L’excellent article de notre confrère Christopher Dring pour GamesIndustry.biz nous offre un accès précieux à des propos récents tenus par différents responsables de studios first-party Xbox. Un message fort ressort particulièrement : aujourd’hui, les Xbox Game Studios bénéficient d’une totale liberté créative et stratégique. Et si Microsoft avait enfin tout compris ?
Depuis une décennie, le géant américain souffre d’une image de destructeur de studios de développement. Celle-ci provient d’un héritage lourd à porter. La fermeture de Lionhead Studios en avril 2016 est le dernier avatar d’une longue liste et l’ultime symbole d’une époque où les dirigeants de Xbox réussissait le cauchemardesque exploit de transformer de l’or en plomb.
Même si la fermeture du studio de Peter Molyneux s’est passée sous le règne de Phil Spencer, ce dernier essaye, depuis son intronisation à la tête de la division Xbox en mars 2014, d’insuffler une nouvelle stratégie dont les premiers fruits juteux et goûteux sont très prometteurs ces dernières années. L’un des piliers de cette stratégie spencerienne est une nouvelle relation entre l’équipe dirigeante et ses studios internes, basée sur la confiance et l’autonomie de ces derniers.
Mojang a servi de laboratoire d’expérimentation « amicale »
Le 15 septembre 2014, Microsoft annonce le rachat du studio Mojang, créateur de Minecraft, pour un montant de 2,5 milliards de dollars américains. Cet investissement colossal met immédiatement la pression sur les épaules de Phil Spencer et son équipe. Dans l’industrie vidéoludique, d’aucuns parient déjà sur la date de décès de la nouvelle acquisition et spéculent sur la forme voxelisée de la pierre tombale. L’intégration du studio suédois doit se réaliser parfaitement, coûte que coûte.
« Mojang était un point clé pour nous, car il s’agissait évidemment d’une acquisition importante, avec une franchise incroyable. Mais Minecraft est un produit complexe. Il est sorti sur de nombreuses plateformes et il est très communautaire. Notre capacité à intégrer Mojang et à fructifier Minecraft nous a donné confiance. » - Phil Spencer
Un homme a facilité cette intégration et a œuvré dans l’ombre : Matt Booty. La volonté et l’humilité nouvelles de l’équipe dirigeante de Xbox aboutissent à ne plus imposer le diktat de décisions prises « d’en-haut », déconnectées de la réalité du terrain.
- Matt Booty, le « facilitateur », reponsable des Xbox Game Studios
"Avec Minecraft, ce n’était pas notre rôle de diriger un jeu que nous n’avions pas créé nous-mêmes. C’était un jeu qui avait une communauté dynamique et prospère. Le studio avait créé son identité et développé sa propre culture.
Et nous avions beaucoup à apprendre de Mojang. Il aurait été facile de venir et de leur dire : « Hé, on va vous montrer comment on fait. Nous allons vous sortir de ce code Java. Nous allons faire évoluer les choses en C. Nous allons vous sortir d’Amazon Web Services et vous rapatrier sur Azure ». Mais il est important de réaliser que les conditions qui ont créé Minecraft, ce qu’il est devenu maintenant, sont susceptibles d’être des choses qui sont difficiles à recréer dans une structure organisée selon nos critères." - Matt Booty
Helen Chiang, Responsable de Mojang confirme la nouvelle approche voulue par Matt Booty et Microsoft et va même plus loin. L’exemple de Mojang a permis à Xbox d’obtenir les bases d’une méthode d’acquisition et d’intégration de studios supplémentaires.
Convaincre les studios qu’ils font le bon choix de rejoindre Microsoft
En janvier 2018, Matt Booty est promu à la tête des Xbox Game Studios. Il sera en charge d’appliquer cette nouvelle stratégie. Entre 2018 et 2019, Microsoft passe donc à la vitesse supérieure. Sept nouveaux studios sont entrés dans la « famille » : Playground Games, Compulsion Games, Undead Labs, Ninja Theory, InXile, Obsidian et Double Fine.
La plupart avaient déjà collaboré de manière étroite avec la division Xbox. Pour le meilleur et pour le pire. L’annonce du rachat de Double Fine lors de la conférence Xbox à l’E3 2019 a fortement surpris toute l’industrie. Les relations entre les deux parties étaient réputées glaciales depuis de nombreuses années. Tim Schafer, fondateur du studio, avait même critiqué sévèrement la politique de Microsoft envers les studios indépendants lors du lancement de la Xbox One en 2013. Comment Spencer et son équipe ont-ils réussi en si peu de temps à convaincre autant de studios à les rejoindre, même les plus récalcitrants ? Le charismatique et jovial Tim nous donne une partie de la réponse.
« Quand ils ont commencé à nous parler de l’acquisition de studios, nous avons dit que nous ne cherchions pas à vendre. Mais après un déjeuner avec Matt Booty, et entendre la vision de son entreprise et du Game Pass... J’ai commencé à voir deux choses qui étaient importantes pour moi. La première était que nous pouvions conserver notre culture. J’étais inquiet, j’étais comme : »Est-ce que je vais devoir mettre un grand logo Windows dans notre hall d’entrée et changer mon adresse e-mail en @microsoft.com ?« Et Booty m’a répondu : »Non, rien de tout cela, vous restez votre propre entreprise, vous faites juste partie de notre équipe". Bien sûr, tout le monde disait ça, mais j’y croyais un peu parce que je commençais à comprendre leur vision du Game Pass.
