S’il y a bien un genre vidéoludique qui a percé ces dernières années, c’est celui des jeux narratifs. Non pas qu’auparavant les jeux ne racontaient pas d’histoire, mais c’est surtout l’approche très épurée du gameplay - trop pour certains - couplée à un style cinématographique avec une narration linéaire qui a le vent en poupe. Virginia est de ce type-là : le joueur est plus spectateur qu’acteur. Si ce style ne vous a jamais réellement emballé, il n’y a que très peu de chances pour que vous accrochiez ici, d’autant plus qu’il se veut bien opaque. Mais à qui s’adresse-t-il vraiment et que nous raconte-t-il ?
Player Walk With Me
« Commencer votre voyage. ». Telle est l’invitation qui nous est faite au début de Virginia. Un petit texte nous indique que le jeu a été écrit en se basant sur une vraie affaire du FBI, ironie que n’auraient pas reniée les frères Cohen. Ensuite, un générique avec ses bandes noires démarre. Dirigé par, écrit par, musique composée par... Dès le début du jeu, on ne nous cache pas les intentions premières du titre : délivrer le chaînon manquant entre le cinéma et le jeu vidéo. Alors certes, d’autres ont tenté ce pari avant et l’intention n’est pas nouvelle. Pour autant, la forme est un peu différente. Je ne parle pas ici de sa direction artistique particulière : on aime, ou pas, je vous laisse vous faire votre avis sur les images.
Tout d’abord, les développeurs ont choisi la vue à la première personne pour nous plonger dans notre rôle de spectateur actif. On peut se dire qu’à part le récent Hardcore Henry qui l’utilise tout du long de son récit ou encore le remake de Maniac, rares sont les films à rester en vue subjective plus de quelques instants. Après tout, il a bien fallu garder quelques éléments stylistiques propres au jeu vidéo et ce choix est vraiment lié à l’histoire dans le cas qui nous intéresse, nous y reviendrons.
Si nous restons maître de nos déplacements la plupart du temps, nous conférant ainsi le statut de réalisateur, le travail de mise en scène n’est pas totalement absent du jeu. En effet, les ellipses narratives rythment le récit. Choix astucieux qui évite de toujours arpenter les mêmes longs couloirs vides pour aller d’un point A à un point B. Choix réellement malin lorsqu’il s’agit de jouer avec la temporalité, ou même la réalité.
Lost My Way
Virginia ne nous raconte pas une histoire. Il nous laisse nous débrouiller avec des événements. On incarne une agent du FBI et on enquête sur la disparition d’un enfant dans un petit village. Les clins d’oeil à Twin Peaks sont fréquents : scènes de dégustation de café, relents musicaux bien sentis,... le style du jeu emprunte aussi beaucoup à l’univers de David Lynch en général, période Lost Highway ou Mulholland Drive.
Notre compréhension des événements est de plus en plus floue à mesure qu’on avance dans le récit. On cherche des indices sur lesquels se rattacher pour comprendre de quoi il s’agit vraiment. En vain. Il faudra largement plus se laisser guider par des éléments symboliques forts amenés par des rêves inquiétants et par les images. Rêve et réalité se mélangent d’ailleurs souvent, ce qui risque de laisser les plus cartésiens sur le bas-côté. Pour les autres, ceux qui aiment le mystère et les énigmes, le train ne s’arrêtera à aucune gare jusqu’à la fin de son périple.
Pour nous faire vivre un film, les développeurs ont tenté une approche assez nouvelle. De toute l’aventure, aucun dialogue ne nous explique ou contextualise les scènes. Il nous appartient de nous attarder sur des indices, nous forçant à réfléchir tout du long pour faire nôtre le récit, de fil en ellipse. Si on était habitué à des héros muets par le passé, ici ce sont tous les personnages qui le sont et aucune ligne de dialogue, même écrite, n’apparaît. Il y a bien quelques textes à lire, mais finalement, on ne nous laisse souvent que peu de temps pour les parcourir. Des bribes d’informations, des débuts de scènes, des situations suspendues. Voilà de quoi se constitue réellement Virginia.
C’est le travail sur le son et la musique qui nous guidera. Les musiques, très bonnes et très cinématographiques dans l’ensemble, développent des ambiances parfois inquiétantes, parfois libératrices, nous emportant dans la psyché des personnages plus que n’importe quels mots. On vit cette aventure avec l’OST et surtout avec les bruitages et ambiances sonores. Rien n’est vraiment laissé au hasard et il faudra relancer l’aventure plusieurs fois pour bien s’en rendre compte. Et c’est en cela que le choix de la vue à la première personne est pertinent : il nous oblige forcément à voir et entendre les choses d’une manière telle qu’elle l’a été souhaitée par ses créateurs.
The Unstraight Story
Si le pari initial semble relevé haut la main, le titre n’est pas pour autant dénué de défauts. Premièrement, il est très court. Il faudra bien moins de 2h pour voir le générique de fin. Ensuite, les interactions nécessaires ne sont pas toujours claires. Parfois, il faut trouver une action à réaliser, parfois non. On se retrouve de temps à autre à attendre ou à chercher quelque chose sans trop savoir quoi. Les moments où on ne peut même pas regarder autour de soi sont aussi frustrants. Il est maladroit de nous donner des libertés pour nous en priver quelques secondes plus tard. Plus restrictive encore, la dernière partie du jeu s’accélère considérablement. On se retrouve prisonnier de beaucoup d’ellipses et de changements de scène qui ne proposent aucune interaction.
Plus décourageante encore : la trop forte symbolique. Si on ne s’attend plus à une réelle explication, on se demande pour autant l’intérêt de certaines scènes qui semblent ne rien apporter à l’histoire. D’autant plus que celles-ci se basant sur des faits qui se sont réellement produits, pourquoi avoir cherché à obscurcir à ce point la réalité pour la reléguer au deuxième plan ou l’évincer complètement, préférant aux faits réels des délires que Fox Mulder n’aurait pas reniés. X-files est aussi une référence majeure des créateurs. D’ailleurs la collègue de notre personnage est une paria recluse dans les sous-sols du FBI et, sans vouloir spoiler, le jeu s’inspire d’autres éléments de la série. Mais ça, je vous laisse le découvrir par vous-même !