de ce dernier et de ses montres venus d’un autre plan astral. C’est tout droit sorti d’une étuve d’un laboratoire souterrain que l’aventure commence. Au début, la chose n’est pas bien grande mais dispose déjà d’une agilité et d’une certaine force qui lui permettent de s’agripper aux parois mais aussi d’ouvrir des portes, voire même de les arracher.
Le feeling des contrôles est incontestablement le point fort du jeu. À l’aide du stick gauche, on propulse le corps dans une direction tandis que les tentacules s’attachent toutes seules aux éléments les plus proches pour se retenir tant sur le sol ou les murs que les plafonds. Il n’y a pas de texture sur laquelle la chose ne peut se mouvoir. Avec le stick droit, c’est le membre capable de préhension que l’on déplace. Pour être précis, c’est plutôt un curseur que l’on dirige tout autour de la bête avant de choisir ce que l’on veut attraper, soulever et balancer, qu’il s’agisse de mobilier à envoyer vers des humains belliqueux et/ou effrayés ou tout simplement les humains eux-mêmes pour les secouer tels des pantins avant de les amener à nos bouches pour leur dévorer la cervelle. Le sentiment de puissance est incroyablement bon, on jubile instantanément en se déplaçant dans des conduits pour entrer par surprise dans une pièce et y semer un carnage.
À l’opposé, les humains sont de véritables pantins sans physique tout juste bons à être démembrés. Un grand écart sépare les animations du monstre et la leur mais il accentue encore plus la suprématie de cette forme de vie que l’on contrôle.
Au fur et à mesure de la progression, la créature évolue pour devenir de plus en plus grosse. Même si elle atteint une taille démente à sa troisième et dernière évolution, les déplacements restent aisés malgré les quelques couacs qui se font alors sentir dès que l’on souhaite changer de direction dans des endroits étroits.
Le monstre n’a pas vraiment de tête et se déplace dans toutes les directions et lorsque l’on est très distendu, le jeu peine à savoir quelle partie du corps doit se déplacer. C’est surtout dans la dernière partie du jeu que cela peut se ressentir, par moments, ce n’est donc pas un réel problème même si cela frustre un peu.
En parallèle de sa prise de masse, la bête peut aussi développer de nouvelles capacités. Le jeu est construit à la manière d’un Metroidvania qui nous octroie de nouveaux pouvoirs permettant d’atteindre des endroits inaccessibles auparavant. Foncer sur des murs et les briser, gagner en force en disposant de plusieurs bras préhensibles afin d’arracher des portes... Les capacités sont finalement assez classiques dans le fond mais bien pensées dans la forme, attribuant de nouveaux moyens de se défendre ou d’attaquer.
On apprécie tout particulièrement le contrôle mental des humains pour leur faire ouvrir des portes blindées depuis l’autre côté ou aussi tuer leurs collègues. Le plus gros plaisir sera quand même de pouvoir les faire utiliser de puissants robots armés de mitrailleuses, croisement ultime entre des mechas de Aliens et le ED209 de Robocop. Des petits plaisirs de ce genre, Carrion en propose quelques-uns.
Surpuissant et inarrêtable, le joueur doit apprendre à penser comme une forme de vie intelligente se déplaçant tantôt furtivement, tantôt ostensiblement. Il y a parfois plusieurs manières de nettoyer certaines zones. Lorsque l’on se développe, on acquiert des capacités propres à chaque forme. Ainsi, la capacité défensive de niveau 1 est l’invisibilité. Une fois développé au niveau 2, il n’est plus possible d’utiliser ce pouvoir car il est remplacé par un autre. Le monstre peut néanmoins se diviser pour changer de niveau en laissant de sa biomasse dans certaines zones humides. Cela permet au jeu de proposer alors quelques énigmes environnementales qui viennent casser la monotonie de la progression.
Quelque chose cloche, ici bas.
Le jeu n’est pas sans défauts, dont le côté répétitif des objectifs. Encore que, objectif est même un bien grand mot. Divisé en plusieurs zones, le laboratoire dispose de sas les interconnectant. Le but est de passer d’une zone à l’autre et trouver des endroits où créer un nid qui, en se développant dans les murs, déverrouille des mécanismes bloquant la porte de la zone suivante. Invariablement, on doit trouver le chemin vers chacun des verrous de plus en plus nombreux de chaque tableau.
Si le début de l’aventure est assez linéaire, les zones sont de plus en plus grandes et nécessitent ensuite une bonne mémoire pour savoir où aller car il n’y a pas de carte. Eh oui, vous avez déjà vu un monstre savoir lire ? Et autant dire que vers la fin du jeu, on se perd beaucoup en cherchant son chemin car aucun indice ne nous oriente un tant soit peu. Les dédales ravagés du laboratoire finissent par rendre fou à force de tourner en rond. Le côté Metroidvania ressort plus sur la dernière partie du jeu lorsque l’on cherche à obtenir toutes les évolutions du monstre et qu’il faut se rappeler quelle zone se trouve avant l’autre, surtout lorsque des raccourcis viennent relier les premières avec les dernières. C’est un vrai casse-tête qui pourra agacer les joueurs ne faisant pas d’une traite le titre, sujets alors à oublier des chemins. Fort heureusement, le jeu est assez court puisqu’il faut moins d’une poignée d’heures pour en voir le bout. Un mal pour un bien probablement.
L’autre point fort du titre, celui qui lui confère son aura toute particulière, c’est son ambiance. Avec ses graphismes 2D à la direction artistique brillante, le jeu fait plaisir aux yeux même si cela n’est pas son véritable atout. C’est en effet son ambiance sonore qui marque le plus. Des bruitages aux musiques, l’immersion est parfaite tant on se croirait dans un pur film de monstre parfaitement effrayant. Les cliquetis et grincements des éléments de décor réagissant à notre passage, les cris des humains terrorisés... Chaque son est un petit plaisir qui ne demande qu’à ce que l’on monte le volume afin d’en profiter. Le summum du plaisir étant les différentes nappes de musique qui accompagnent les combats ou l’exploration. Chaque thème orchestral est un régal. Un travail d’orfèvre qui permet au titre de marquer les esprits bien plus qu’il ne l’aurait fait sinon.
Le coin des chasseurs : Les 1000G peuvent s’obtenir facilement. Quasiment tous les succès sont liés à la progression dans l’aventure et il suffit de compléter le jeu à 100% pour débloquer les quelques points manquants.