Avec le Game Pass, ça n’a pas de sens d’acquérir Double Fine et de nous forcer ensuite à développer des tas de DLC pour Forza. Ce n’est pas ce qu’on attend d’un studio comme le nôtre. Et le Game Pass semble être une grande opportunité d’avoir une diversité de jeux, une pléthore de contenus inhabituels... Je peux voir comment le type de jeux que nous fabriquons pourrait s’y intégrer."
Au-delà de cette anecdote du Xbox Game Pass qui est propre à l’histoire de Schafer, c’est toute la nouvelle politique générale de la division Xbox qui semble porter ses fruits. L’industrie vidéoludique est un univers clos où toutes les grosses pointures se connaissent et discutent ensemble. L’aspect financier mais également de bons retours sur la réalité du terrain et le respect de la parole des dirigeants de Xbox ont sûrement aidé les studios à accepter la proposition de Microsoft. Comme souvent, les actes sont plus importants que les discours de bonnes intentions.
Les Xbox Game Studios jouissent d’une autonomie surprenante
Toutefois, le plus surprenant dans cette affaire est la quasi liberté des Xbox Game Studios de gérer leur entreprise comme bon leur semble. Xbox semble les soutenir uniquement financièrement et logistiquement.
Le très expérimenté Brian Fargo, fondateur d’InXile, habitué à renverser des montagnes depuis des décennies pour financer ses projets de jeu indépendant, a longtemps été surpris par ce nouveau comportement de Microsoft.
« C’était une opportunité unique sur le marché, et j’avais toutes les informations annexes sur les raisons pour lesquelles je pensais que c’était une bonne idée. J’ai préparé le tout, je me suis assis avec Matt et j’ai dit voici ce que nous voulons faire, et il m’a dit : »Si c’est ce que vous voulez faire, alors parfait". C’était fini en 60 secondes. C’était fou pour moi, parce que nous sommes habitués à un processus de six mois de va-et-vient avec un million de questions.
J’ai dû revoir Matt une deuxième fois et lui dire : « Je veux juste être sûr que tu as compris que c’est ce que nous faisons. Et il a dit : »J’aime tellement l’idée que je ne veux rien en voir, sinon vous allez surinterpréter mes remarques et modifier votre vision« . C’est une histoire vraie. »
- Xbox Game Studios : une « famille » talentueuse et solidaire
Même les développeurs pensaient que le géant vert allait dicter leur conduite. Feargus Urquhart, patron d’Obsidian, rigole encore aujourd’hui de l’incrédulité de ses équipes et savoure de ne plus quémander des missions auprès d’éditeurs ou de lancer des campagnes de financement via Kickstarter.
« Au printemps ou en été de l’année dernière, j’ai eu un certain nombre d’employés qui étaient très déçus parce qu’ils pensaient que ce serait plus différent [rires]. Pas du tout parce que nous n’étions pas soutenus, mais parce qu’ils pensaient que nous aurions fait partie de ce »grand Microsoft.« Le seul aspect vraiment différent de mon quotidien, c’est de ne pas avoir à être le type qui reçoit l’argent des éditeurs. Cela a également changé notre façon d’aborder le développement. Souvent, en tant qu’indépendant, la façon dont vous développez des jeux est dictée par le partenaire, parce que c’est son argent et qu’il a une façon de vouloir que vous réalisiez un jeu. C’est cool de mettre en pratique ces années d’expérience et de dire »hé, nous pouvons faire les jeux comme nous voulons les faire".
Mais ce n’est pas tout. Cette liberté pour la création des jeux est accompagnée d’une liberté stratégique pour l’avenir des studios. Les différents responsables des studios sont libres d’assouvir leurs ambitions les plus folles. Si Brian Fargo a empilé les embauches de qualité avec des talents reconnus de l’industrie pour envisager la production de jeux AAA, Urquhart et Obsidian ont préféré tirer le meilleur parti des autres studios et divisions de Microsoft, y compris les laboratoires de recherche d’utilisateurs et les équipes techniques.
La clé de la réussite pour les Xbox Game Studios serait donc de leur faire totalement confiance, de leur garantir l’autonomie dans les choix créatifs, stratégiques et managériaux, et évidemment de les accompagner financièrement dans leurs projets. Les premiers résultats de cette stratégie sont déjà visibles, puisque des petits projets comme Grounded et Bleeding Edge ou des sauts qualitatifs sur des projets en cours avant l’acquisition des studios comme Wasteland 3 n’auraient probablement jamais pu se faire.
Toutefois, pour la communauté de joueurs, la grande conférence Xbox Games Showcase, prévue le 23 juillet 2020 à 18h et consacrée principalement à la découverte des prochains jeux des Xbox Game Studios, sera à n’en pas douter le Grand moment de vérité.