Pendant la guerre du golf, la première, on a vu pour la première fois des images de bombardements, ainsi que la DCA en pleine action, et le tout ponctué de commentaires du type "c'est comme dans un jeu vidéo". Cela m'avait marqué à l'époque. Qu'on parte de la réalité et qu'on ramène cette réalité à notre loisir favori peut provoquer un certain malaise.
Pourtant, les jeux de guerre sont ceux qui marchent le mieux, et les joueurs réclament toujours plus de réalisme.
Jusqu'où est-on prêt à aller ?
Dès le départ, on peut se demander pourquoi autant de jeux sont des jeux de guerre.
La réponse est naturellement toute simple. Si on prend soin d'oublier les conséquences d'un conflit, si on ne se trouve pas au front, si on ne pense pas aux morts et aux drames, alors la guerre, la vraie, a clairement tous les aspects d'un jeu. C'est un affrontement, c'est à la fois tactique et physique, c'est spectaculaire et imprévisible, il y a un vainqueur et un vaincu, et on peut en retirer la gloire tout on façonnant l'histoire. Un peu le jeu ultime. Les gamins ont des petits soldats, ils jouent à se poursuivre avec des armes factices, et en grandissant ils passent au paint-ball et aux jeux vidéo.
Pas fous, on sait très bien que la mort est au bout du chemin, mais l'envie de profiter du potentiel ludique de la guerre fait que les jeux vidéo présentent une très bonne alternative à la vraie.
Les consoles évoluent, les PC deviennent de plus en plus puissants, et la demande pour des titres de plus en plus réalistes est très forte. Plus réaliste, cela veut dire plus d'immersion, donc plus de sensations, avec l'impression d'y être pour de bon ! Si un jeu comme Battlefield 3 émeut les gamers, c'est parce que les vidéos montrées donnent une impression de réalité très poussée.
C'est pour ainsi dire indiscutable. Plus le jeu est réaliste, plus on peut le vivre intensément. Jusqu'à quel point ?
En fin de compte, les mécanismes des jeux de guerre n'ont pas vraiment changé depuis le bon vieux counter strike. Cela reste du fps, et on fait toujours la même chose. Alors on change l'environnement du jeu. Les armes sont de vraies armes, avec des caractéristiques respectées, les lieux d'affrontement sont très inspirés de lieux réels, le sang gicle lors des impacts, la représentation devient photoréaliste et le spectacle devient grandiose.
Si l'aspect spectaculaire me semble en fin de compte plutôt sain (qui peut croire que ce que l'on nous montre dans les Call of Duty peut être la réalité ?), pour le reste, le renforcement du réalisme n'apporte fondamentalement rien au jeu en lui-même, si ce n'est que la frontière entre réalité et jeu devient plus ténue.
On peut alors se demander pour quel public sont ces jeux. Si pour beaucoup de joueurs la différence entre jeux et réalité est évidente, ce n'est pas le cas de tout le monde. Je trouve personnellement un peu flippant de voir sur des forums des joueurs qui s'enthousiasment sur les caractéristiques d'un flingue. Cette demande de réalisme ne me met pas à l'aise, d'autant moins que fondamentalement les jeux de guerre se joueraient de la même façon avec des pistolets laser et contre des extra-terrestres. En dehors de la réalisation du jeu en lui-même, le fait de clairement identifier l'ennemi pousse à des comportements extrémistes dont on se passerait bien dans une société qui a déjà tant de difficultés à gérer la différence entre les peuples. Peu importe l'ennemi, qu'il vienne d'Europe de l'Est, de Chine ou d'Ethiopie, emporté par le jeu, on se retrouve à affronter des peuples qui veulent notre peau et qu'on va détester pour ça. Je ne suis pas psy, mais je ne peux pas m'empêcher de me demander si cela n'a pas de conséquences une fois la partie terminée. Si je dis ça, c'est parce que je suis tombé par le passé dans ces travers. Je jouais souvent à Ghost Recon Island of Thunder avec des amis, et plus d'une fois nous nous sommes donné rendez-vous pour flinguer de l'Éthiopien. On disait ça pour déconner, je n'ai personnellement rien contre les Éthiopiens, et je suis un adulte qui n'a aucune difficulté à ne pas mélanger fiction et réalité. Mais quelqu'un de plus jeune, sur le même jeu, qui ne connaît ni d'Eve ni d'Adam l'Éthiopie dont on ne lui parlera certainement pas à l'école, quelle image va-t-il avoir de ce pays ?
Le réalisme pose la question de la distanciation du joueur avec le jeu. Quand un jeu n'est manifestement pas réaliste, il n'y a pas de problèmes. Ça ne veut pas dire mal réalisé techniquement. Il suffit souvent de pas grand-chose pour que ce qu'on joue soit immédiatement assimilable à un jeu et pas autre chose. Des bonus à trouver (une grosse médaille au milieu d'un champ de bataille, je vous jure que ce n'est pas possible en vrai !), des pouvoirs spéciaux, des armes ou véhicules qui n'existent pas, des ennemis non identifiés ou bien improbables (par exemple un groupe paramilitaire suisse devenu fou !)…Ce ne sont pas les possibilités qui manquent. A l'inverse, le réalisme à tout prix oblige à se demander sur quelle base le jeu est construit. Si tout ce qui est montré est d'un réalisme total, on peut donc raisonnablement penser que les méchants identifiés le sont vraiment, tout comme les armes sont les vraies. Il devient par conséquent légitime de les détester une fois la partie terminée.
Je vois venir vos réactions, vous allez me dire que j'exagère, que je dis la même chose que Familles de France et autres organismes puritains du même ordre.
