Test -Torment : Tides of Numenéra

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C’était un vieux joueur. Ses mains calleuses portaient encore les sillons laissés par les pixels de jadis. Ses yeux bleus de 256 couleurs affichables simultanément sur la rétine, semblaient perdu dans le vide. Il n’en était rien. Il scrutait son passé, recherchant le Saint-Graal du jeu de rôle qu’il avait côtoyé sur son PC. Il désirait juste oublier sa dernière expérience traumatisante d’un quatuor de pré-ados collectionneurs de moellons partant en camping en essayant vaguement de suivre une trame narrative chaotique. Il souhaitait revenir dans le passé retrouver les joies d’un jeu de rôle profond, paré d’une écriture resplendissante, littérale et pure, et de dialogues ciselés, redécouvrir une expérience complexe, riche, mature, intelligente, se rapprochant de celle irremplaçable vécue autour d’une table en compagnie de quatres amis, munis de simples dés, d’une feuille et d’un crayon. L’un de ces parangons du jeu de rôle s’appelait Planescape : Torment et cela tombe bien pour ce vieux joueur en quête de rédemption… sa suite spirituelle vient de sortir, elle se nomme Torment - Tides of Numenéra et compte bien reprendre un flambeau qui continue de briller dans le coeur de tous les amateurs de jeu de rôle.

Torment sans Planescape

Autant vous l’avouer de suite : ma dernière partie de Planescape : Torment remonte au tout début des années 2000, entre Baldur’s Gate (et son extension) et Fallout. Une période vidéoludique particulièrement riche qui a fait du mal à mes nuits de sommeil et à mon assiduité de jeune étudiant. De Planescape : Torment je garde un souvenir aussi ému que ténu. En gros, je ne me souviens pas grand chose de ce jeu que je n’ai fait qu’une seule fois à l’époque alors que j’ai pu refaire la saga Baldur ultérieurement, de même pour les Fallout. Dans la série, Torment était l’un des plus singuliers mais surtout le moins accessible de tous. Ce qui lui permet de garder, malgré toutes les années, l’aura bien particulière caractérisant tout jeu culte. Je ne vais pas structurer le test de Tides of Numenéra en argumentant vis-à-vis de son ancêtre, vu que j’en suis incapable (ma mémoire faisant défaut) et que de toute façon les vieux joueurs ayant torché Planescape et désirant s’attaquer à celui-là ne sont pas légion. Avant de me lancer dans le grand bain, permettez moi toutefois de vous présenter brièvement “l’Ancien” comme il se doit.

Mourir dans le jeu ouvre souvent de nouveaux embranchements narratifs

Planescape : Torment est un jeu sorti en 1999 de Black Isle Studio, qui est à la base une division d’Interplay spécialisée dans le jeu de rôle. Black Isle, qui s’est constitué autour de l’équipe à l’origine du premier Fallout, est bien connu par les amateurs de jeu de rôle vu que son logo a introduit pas mal de jeux cultes comme les Baldur’s Gate en tant qu’éditeur, Fallout 2 et Planescape : Torment en tant que développeur. Tout comme Baldur’s Gate, Torment est issu d’un des univers du jeu de rôle Dungeons & Dragons nommé Planescape, qui offre une ambiance riche, multiplanaire et bien plus complexe que l’heroic fantasy simple des Royaumes Oubliés ou de Dragon Lance pour ne citer qu’eux. Son univers bien que particulièrement original n’a pas été le seul élément qui a fait le succès et la notoriété de Torment. En effet, le système de jeu prenait à contre-pied le joueur en plaçant le combat comme un élément facultatif du gameplay. Planescape : Torment était une aventure essentiellement narrative où chaque confrontation directe pouvait être évitée par la parole, la ruse ou l’esquive. L’homme à la tête du projet était déjà à l’oeuvre sur Fallout 2 sorti en 1998, et on le retrouve à l’origine du Kickstarter Torment - Tides of Numenéra (qui abandonne la licence Dungeons & Dragons), cautionnant la qualité à venir et contribuant largement à la levée de fonds.

Que reste-t-il de nos amours ?

