Alors que je parlais de ma joie de pouvoir faire quelques tours de piste sur Forza 3 avec des camarades eux aussi amateurs de jeux vidéo, je me suis retrouvé dans un débat invraisemblable.
Débat pendant lequel, je dois le confesser, je n’ai pas été brillant.
J’énumérais donc tout ce qui m’a plu dans le jeu de Turn 10. Le jeu est beau, les voitures sont superbement modélisées, les décors bien plus riches que dans les épisodes précédents, la conduite toujours aussi jouissive… Bref, j’étais dithyrambique.
Et là, une des personnes présente dit : « Mouais, ça peut aider à patienter en attendant Gran Turismo 5. ».
C’est là où je n’ai pas été brillant. Alors que j’aurais pu me contenter de m’en foutre, ou bien de juste me dire que chacun voit midi à sa porte, je me suis étrangement senti agressé par ce type, par ailleurs un charmant garçon.
Au lieu d’être constructif, en lui demandant par exemple ce qui ne lui plaisait pas dans Forza, sans me contrôler je me suis lancé dans une tirade énumérant tous les défauts de ce Gran Turismo 5 que j’ai eu l’opportunité d’essayer. Tout y est passé. L’IA risible, l’aliasing qui fait mal aux yeux, une gestion des dégâts indigne, des voitures très bien modélisées, mais semblant sortir tout droit d’un calendrier, et non étant en course…Tout.
A l’inverse, mon contradicteur, lui aussi vexé que je m’en prenne à sa série fétiche, s’est lancé dans une énumération de la médiocrité de Forza. Voitures en plastique, fonction « rewind » pour joueurs débutants, conduite peu exigeante, jeu qui court après la notoriété de Gran Turismo sans s’en approcher d’un centième, modélisation des voitures aléatoire…Tout.
Rassurez-vous, tout cela est vite parti sur le chemin de la rigolade, dès que nous avons pris conscience de la débilité de nos propos.
Chacun de nous a incroyablement exagéré la réalité, et même notre opinion véritable de ces jeux.
En étant rationnel deux minutes, c’est juste qu’on parlait de deux jeux différents, avec donc des caractéristiques différentes, et ne s’adressant pas exactement au même public. Forza est conçu dans un esprit « course et compétition », Gran Turismo plus dans un esprit « amoureux des bagnoles ». Ça ne veut pas dire que l’un est meilleur que l’autre, mais simplement que suivant ce qu’on recherche dans un jeu de courses, un des deux titres aura plus nos faveurs que l’autre.
Alors pourquoi Diable deux personnes en théorie raisonnables ont-elles pu se chamailler bêtement sur un propos aussi visiblement futile ?
Simple : ces titres participent au combat des chefs des jeux vidéo. Comme dans Highlander, il ne peut en rester qu’un. Chacun mise sur son cheval, est convaincu que son jeu, puisque étant le haut du panier, ne peut être critiqué. Une sorte de culte absurde d’une pseudo-perfection.
L’attachement des joueurs à certains jeux est si fort que la notion d’objectivité s’efface, et qu’on peut en quelque sorte « s’identifier » à un jeu. Si le jeu est critiqué, on est critiqué.
« Je » est « jeux ».
C’est ce que j’ai fait, et ce dont je ne suis pas fier !
J’ai pris l’exemple de Forza et Gran Turismo parce que c’est ce qui m’est arrivé et parce que c’est dans l’actualité, mais cela marche très bien avec beaucoup d’autres jeux.
Regardez le visage tendu des fans de Metal Gears si vous osez leur dire qu’on s’ennuie quand même beaucoup dans cette série.
Regardez les tics nerveux à la commissure des lèvres des fous de GTA si vous leur dites que la maniabilité est bien discutable.
Ça fonctionne aussi avec God of War, PES (de moins en moins pour celui là), Final Fantasy ou Halo, Mario ou Call of Duty.
Il existe toute une liste de jeux qui ont fait un tel effet que leur réputation est assurée, et que, quels que soient leurs défauts, forcément réels, on ne veut pas les voir ou les entendre, dans une attitude de déni telle qu’elle illustre la relation particulière qu’on entretient avec eux.
Vous vous dîtes sans doute à cette lecture que les joueurs sont des fous, mais n’oubliez pas que les joueurs, vous en faites partie ! Vous aussi, vous avez sans doute un ou plusieurs jeux auxquels vous êtes plus qu’attaché.
Ça ne fait pas de vous quelqu’un d’anormal : là où il faut faire attention, c’est si on n’a pas conscience de cette identification qu’on peut développer. Gardons en tête qu’on parle d’un loisir.
Mais à part peut-être la musique, quel loisir provoque une identification aussi poussée ? On retrouve peut-être la même mauvaise foi chez les supporters de foot, et encore…
Cela montre la force et l’impact des jeux vidéo, qui grâce à l’immersion qu’ils proposent mêlent l’objet en lui-même et la prestation qu’on réalise.
C’est sans doute le seul loisir qu’on peut à se point s’approprier, transformant un produit de masse en une expérience personnelle, créant ainsi un lien particulier avec le jeu.
Naturellement, seuls les plus grands jeux peuvent provoquer cet effet. Qu’on les aime ou qu’on ne les aime pas, s’ils ont des cohortes de fans qui ne jurent que par eux, c’est qu’ils sont forcément remplis de qualités et adaptés à leur public, le lien avec le jeu ne se créant que si l’expérience ressentie est forte.
Dans cette petite démonstration, j’ai bien conscience de donner du grain à moudre à tous ceux qui affirment que les jeux vidéo rendent fou et sont responsables de tous les maux de la société. C’est naturellement faux : même les plus gros gamers fanatiques d’une série ou d’un jeu en particulier, pour peu qu’ils soient équilibrés, font parfaitement la différence avec la réalité, et s’amusent même de l’exagération de leur passion. Ceux qui réagissent de façon disproportionnée, ces fameux fanboys, ont juste focalisé leur attention sur un média fort. Sans jeux vidéo, il ne fait pas l’ombre d’un doute que ce serait autre chose qui serait l’objet de leur obsession.
D’autre part, cette identification est mise en exergue alors que depuis la nuit des temps les lecteurs s’identifient aux héros des romans… Par la suite, les critiques littéraires ont glorifié les œuvres dans lesquelles ce sentiment d’identification est fort.
Alors jouons sans complexe, profitons de ce média, nous sommes juste en avance de quelques années sur notre temps.
Histoire de ne pas passer pour des gens à enfermer, gardons juste la tête froide !