Déjà sur PC depuis un moment, Dear Esther s’est invité sur consoles, une destination pourtant à priori peu propice à un titre aussi étrange et différent de ce qu’on peut trouver sur des machines dont la finalité première est en théorie le jeu. En effet, Dear Esther n’en est pas un, mais plutôt une sorte d’ovni unique qu’on va décortiquer dans ce test.
Avant tout une histoire, ou trois
On commence le jeu sur la jetée d’une île peu accueillante, manifestement déserte bien que des vestiges de présence humaine subsistent, battue par le vent et la décrépitude. Une antenne dotée d’une lumière rouge va devenir notre objectif. Alors qu’on suit un chemin balisé, une voix off, la nôtre, va nous raconter une triple histoire.
Celle liée à Esther, une autre d’un écrivain ermite oublié, et celle du héros de son livre. Ces histoires se répondront, se mêlant, s’adaptant directement ou non au parcours mental de notre avatar. Le concept du jeu s’arrête là, pendant les 90 petites minutes nécessaires pour en voir le bout, ce qui est sa plus grande limite, mais également sa plus grande force.
Définitivement pas un jeu
Il n’y a AUCUN mécanisme de gameplay : on ne peut pas grimper, sauter, ou même interagir avec quoi que ce soit. La seule possibilité qui nous est laissée est d’avancer, lentement, ce qui donne l’impression qu’on est en train de faire une promenade dans un lieu sauvage. Ainsi, Dear Esther n’est pas un walking simulator, pas même un jeu : c’est l’illustration d’une lecture qui nous est faite. Pour le joueur, cette démarche n’est pas naturelle, et le rejet peut être immédiat. Le choix des développeurs est radical et donc assumé : on peut sans peine imaginer que l’histoire, ou au moins une partie, aurait pu être racontée à travers une recherche d’objets, ce qui aurait été d’autant plus logique puisque la narration est largement basée sur une correspondance.
A l’inverse, ce parti pris permet de faire exactement correspondre le visuel à ce qui est raconté, illustrant les mots en renforçant leur impact. C’est donc une vraie démarche artistique qui est proposée, la prolongation d’une œuvre avant tout littéraire. Heureusement, cette base est d’une évidente qualité. L’écriture est soignée, l’acteur performant, et la traduction de haut niveau. Graphiquement c’est aussi une réussite avec des décors qui dégagent une personnalité forte, et qui peuvent même s’avérer être magnifiques (les grottes). Le refus de tout compromis limite cependant l’accessibilité de la démarche à un public bien particulier : celui qui à la base est déjà amateur de produits culturels élitistes qui ne cherchent pas la vulgarisation.
L’aspect technique est secondaire, mais la réalisation est solide, facilitant une volonté poussée d’esthétisme évidente. C’est surtout la bande son que je soulignerais. A la fois discrète et présente, elle renforce habillement le propos général.
Dear Esther a globalement bien fonctionné sur moi, puisque j’ai effectivement ressenti les errements du personnage, même si j’ai regretté une révélation trop cryptique me laissant l’impression d’une œuvre poussant le bouchon le plus loin possible avec un brin de prétention là où elle aurait gagné à être juste un poil plus littéral. On peut refaire le jeu agrémenté des commentaires des développeurs, ce qui peut être considéré comme une valeur ajoutée, mais l’éclairage apporté, bien qu’intéressant, reste chiche pour ce qui est de donner les clés de compréhension et de conception, ne répondant que partiellement aux questions qu’on peut se poser. En peu de mots : c’est un titre cérébral clairement adressé à des intellectuels.