Le groupe de départ va se scinder très rapidement

Tout commence par une chute. Votre chute, longue, lente, presque interminable. On ne sait pas d’où l’on chute, ni pourquoi. Les souvenirs sont vagues, imprécis, chaotiques. Pas de nom, pas de but, juste un sol qui se rapproche rapidement, inexorablement. Puis, vint l’impact, suivi des ténèbres. Mais ce n’est pas la mort qui vous attend en bas, seulement deux personnages venant voir ce qui est tombé, deux érudits étranges, dont l’un deviendra votre compagnon de route, aussi étonnés que vous de vous savoir en vie. Votre corps s’est réparé tout seul, refusant la mort. Perdu dans votre subconscient durant votre coma, vous avez pu obtenir quelques fragments de mémoire et avez réussi à échapper à une terreur nommée l’Affliction, qui semble avoir pour but votre anéantissement. Les deux érudits semblent reconnaître l’étrange marque que vous portez sur le visage : la marque du Dieu Changeant. Vous êtes le dernier de ses nombreux Reliquats et vous allez devoir retrouver ce Dieu Changeant afin de connaître votre vraie nature et éradiquer définitivement l’Affliction qui veut votre mort.

On a trouvé les easter eggs de Torment

Torment - Tides of Numenéra n’est pas tendre avec son entrée en matière. La somme des informations à ingurgiter est assez considérable. La richesse de son univers fait figure d’un gigantesque raz-de-marée que l’on prend en pleine face. On ne joue pas à Torment, on s’y investit pleinement. Si vous avez l’habitude de jouer en dilettante, avec les enfants autour de vous, la radio allumée dans le salon, enchaînant de petites sessions courtes de jeu, passez votre chemin. Entrer dans l’univers de Torment est un long chemin, particulièrement plaisant et galvanisant mais également abrupte et raide. Après une courte introduction et une création de personnage que l’on pourrait résumer par un traditionnel choix entre trois classes : Glaive (guerrier), Nano (magicien), et Jack (voleur), on se rend compte que le jeu impose d’emblée un rythme lent et essentiellement littéral. Tout comme son illustre ancêtre soit dit en passant. Dans ce sens on peut facilement affirmer qu’il respecte stricto senso le cahier des charges, même si cette référence appuyée paye un lourd tribu sur l’autel du rythme.

Jouer à Torment est un peu comme plonger dans un livre dont on est le héros.

Chaque personnage rencontré, du moins au début de l’aventure, ouvre un long dialogue étayé par les descriptions détaillées de ses expressions, de ses gestes, de ses réactions. Le moindre pnj ne sera pas avare en détails lorsqu’on le questionnera sur sa vie, sa profession, la géopolitique, et il peut même prendre les habits d’un guide touristique à l’occasion. Jouer à Torment est un peu comme plonger dans un livre dont on est le héros. Afin de pallier une technique minimaliste voulant reprendre le charme et les codes du bon vieux moteur Infinity Engine, le texte remplace le visuel, ou du moins l’étaye grandement.

Oui, techniquement Torment n’est pas extraordinaire, loin de là, la seule petite entorse au moteur d’origine est la possibilité de zoomer sur les décors et les nombreux pnj que l’on croise. Cela semble bien léger vu la levée de fond initiale, mais l’intérêt n’est pas dans l’esbroufe technique chère à nombre de gros jeux. L’ambiance sonore est discrète mais efficace et seuls quelques moments sont doublés en anglais. L’intérêt est dans le texte - entièrement et parfaitement traduit dans la langue de molière -, dans l’écriture, dans la justesse de ces lignes qui viennent poser, l’une après l’autre, les fondations et l’ambiance de cet univers si particulier.

Comme un bon bouquin

L’univers de Torment est d’une grande originalité

La générosité du jeu dans son écriture est sa plus grande qualité mais peut aussi être considérée comme sa plus grande tare par certains joueurs. Chaque évènement, chaque ligne de dialogue, peut amener un léger gain d’expérience mais aussi influencer le profil de notre personnage et ouvrir de nouveaux choix et de nouvelles possibilités par la suite. Toutes les quêtes, même annexes, ont plusieurs cheminements possibles pour arriver à leurs conclusions. La liberté est très grande et adaptée au style de votre personnage, sachant que même un échec peut s’avérer gratifiant, peut-être même plus qu’une réussite qui induira parfois une suite bien moins reluisante.

La sauvegarde régulière avant de tenter le moindre jet de réussite n’est plus aussi salvatrice qu’elle en a l’air.

On est rapidement perdu devant cette richesse, si bien que l’on abandonne progressivement les réflexes que l’on avait accumulés dans tous les jeux de rôles précédents : la sauvegarde régulière avant de tenter le moindre jet de réussite n’est plus aussi salvatrice qu’elle en a l’air. À ce sujet, chaque tentative s’appuyant sur vos caractéristiques possède un taux de réussite que l’on peut augmenter en dépensant des points supplémentaires (Effort) d’Intellect, de Puissance et de Célérité. Ces points sont limités, on peut en récupérer en utilisant un objet ou en dormant dans une auberge, ce qui peut entraîner l’échec d’une quête limitée dans le temps. L’équilibre est assez bien pensé malgré l’aide que peut apporter nos compagnons, car on peut aussi utiliser leurs compétences et leurs points pour réussir certaines actions.

