Depuis quelques jours je fais le même rêve étrange. Non, pas celui où je me retrouve tout nu à l’école. Un autre. Un dans lequel je suis vêtu d’une combinaison bleue à liserés jaunes. Dans mon dos se trouve un simple et énigmatique numéro : le 111. J’erre sans but sur une route au bitume craquelé, morcelé par le soleil. J’ai un vieux fusil de fortune dans les mains, élaboré à partir de pièces de récupération. J’avance entre les carcasses rouillées de véhicules abandonnés. J’évite soigneusement de jeter un regard à l’intérieur, les squelettes jaunis de leurs anciens propriétaires sont parfois encore cramponnés au volant. Mon chien aboie et me sort d’une dangereuse torpeur. Je lui adresse un sourire et tend la main pour le caresser vigoureusement. On marche tout deux vers l’ouest, sans réellement savoir ce que l’on cherche, ni ce que l’on va trouver… Vous n’avez jamais fait ce rêve étrange ? Alors attendez de jouer à Fallout 4 et croyez moi : vous allez avoir bien du mal à en faire un autre pendant un certain temps…
Le jour de la fin du monde est arrivé
Ca y est, Fallout 4 arrive sur nos consoles, et avec lui la perspective d’une longue série de nuits blanches. En reprenant la franchise avec Fallout 3 en 2008, Bethesda avait bouleversé cette série postapocalyptique culte en optant pour une vue à la première personne dans un univers immense et terriblement immersif. Une hérésie pour certains fans de la première heure, une évolution logique pour d’autres et une claque pour beaucoup. Deux ans plus tard, Obsidian reprend le même moteur et les mêmes mécanismes de jeux pour nous proposer Fallout New Vegas. En étant plus appliqué que Bethesda en matière de jeu de rôle pur et en offrant une écriture mieux maîtrisée, Fallout New Vegas réussi l’exploit de mettre tout le monde d’accord. Fallout 4 a donc la lourde tache de reprendre le flambeau et de concilier les exigences techniques actuelles avec l’aura de la série, afin de fédérer le plus large public possible.
Pour arriver à ses fins, Bethesda a fait un grand et bel effort au niveau de l’immersion du joueur et cela commence dès le début et la traditionnelle phase de création du personnage. Un couple est dans la salle de bain de sa maison en train de se préparer pour sortir. Le joueur choisit le plus naturellement possible entre la femme et l’homme, pour ensuite définir devant le miroir son apparence physique. Le moteur est très complet pour un résultat plutôt convaincant. On arrive sans mal à obtenir un personnage assez charismatique. Une fois votre avatar fini, on peut librement visiter notre maison et découvrir notre bébé, un jeune nourrisson souriant. Quelqu’un sonne à la porte. C’est un commercial de chez Vault Tec qui nous informe que l’on a des places réservées dans l’Abri le plus proche, le 111. Ce passage est utilisé pour finaliser notre personnage et répartir les points dans ses caractéristiques de base. Petite nouveauté néanmoins, à chaque gain de niveau on gagne un point (et un seul !), à attribuer comme bon nous semble. Chaque niveau dans les compétences de base (Force, Perception, Agilité, Endurance, Charisme, Chance, Intelligence) octroie une nouvelle compétence spéciale. Ce système permet de développer un personnage plus spécialisé qu’à l’accoutumée, vu que l’on ne peut se permettre de s’éparpiller n’importe comment. Par exemple un charisme de 10 permet d’obtenir l’aptitude Ricochet qui renvoie certains tirs adverses directement à l’envoyeur !
L’aventure débute juste après, les sirènes hurlent, on se précipite au-dehors vers l’abri 111. On a juste le temps d’y pénétrer et ainsi échapper au souffle mortel de l’explosion atomique qui a lieu à quelques kilomètres de là. Si cette introduction ne déroge pas à la règle des Fallout, on notera toutefois que notre personnage n’hésite désormais pas à prendre la parole de lui même pour réagir aux évènements. Alors que l’on s’attend à vivre notre isolement dans l’Abri, Fallout 4 nous surprend et pose ses bases scénaristiques autour de l’enlèvement de notre bébé. On a alors qu’une idée en tête à notre sortie de l’Abri, retrouver notre enfant. Mais on découvre que cet enlèvement cache quelque chose de bien plus vaste. Autant le dire tout de suite : la patte de Bethesda se fait lourdement sentir sur l’histoire et certains regretteront la maîtrise d’Obsidian. L’écriture est en effet moyenne, tant au niveau de la trame principale que des quêtes annexes. Très peu d’entre elles n’offrent de résolution alternative et l’attaque frontale ou plus ou moins indirecte est souvent la seule option envisageable. Bref : on retombe dans la même structure que Fallout 3.
