Le réveil se met en branle, moi non. Mon bras sort péniblement de sous la couette et tâtonne machinalement au-dessus de l’heure afin de faire taire son horrible hululement matinal. Peu de temps après, je me redresse et reste prostré quelques secondes, le temps de recouvrer mes esprits. Je me dirige vers la fenêtre et ouvre tranquillement les volets. Le ciel est bleu, une légère brise caresse la ramure des chênes qui bordent notre jardin. Je surprends un écureuil au milieu de la pelouse. Curieusement, il reste immobile et fixe étrangement quelque chose à sa droite. Je me penche pour voir ce qui l’attire autant. Et je ne vois rien. Ou plutôt je ne vois plus rien. Une immense lumière a tout dévoré. L’écureuil. Mon jardin. Ma maison. Ma famille. Moi. Si j’avais été plus loin, bien plus loin, j’aurais pu entendre le bruit de l’explosion et contempler avec effroi le terrible champignon de poussière, de gravas et de chairs calcinées s’élever dans le ciel. Le monde ne sera plus jamais comme avant après ça.
Wasteland : Le Guide du routard
Si jamais seul le test du jeu vous intéresse alors passez directement au chapitre suivant.
Inutile de chercher dans votre guide. Les Terres Désolées n’y sont pas. Pour avoir une chance de tomber sur leur description il faut chercher dans les ouvrages plus anciens et remonter en 1988 soit trois ans après la sortie en salle de Mad Max 3. Édité par EA et dirigé par Brian Fargo le fondateur d’Interplay, après cinq années de développement, Wasteland sort sur Apple II avant d’être porté sur Commodore 64 et PC. Ce jeu de rôle post apocalyptique est à l’époque révolutionnaire, tant soit sur son contexte post apocalyptique -jusqu’alors rarement abordé dans les RPG- que sur ses mécanismes de jeu. Wasteland est le premier jeu à proposer un univers persistant. Pour la petite histoire, les ordinateurs ne disposant pas de disque dur à l’époque, le jeu sauvegardait continuellement les données sur la disquette originale, si bien qu’il était demandé de faire au préalable une copie avant de commencer sa partie. L’accueil par la presse et les joueurs fut unanime, l’écrivain Orson Scott Card (auteur de la Stratégie Ender entre autre) allant même jusqu’à s’adonner au rôle de critique pour ce jeu. Et puis… plus rien. Une séquelle a bien vu le jour en 1990 sans même s’affirmer comme telle, même si aucun membre du staff original n’a travaillé dessus.
Pour jouer à la vraie suite de Wasteland il faudra attendre 1997 et regarder à nouveau du côté d’Interplay qui avait commencé à distribuer ses propres jeux et gagner leur indépendance en 1988. Cette suite spirituelle trouve le nom de Fallout, la licence Wasteland étant toujours propriété de EA. Oui, Fallout, le jeu post apocalyptique culte qui a fera passer à bon nombre de joueurs une multitude de nuits blanches inoubliables. Fallout et sa suite Fallout 2 sortie en 1998 restent encore aujourd’hui comme les références ultimes de jeu de rôle post apocalyptique. Leurs décors fixes en 3D isométrique, leurs combats tactiques au tour par tour et les musiques lancinantes et organiques de Mark Morgan hantent encore les rêves de bon nombre de joueurs. Ces deux épisodes distillent subrepticement quelques références à leur géniteur Wasteland, ses terres désolés, ses personnages et les célèbres Rangers du désert. Fallout 3 change radicalement la donne en abandonnant la représentation en 3D isométrique et le traditionnel combat au tour par tour pour pour leur préférer une vue à la première personne et un système de combat bâtard. L’histoire aurait pu s’arrêter là…
En 2003, Brian Fargo monte InXile Entertainment et acquiert les droits du nom Wasteland des mains de… Konami qui l’avait récupéré pour son jeu de carte Yu-Gi-Oh !. En 2007 Brian Fargo lâche ce qui fait office de bombe nucléaire dans la communauté des fans de Fallout : il souhaite faire revenir le jeu qui a été à l’origine de Fallout. Le financement reste le seul frein au projet, un obstacle qui va être levé grâce à l’opportunité Kickstarter. Le 13 mars 2012, après avoir assemblé autour de lui, l’équipe centrale à l’origine de Wasteland, le designer de Fallout Jason Anderson et le compositeur de Fallout 1 et 2, Mark Morgan, Fargo mise sur un budget minimum d’un million de dollars pour faire le jeu. Les dons atteindront trois fois cette somme à la fin de la campagne participative. Le jeu sortit le 19 septembre 2014 sur PC ; le succès fut au rendez vous si bien que Wasteland 2 version director’s cut arriva en octobre 2015 sur notre chère Xbox One. La boucle est bouclée, reste à connaître maintenant la qualité intrinsèque du jeu…
Wastout ou Falland ?
