Il y a quelques mois, je discutais avec un ami de Mass Effect. Le sujet de la discussion : « Comment faire pour coucher avec cette belle extra-terrestre bleue ». Je n’y suis pas parvenu, lui si. Il m’explique donc ce qu’il faut faire, puis me confesse avec regrets que le moment de conclure est remplacé par un écran noir.
Pourquoi cet écran noir ? C’est le sujet du jour !
En effet, alors que les jeux vidéo n’ont cessé de se diversifier dans toutes les directions en même temps que leur audience, un dernier tabou semble ne pas vouloir tomber. Pas de sexe dans les jeux. Je ne parle pas ici des jeux érotico-rigolards japonais adressés à une catégorie restreinte de joueurs, mais bien des « vrais » jeux, de ceux qui sont distribués partout.
Dans ces jeux, on peut parler de sexe, on peut même en parler très crûment… mais défense de voir. On devine des formes généreuses chez les personnages féminins, des décolletés vertigineux et des tenues qui ne couvrent pas toujours grand-chose, et les personnages masculins exhibent volontiers des muscles saillants et des torses virils et dénués de poils. Pourquoi ne pas aller un peu plus loin et assumer ce qui n’est qu’esquissé ?
Avant que vous ne me traitiez de vieux pervers désireux de mater par tous les moyens des femmes dans leur plus simple appareil, laissez-moi expliquer pourquoi je m’intéresse à ce sujet.
Si ensuite vous persistez à me considérer comme un individu salace… c’est que vous aurez peut-être raison aussi !
Ce qui me dérange dans cette censure de la sexualité explicite dans les jeux vidéo, c’est que cela pose un problème de cohérence dans la narration de bien des titres. Dans la majorité des jeux, la nudité n’aurait pas sa place, car étant hors-sujet, mais dans bien des jeux la sexualité se retrouve au cœur du titre, sans qu’elle ne pointe jamais pour autant le bout de son nez (ou d’autres choses). Je ne veux pas voir de la nudité à tout prix, mais elle devrait être là quand elle s’inscrit dans la logique d’une histoire. Quand on fait l’amour, c’est comme quand on prend une douche : c’est rarement habillé. Ce manque se ressent surtout dans les titres incluant une narration forte. Quand dans un jeu, coucher avec quelqu’un est un objectif, n’y-a-t-il pas une absurdité à ce que la scène en question ne soit pas montrée ? Quand l’objectif d’un jeu d’aventure est de trouver une salle secrète, on ne zappe pas la scène où on la trouve ! Ces scènes éludées sont un retour à la réalité, une cassure dans l’histoire : on nous rappelle que nous sommes dans un jeu vidéo qui a des limites, pas que nous sommes en train de vivre une histoire. Alors que les jeux les plus ambitieux cherchent à nous faire vivre et ressentir les choses, un gros panneau STOP semble être installé devant la chambre à coucher. Absurde dans le principe, car cela revient à nier un pan important de la vie comme elle est, et l’immersion en prend un sérieux coup.
Je ne veux pas que les jeux se transforment en films X, juste qu’ils assument leurs propos pour rester dans leur propre logique et gagner ainsi en cohérence et en immersion.
Mon exemple de Mass Effect est parfait pour ça. Ce titre est en grande partie basé sur les relations entre les personnages, et les scénaristes y ont installé une tension sexuelle réelle, provoquant le désir du joueur de faire certains choix. Pourquoi avoir proposé cela si c’est pour ensuite nier ce qui a été développé ? Autant utiliser des personnages asexués, même si ce serait un retour en arrière et que cela amoindrirait l’immersion dans le jeu.
On peut trouver d’autres exemples facilement : Fable 2 souffre ainsi du même défaut que Mass Effect. Dead or Alive Xtreme 2 va encore plus loin, proposant un jeu entièrement basé sur la plastique de ses héroïnes, sans pour autant oser aller jusqu’au bout. On peut jouer sur la frustration du joueur qui a acheté le titre avant tout pour ça, mais là on ne dépasse jamais cette frustration. Le jeu ne montre jamais vraiment ce pour quoi il est vendu. Plein d’autres titres jouent à fond sur l’aspect « objet sexuel » de leur personnage principal (Tomb Raider en tête). Si ce serait se sabrer que de faire un niveau où Lara se promènerait dans le plus simple appareil, une scène de douche où on apercevrait son anatomie sans vêtements aurait tout à fait sa place dans le jeu.