La déception vient aussi des personnages secondaires, bien trop lisses, et la plupart du temps assez creux. On a vraiment du mal à s’intéresser aux tenants et aboutissants de l’intrigue malgré le désir manifeste de proposer une once d’originalité avec l’arrivée de synthétiques, sortes de « repliquants » aux intentions troubles. L’histoire de Fallout 4 est, il est vrai, totalement plombée par des doublages français très moyens (avec l’impossibilité - encore - de choisir la version originale sous titrée), par le manque total d’expression des différents PNJ et par une multitude de petits bugs qui viennent entacher un peu plus un tableau déjà peu reluisant : synchronisation labiale bancale, bugs dans les sous titres, éclairages des visages étranges et caméra mal placée. L’immersion en prend un coup dès que l’on doit adresser la parole à un PNJ ou dès que le jeu devient un tant soit peu verbeux, heureusement on ne fait pas que ça…
Un voyage d’une beauté morbide
Les vétérans de Fallout 3 et New Vegas retrouveront rapidement leurs marques dès leurs premiers pas sur les terres brûlées et radioactives de Fallout 4. Le gameplay reste identique sur le fond avec notamment les mêmes mini-jeux pour le crochetage des serrures et le hack d’ordinateurs. Le Pip-Boy, le célèbre petit ordinateur-bracelet de la franchise est au cœur d’une interface, retravaillée en partie, de façon à être totalement intégrée au jeu et au service de l’immersion. Le travail de Bethesda sur cette dernière est parfait. Pour les combats même combat ! Fallout 4 reprend le gameplay de ses prédécesseurs : un mélange de FPS classique avec un système de pause utilisant des Points d’Action qui permet de viser précisément les membres de l’adversaire. Arrachez une jambe à une goule et vous verrez qu’elle fait tout de suite moins la maligne ! Petite nouveauté toutefois, chaque coup porté de cette façon remplit une barre de critique particulièrement efficace - et sanguinolente - lorsqu’on l’utilise dans des situations tendues.
Mais le gros plus des combats vient du nombre des adversaires et surtout de l’animation particulièrement réussie des créatures que l’on croise. Ils gagnent énormément en dynamisme et en nervosité. Attendez de vous faire charger par une meute de goules particulièrement véloces ou voir un molosse mutant, sorte de chien géant boosté aux radiations, foncer droit sur vous ! Cette animation est aussi remarquable avec certains de nos compagnons comme le chien par exemple qui saute à la gorge d’un pillard et le plaque au sol, ce dernier se débattant alors comme il peut, le laissant sans défense à nos propres attaques.
Ce petit préambule sur l’animation et le bestiaire de Fallout 4 me permet d’introduire la technique générale du jeu. Il s’agit là, et heureusement, du plus beau Fallout jamais réalisé. Les graphismes sont propres, sans aliasing prononcé et le pop-up des éléments est d’une discrétion rare. Le Commonwealth, lieu où se déroule l’intrigue du jeu, est très dense, même un peu trop, l’explorer est une véritable orgie de découvertes. Il réserve une grande variété dans les environnements qu’il propose, de l’immense cité fantôme à la ferme abandonnée, en passant par une gigantesque carrière inondée, une zone marécageuse, une forêt morte et j’en passe. Il n’est pas rare, comme dans Skyrim de s’arrêter pour admirer le paysage, bader un coucher de soleil ou l’âpreté des scènes post-apocalypse qui parsèment le jeu.
C’est beau, parfois très beau même, et les bugs inhérents aux mondes ouverts ne gâchent en aucun cas l’extrême plaisir que l’on éprouve à arpenter les moindres recoins de la carte de Fallout 4. Une carte qui semble assez petite de prime abord mais qui compense largement cette désagréable impression par la richesse des lieux. Les évènements climatiques participent à l’émerveillement général que l’on peut éprouver : brouillard, pluie, orage mais aussi de violentes tempêtes radioactives aussi belles que mortelles. On ne peut passer sous silence l’excellent travail de Inon Zur sur l’ambiance sonore et les musiques du jeu. Les mélopées mélancoliques, âpres, font que l’on est tout de suite happé par l’horreur de ce monde à l’agonie et l’atmosphère morbide qui suinte dans ses moindres recoins. Ceux qui avaient l’habitude de jouer avec la radio bloquée sur les titres de Billie Holiday, de The Ink Spots et consort, vont sûrement changer de fréquence pour rester sur les compositions d’Inon Zur. Et ce sera avec raison !