Avant de m'incendier, prenez juste quelques pas de recul, et ne prenez pas ce que je dis spécialement pour vous qui êtes capable de prendre cette distance (du moins je l’espère !), mais imaginez le gamin de 13 ans qui n'a pas la culture ni la maturité qui est la vôtre. Naturellement, la question ne se poserait même pas, ou avec nettement moins de force, si ces jeux n'étaient pratiqués que par des adultes…
Je ne suis pas pour autant opposé systématiquement au réalisme dans les jeux de guerre, j'aimerais juste qu'il s'applique à la guerre dans son ensemble et non pas seulement aux aspects qu'on peut traduire en termes de fun. En cela, les jeux vidéo ont encore à apprendre du cinéma. Sur grand écran, on a bien entendu les films de guerre dont l'action, totalement abusée, ne permet pas de confondre fiction et réalité (demandez à l'ami Chuck comment il fait pour retrouver les gens "Portés disparus" !). Mais par ailleurs, d'autres films, et pas des moindres, présentent la guerre de façon terriblement réaliste. Le côté spectaculaire est bien là (le raid en hélicoptères sur le son de la Valkyrie d'Apocalypse now, le débarquement d'Il faut sauver le soldat Ryan), mais le réalisme ne s'arrête pas là et on montre également le reste. On y voit les conséquences de la guerre. La mort est sale, définitive, les hommes sont détruits, les familles en deuil et brisées.
Pourquoi ne pas reproduire un tel schéma dans un jeu vidéo ? Injecter un peu d'intelligence et de réflexion dans les jeux de guerre, voilà une évolution du réalisme qui serait tout à fait possible aujourd'hui. Le fun du jeu serait toujours là, mais sans occulter la réalité du sujet traité.
On peut se demander s'il y aurait un public pour un jeu de ce type. J'ai tendance à penser que oui. Beaucoup d'adultes jouent, et ce serait une évolution du jeu vidéo qui pourrait bien être appréciée.
En fait je souhaite qu'il y ait un public pour ça plus que je ne le pense vraiment. Qu'on choisisse d'occulter ce qui ne nous plaît pas dans la guerre me met un peu mal à l'aise.
J'ai beaucoup joué à des jeux de guerre, mais aujourd'hui je fais partie de ceux qui n'en veulent plus. Non seulement parce qu'on nous sert finalement la même chose depuis très longtemps, mais aussi, et peut-être surtout, à cause de toutes les raisons évoquées dans cet édito. Je suis dérangé par cette vision unilatérale de la guerre, glorifiant plus ou moins directement les comportements agressifs américains, et ne retenant que ce qui s'assimile à l'héroïsme.
Si je ne conteste pas le fun évident des jeux où armé d'un flingue on dézingue des adversaires par douzaines, je n'ai plus envie de mettre sur mes adversaires un nom qui pourrait être celui du voisin, ni d'utiliser une arme qui fait partie de l'arsenal de nos véritables militaires. Je n'ai plus envie de me dire en jouant que ce n'est "qu'un jeu". Je préfère largement me confronter à des Covenants ou des Locusts avec des fusils improbables, ou bien utiliser mes super-pouvoirs pour me sortir de situations fantasmées. Si c'est pour être confronté au réalisme, il y a le journal de 20 heures pour ça. Quand je joue, je veux de l'imaginaire, je veux autre chose.
Pour terminer cette longue diatribe, je voudrais qu'on pousse le raisonnement de ceux qui réclament le réalisme à tout crin jusqu'au bout.
Nous sommes en 2025, et un nouveau jeu de guerre vient de sortir. Il est en full 3D en environnement virtuel, et on peut y jouer avec des capteurs de mouvements ultra-précis. Dans ce nouveau jeu, réalisation des rêves les plus fous des amateurs de réalisme, on peut utiliser tout l'arsenal militaire des commandos US, infiltrés en Corée du Nord. Si le sniper est toujours aussi redoutable (on peut voir dans la lunette le crâne de la cible exploser lors des head-shot), la technique de l'égorgement au couteau est la plus efficace pour les approches discrètes, même si les gerbes de sang tachent notre bel uniforme. Mieux vaut éviter d'éventrer nos adversaires. Cela permet de débloquer un succès, mais pendant que ses boyaux se répandent sur le sol, il peut encore faire du bruit et appeler du soutien. Quoique, une bonne grenade à fragmentation dans le tas et l'affaire est réglée, et puis c'est fun de voir le corps de nos ennemis se déchiqueter en arrosant les murs. Garder un ennemi vivant est intéressant car en le torturant on peut l'obliger à nous dire où se trouvent ses alliés : suivant le niveau de difficulté il faudra lui arracher au moins deux ou trois ongles, ou bien lui crever un œil. Petite polémique à la sortie du jeu, le viol des femmes dans les villages ennemis n'est accessible qu'après activation d'un code fourni aux acheteurs du coffret collector. Si on arrive à se battre avec véhémence et si on ne montre aucune pitié avec l'ennemi, on pourra gagner le niveau de "boucher", ce qui permet de bénéficier d'un bonus dans les combats, les ennemis tremblant d'effroi quand on débarque. Un bon moyen de progresser rapidement peut être par exemple de décapiter ses victimes pour que ceux qui les retrouvent comprennent qu'avec vous ça ne rigole pas, ce qui n'est pas si simple, le couteau de l'équipement standard n'étant pas suffisamment tranchant pour y arriver facilement. Laisser en évidence les cadavres des civils est également une bonne méthode, d’autant plus efficace quand on laisse en vie un membre de la famille pour qu’il puisse raconter ce qui s’est passé (si possible la mère d’un enfant mort pour un résultat optimum).
Vous avez trouvé cette description du jeu de guerre réaliste du futur amusante à lire ? Mais pensez-vous que ce sera également amusant à jouer ?