Historiquement, il est d’une certaine façon logique que le sexe et la nudité soient absents des jeux. Après tout, on parle d’un médias qui pendant longtemps s’est adressé en priorité aux jeunes n’ayant pas forcément l’âge requis. Mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et les joueurs ont grandi. Ceux qui sont majeurs représentent aujourd’hui un gros marché, d’autant plus gros qu’ils ont en général un pouvoir d’achat supérieur aux plus jeunes. Et être majeur signifie qu’on peut choisir ce qu’on veut voir et qu’on n’a plus besoin d’être « protégé » de quoi que ce soit. Les jeux destinés à un public mature pullulent sur les étalages et beaucoup sont des succès : pourquoi continuent-ils donc de jouer les saintes ni touche ?
Dans ces jeux, la violence, et je dirais même dans certains cas l’ultra-violence, est intégrée comme un moteur de jeu, comme élément de spectacle, et au fil de l’évolution des jeux elle est devenue de plus en plus réaliste et crue, justifiant totalement les restrictions d’âges… et d’une certaine manière les utilisant également. Plus que la violence visuelle, l’immoralité assumée est également entrée dans les mœurs des jeux vidéo depuis bien longtemps. GTA est LE carton mondial, et on ne joue rien d’autre qu’un salopard qui traite les femmes comme des… euh… vous voyez ce que je veux dire, qui ne pense qu’à lui, qui se fout de la mort et de la souffrance des autres, et qui l’assume parfaitement. On ne compte plus les jeux où on peut choisir d’être un méchant, ni les jeux où on peut se laisser aller à des penchants sadiques.
Si on veut jouer le rôle des moralisateurs, qu’est-ce qui est le plus grave ? Un pubis visible ou un dealer de crack glorifié ? Un couple qui fait l’amour dans un lit ou une tête arrachée ?
Les exemples de jeux assumant la réalité de la sexualité sont si peu nombreux qu’on peut les compter sans peine (je pense à Witcher sur PC, qui assume son propos jusqu’au bout) : c’est même un retour en arrière par rapport à l’époque de l’Atari ST et de l’Amiga qui proposaient des titres moins frileux.
On ne me fera pas croire que les adultes du monde entier sont pétrifiés à l’idée de voir un personnage de pixels nu (à de rares exceptions prêts, ils doivent en voir régulièrement en vrai, non ?) : je ne pense pas que le problème soit culturel. Je crois plutôt qu’il faut regarder du côté de notre bonne vieille censure. Nous sommes dans des pays libres, mais la censure n’a jamais été aussi forte : les enjeux commerciaux sont tellement importants qu’il ne faut pas faire de vagues pour ne pas fâcher les censeurs (des gens qui n’allument sans doute jamais la lumière quand ils se reproduisent, et qui confondent nudité, sexualité et pornographie). Je me demande ainsi si les créateurs de jeux vidéo ne voudraient pas éviter l’instauration d’une entité toute puissante comme l’est la MPAA pour le cinéma US. Un organisme qui peut décider de l’avenir d’un film en le classifiant. La comparaison avec les films est d’ailleurs parlante : à notre époque et aux USA, pays qui décide de tout pour tout le monde en matière de loisirs, on accepte sans problème la violence, mais pas les corps dénudés. Dans d’autres pays, le censeur tout puissant existe déjà. Demandez à nos amis australiens, régulièrement privés de jeu, leurs officiels pensant sans doute que leur peuple est trop stupide pour ne pas être définitivement influencé par un jeu satanique.
Une fois de plus, les jeux vidéo sont donc le reflet de l’état de notre société : on fait comme si le sexe n’existait pas, faisant ainsi preuve d’un puritanisme de façade, et faisant preuve également d’une hypocrisie non-avouée. Comme si on ne savait pas que le sexe dirige le monde…
Rester bien dans le rang, c’est une chose, mais pourquoi personne ne dépasse cette limite ? Le premier qui osera sortir un jeu, à plus forte raison sur console, qui dépasserait les tabous en montrant tout gagnerait au moins une grosse publicité, et écoulerait des wagons de jeux pour peu qu’il ne soit pas trop mauvais.
Pourquoi pas Rockstar, habitué à être montré du doigt et traîné dans la boue, pour le prochain GTA ?