Je suis une légende et le roi de la débrouille
Pour éviter d’être trop consensuel et sage dans ce qu’il propose, Fallout 4 joue la carte du crafting à outrance. Dans un monde ravagé et en pleine reconstruction, rien de plus normal que d’utiliser tout ce que l’on trouve pour subvenir à nos besoins. Alors que dans les précédents Fallout on ne prenait que ce qui nous était essentiel comme les munitions et les soins, Fallout 4 prône la récupération à outrance. Du simple bloc note, à la balance ou à la canette vide, tout aura plus ou moins d’importance pour constituer l’arme de vos rêves, améliorer votre armure préférée ou cuisiner de bons petits plats non irradiés. Lorsque l’on se trouve en pénurie de certains éléments rares, on peut à tout moment les marquer et chaque objet que l’on peut recycler pour en obtenir sera alors indiqué. On fait littéralement les poubelles durant tout le jeu en remplissant notre inventaire d’un gigantesque bric-à-brac hétéroclite. Les améliorations d’armes et d’armures sont variées et font rapidement la différence face aux dangers de plus en plus grands que l’on croise dans les terres désolées.
Outre notre armure de base, Fallout 4 nous offre aussi de véritables armures de combats montées sur exosquelettes. Ces armures sont plus lourdes mais aussi beaucoup plus résistantes et puissantes. Elles protègent contre des chutes malencontreuses, nous permettent de porter une charge plus importante et peuvent sauver notre misérable carcasse si l’on tombe par inadvertance sur une mini bombe nucléaire tirée par un super mutant… Ces armures sont constituées de cinq pièces que l’on peut améliorer, réparer et peindre à notre convenance. Elles nécessitent aussi un réacteur indépendant, assez rare, pour fonctionner. Ces armures, vitales pour certaines missions, seront à ne pas douter un jouet que vous allez choyer, polir, chouchouter tout au long de votre aventure. Elles disposent en outre d’une interface alternative qui rompt de façon agréable avec le vert monochrome utilisé par le Pip Boy.
L’aspect Mac Gyver ne s’arrête pas au bricolage d’arme, d’armure et d’exosquelette. Notre avatar va très rapidement (un peu trop vite, même) se retrouver à la tête d’un petit groupe de survivants et même être nommé général d’une milice visant à instaurer l’ordre et la sécurité dans le Commonwealth. Rien que ça. Propulsé en tant que leader “naturel” il faudra assumer ce rôle jusqu’au bout. Chaque colonie ralliée à votre cause peut presque entièrement être modifiée. Là aussi, le recyclage s’avère vital. Construire un point d’arrivée d’eau, un générateur de courant, des champs cultivables et même du mobilier essentiel (comme des lits par exemple) pour subvenir au bien être de la population est une occupation à plein temps. Si le cœur vous en dit, vous allez même pouvoir y construire de toute pièce une ou plusieurs habitations.
L’éditeur proposé est assez sommaire et pas franchement souple, obtenir quelque chose de correct demande de l’investissement et du tâtonnement, mais c’est toujours agréable d’avoir un « home sweet home » bien à nous, qui nous ressemble. On regrettera juste que certains constructions ne s’adaptent pas automatiquement à la morphologie du terrain, les palissades et autres barbelés posés sur un sol en pente, sont souvent enterrés ou flottent étrangement au dessus du sol. Votre colonie, une fois bien portante et prospère, attire irrémédiablement vers elle des pillards de toute sorte ! Eh oui, sinon cela aurait été trop facile. Pour lutter contre ces indésirables, il est nécessaires de disposer comme il se doit autour de vos fiefs des tourelles de défenses, des murs et/ou des pièges. La tranquillité est à ce prix et pour récupérer suffisamment d’éléments afin de construire tout ça, vous allez devoir passer du temps à faire le fond de toutes les poubelles du Commonwealth !
Même si cette phase de gestion est agréable, on regrette toutefois son manque de profondeur et mis à part ce statut de bâtisseur/protecteur on reste sur notre faim. On aurait souhaité une plus grande latitude quant à la gestion du nombre d’habitants dans les colonies et pouvoir agir un peu plus sur la restauration des bâtiments existants. Peut être dans un futur mod ? Car pour la première fois les versions consoles de Fallout 4 sont ouvertes aux mods de la communauté PC ce qui promet un avenir radieux ou du moins riche en ajustements et en nouveautés pour Fallout 4 !