Pour les vieux baroudeurs ayant déjà écumé de leurs guêtres la moindre parcelle de poussière de Fallout 1 et 2, pour eux qui ont fumé des troupeaux entiers de Radscorpions je vais éviter de prendre des chemins de traverse et leur clamer bien haut : Wasteland 2 n’est autre que la suite spirituelle de Fallout 2 ! C’est bien simple on a l’impression d’être monté dans une vieille DeLorean accompagné d’un savant fou qui nous a envoyé près de 20 ans dans le passé jouer à la suite directe de ces deux grands jeux. Tout, mais vraiment tout transpire le Fallout. On retrouve cette vieille 3D isométrique entièrement en 3D cette fois quand même -avec des soucis de caméra en prime-, on retrouve ces combats tendus au tour par tour, toujours aussi tactiques, la couverture en plus et le tout baigné dans les musiques poisseuses de Mark Morgan. L’habillage sonore de Wasteland 2 puise totalement dans la bibliothèque de Fallout : les débuts et les fins de combat, les musiques discrètes, le jeu des acteurs (entièrement en anglais sous-titré). En fermant les yeux, l’illusion est presque totale, lorsqu’on les rouvre ils cherchent vaguement du regard la porte caractéristique d’un Abri, la tenue bleue floquée du numéro de ce dernier mais ils ne trouveront rien de tout cela, juste un groupe de Rangers du désert.
Un groupe de quatre Rangers qu’il va falloir bichonner et confectionner soigneusement au départ tant les possibilités sont grandes. Il y a de fortes chances que votre première équipe finisse le nez dans la poussière, quelques membres accrochés sur des cactus et les mains crispées sur un fusil qui s’est malencontreusement enrayé au mauvais moment. La création des personnages a toujours été un moment particulier dans un jeu de rôle, un moment où l’on tâtonne, où l’on pèse le pour et le contre de choisir telle ou telle aptitude plutôt qu’une autre. Wasteland 2 pousse cette étape assez loin, mettant à la disposition des joueurs un nombre conséquent de talents plus ou moins nécessaires mais tous utiles à un moment donné du jeu.
Les points à distribuer sont chers et on ne sait pas forcément à quoi peut réellement servir de savoir réparer des grille-pains ou d’être un ami des bêtes. Notre première équipe sert donc de test, afin de se rendre compte qu’un Ranger médecin est vital, qu’un expert en explosif peut s’avérer fort utile pour désamorcer les pièges, de même qu’un roublard capable de forcer les serrures des portes ou des coffres. En fait, tout semble utile au début du jeu mais on est toutefois poussé à privilégier quelques talents comme celui de Commandement pour un de nos personnages. Ce dernier s’avère crucial lorsque notre escouade enrôle de nouveaux membres qui, sans être tenus par une personne forte, n’en feront qu’à leur tête lors des combats. Vu que les tirs dans le dos de la part de « collègues » sont des accidents fréquents et que les combats sont extrêmement tendus, il est très désagréable de voir notre petite troupe s’éparpiller n’importe comment. On se rend aussi rapidement compte que certaines armes sont inutiles au début du jeu comme les lasers et les armes lourdes. D’où l’importance cruciale du choix de notre équipe !