On retrouve les fameux bateaux volants de Planescape

Le combat est totalement optionnel (on peut finir le jeu sans en déclencher un seul), chaque “crise” peut être évitée par un choix préalable ou une option de dialogue. L’affrontement direct n’est qu’une voie de dernier recours et même si cette dernière se présente il est toujours possible d’en limiter la portée en utilisant des éléments du décor comme des tourelles offensives, une porte à fermer ou encore un pont à désactiver. Le jeu propose même de pouvoir discuter avec certains assaillants afin de les convaincre de changer de bord en plein combat ! Torment n’est pas un jeu d’action et avouons que dans ce secteur il s’avère brouillon et assez complexe. Magie, corps à corps et armes à distance se mêlent dans un tour par tour des familles. Suivant notre style de jeu on se rendra vite compte que les combats s’avèrent toutefois plus tactiques que de prime abord avec la nécessité de repérer l’élément le plus dangereux pour le mettre hors d’état de nuire rapidement, tout en protégeant nos compagnons les plus fragiles. On peut aussi utiliser des Cyphers, sorte d’artefacts d’un ancien monde particulièrement puissants mais tout aussi dangereux. Une lame à double tranchant à utiliser avec parcimonie.

Le jeu est loin d’être avare en détails... mais dans le texte seulement

Torment - Tides of Numenéra pèche surtout par son histoire qui peine à donner de l’ampleur à son fil rouge. Une sorte de trop plein qui asphyxie le joueur plutôt que de lui faire réellement vivre une aventure épique, celle-ci manquant cruellement de moments marquants. Non pas qu’il soit déplaisant à jouer, la quarantaine d’heures de jeu nécessaire pour le finir sont particulièrement intéressantes mais au final on en ressort avec un sentiment mitigé, entre l’exaltation des premières heures et le train train qui s’installe vers son final. Un arrière-goût amer, accentué par quelques bugs d’affichage au niveau des textes mais aussi par un, beaucoup plus néfaste, qui plante le jeu totalement. Pour un jeu qui demande énormément d’investissement et qui mise beaucoup sur son ambiance, lorsque l’on tombe sur ce genre de bug il est très difficile de relancer une partie tout de suite après. Comme on dit dans ces cas-là : en attendant un patch…

Bilan

On a aimé :
  • Un très bon successeur à Planescape : Torment
  • Un jeu de rôle textuel particulièrement riche
  • Un univers extraordinaire
  • Un rythme lent et posé
On n’a pas aimé :
  • Un rythme lent et posé
  • Un final moins riche que les débuts et une histoire tout sauf épique
  • Le jeu plante, assez souvent
Et il referma sa console sur elle-même, des étoiles plein la tête

Torment Tides of Numenéra est un jeu de rôle anachronique, et ceci est dit sans aucune pensée péjorative, bien au contraire. Il semble tout droit sorti d’une époque bénie où le joueur féru de jeu de rôle rêvait au gré des grandes épopées offertes par Bioware et Black Isle. Une époque où les effets visuels étaient compensés par la liberté, par l’écriture et par l’immersion contextuelle. Autant dire qu’il ne s’adresse pas à tout le monde et ne trouvera grâce qu’auprès d’une infime partie de joueurs de nos jours. Des vieux croulants ou des jeunes curieux, voulant sortir des schémas actuels du RPG où la technique et les combats règnent en maître. Torment va jusqu’à ignorer les combats, il va puiser dans une technique voulant être la plus fidèle et la plus proche des archétypes des grands jeu de rôle de l’époque : Baldur’s gate, Fallout et Planescape : Torment. Le conseiller sans retenue serait une erreur, mais encourager chaque amoureux de cette époque à se laisser tenter, chaque curieux à pousser la porte et à pénétrer sur les terres étranges de Torment serait, malgré ses errements, le plus avisé des conseils.

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Torment : Tides of Numenéra

PEGI 16 Violence

Genre : RPG

Editeur : Techland Publishing

Développeur : inXile Entertainment

Date de sortie : 28 Février 2017

Prévu sur :

Xbox One, PlayStation 4

2 reactions

Eboux

30 mar 2017 @ 11:36

Il me tente tellement sur le papier mais je n’aurai jamais le temps de m’y plonger. C’est con.

Joaz

30 mar 2017 @ 20:55

Merci pour ce test, j’étais surpris de ne rien voir venir chez vous sur ce jeu. C’est désormais chose faite ! :-)