Des Terres pas si désolées que cela…
Wasteland 2 commence par un enterrement. Pas celui de votre équipe toute fraîche et inexpérimentée, non, celui-là arrivera un peu plus tard, mais celui d’un autre Ranger du désert, beaucoup plus expérimenté et connu sous le nom de Ace. Attaquer un Ranger c’est balancer un coup de pied dans le seul organisme post-nuke de maintien de l’ordre et de défense des villes libres contre les bandits de tout poil. La mission d’Ace semblait pourtant plutôt banale, il devait juste trouver la provenance d’un étrange signal radio qui proclamait que bientôt l’homme et les machines ne feraient qu’un. Le général Vargas, chef en titre des Rangers du Désert, décide d’envoyer sa meilleure équipe pour mener l’enquête ! Euh… non, ils ne sont pas dispo, ni les autres en fait, ils sont déjà tous en mission un peu partout. Il ne reste plus que votre équipe de bleus pour faire le travail. Et vous voilà parti pour un périple de plus d’une centaine d’heures dans les Terres Désolées.
Le scénario de Wasteland 2 est un véritable régal, il s’appuie sur une écriture solide et dense. Toute une partie de l’écran est réservée à la narration, des tonnes et des tonnes de textes, du simple dialogue, des résumés de vos actions aux nombreux passages descriptifs de votre environnement, vous allez devoir vous poser devant votre écran et lire. Oui, si vous n’aimez pas lire, Wasteland 2 n’est pas fait pour vous, et attention, si vous disposez d’une petite télé ou que vous aimez vous tenir à quatre mètres devant assis tranquillement sur votre canapé, vous risquez de finir vos parties avec une grosse migraine. Tout ce texte aurait pu être totalement indigent et indigeste s’il n’était pas bien écrit mais aussi truffé de références en tout genre, littérature, films, jeux vidéo et d’un humour noir omniprésent. Wasteland 2 c’est ça, un monde sombre, malade, névrosé, totalement fou mais aussi cynique et drôle, même le descriptif des objets amassés n’y échappent pas !
Dans sa structure, les différents embranchements scénaristiques et la résolution des quêtes offrent une grande richesse dans le déroulement de nos parties. Dès le début de votre partie, vous allez devoir faire un choix primordial entre sauver l’Agrocentre d’une épidémie virulente ou la ville de Highpool attaquée par une horde de bandits. Le choix est irréversible et les conséquences désastreuses pour l’un ou l’autre… Et c’est en plein cœur de ces missions que l’on découvre l’importance des capacités de votre équipe. Suivant celles-ci, il est tout à fait possible de crocheter une porte ou de l’ouvrir en piratant un ordinateur, de sauver un otage par la force ou de convaincre son ravisseur de le laisser partir. Les possibilités sont immenses et sujettes à vos talents et surtout à leur taux de réussite…
Et c’est à ce moment que l’on se heurte au plus gros écueil du jeu. Car oui on peut faire fi de la faiblesse technique, de la caméra capricieuse, des bugs de sélection d’objets (ne maintenez pas le stick lorsque vous voulez alterner entre l’arme principale et secondaire) et même du blocage de votre leader d’équipe dans le décor. Mais lorsque l’on se heurte à des problèmes de mécanisme même du jeu, c’est plus gênant. Comme dans les vieux Fallout, tout est sujet au niveau de vos talents et à un taux de réussite. Avant chaque tentative vous aurez votre probabilité de réussite. Tenter de désarmer une bombe avec 75% de réussite et se farcir un échec critique tuttant la moitié de votre équipe est… fâcheux. Que fait alors un joueur normalement constitué ? Il sauve sa partie avant de tenter quoi que ce soit, puis recharge en cas d’échec critique. Dans Wasteland 2 on sauvegarde et on recharge souvent, et on passe pas mal de temps à contempler les écrans de chargement et la petite étoile de Ranger tourner. Très old school comme concept mais vu la drogue qu’est le jeu, on ne va surtout pas cracher dans la soupe.