C’est donc avec une certaine méfiance que j’ai attaqué The Last Of Us, et autant dire que j’ai été cueilli par le jeu. Ce qui s’en dégage : la maturité d’une œuvre d’artistes sûrs d’eux et ne cédant pas à la facilité de leur précédent jeu créé en pilote automatique. On dirait qu’ils ont pris un par un les pires tares de cette génération de jeux pour en prendre le contre-pied.
Les horribles scripts, le fléau du gameplay de cette génération, laissent place à de l’exploration, à des décors qui ne sont pas juste des parcours. Du coup, on y prête attention, et on a bien raison car ils sont globalement magnifiques (en particulier les extérieurs, les scènes en intérieur étant plus banales). Le rythme trépidant qui finit par en devenir saoulant se transforme en un jeu bien plus proche du reflet de la vie d’un survivant, avec des périodes de stress intense, d’autant plus intense que ces passages surgissent comme des pics au milieu de périodes d’attente pendant lesquelles il ne se passe pas grand-chose en termes d’action. Du coup, c’est en permanence qu’on est sur nos gardes, le danger pouvant surgir de n’importe où, et surtout n’importe quand. Enfin, on a le droit à des personnages fouillés particulièrement réussis, et à des thématiques fortes peu courantes dans les jeux vidéo.
Tout cela vient en écho de l’édito que j’ai rédigé concernant Red Dead Redemption. Si The Last Of Us est un grand jeu, ce n’est pas parce qu’il est beau, ce n’est pas parce que c’est une prouesse technique : c’est parce qu’il véhicule des émotions.
Un jeu à vivre
La caractérisation des personnages est un petit bijou, un véritable modèle du genre, permettant de développer des thématiques fortes, sur les valeurs humaines entre autres, mais aussi, et surtout, sur la relation de paternité. Le parallèle avec le jeu The Walking Dead, autre titre marquant de cette génération en termes de narration, est évident, et The Last Of Us n’a rien à lui envier, ce qui n’est pas peu dire ! Ainsi, on va jouer une personne à la personnalité trouble, exprimant des facettes opposées de façon complexe et pourtant logique. C’est véritablement l’homme de la situation, violent, sans pitié, prêt à toutes les extrémités pour survivre, comme un animal. Tout en ayant conscience de ce qu’il est, il se rend compte qu’il est une sorte de mal nécessaire, et qu’il n’est pas grand-chose à côté de ce qui est allégoriquement sa fille. C’est lui qui la protège, mais par sa pureté, c’est elle qui lui est supérieure. Il le sait, et il l’aime, il fera donc ce qu’il faut pour la protéger et pour qu’elle reste ce qu’elle est : c’est elle qui est importante, même si c’est lui qu’on contrôle.
Je parlais d’une histoire banale, mais par contre c’est un excellent scénario. C’est la relation entre ces deux personnages qui est le cœur du jeu, pas les séances de gunfight ni les zombies hargneux.
Cette relation est retranscrite avec un énorme talent, et on se projette avec une facilité déconcertante dans ce père improvisé (d’autant plus quand on a des enfants…). Ainsi, je me souviens très bien, pendant le jeu, avoir eu un peu honte de défoncer le crâne d’un adversaire sous les yeux de la gamine, comme si cela allait salir son âme. Pour provoquer une telle empathie, Naughty Dog émaille le jeu de scènes pendant lesquelles il n’y a pas grand-chose d’autre que des dialogues entre eux. Superbement écrits, ceux-ci sont d’un naturel rare, et étoffent petit à petit le lien entre les deux personnages. Je me souviens ainsi très bien d’un passage (un de mes préférés) où les deux traversent une forêt jusqu’à arriver à une sorte de camp. L’espace d’un instant, on pourrait croire qu’on suit un père et sa fille se baladant dans les bois, comme une pause dans cet univers chaotique, comme une parenthèse de normalité dans un monde de folie. Ce n’est pas une scène spectaculaire, loin de là, mais authentique, ayant une vraie utilité narrative et dramatique, et renforçant par comparaison la sauvagerie d’autres passages. On ne se refait pas après avoir tant utilisé de scripts, la mise en scène est encore perfectible par moments, mais parfois elle est rudement efficace, comme dans ce passage. Régulièrement on aura des scènes qui resteront gravées en mémoire grâce à des idées brillantes de mise en scène (la radio qui continue de jouer alors que la violence se déchaîne autour, par exemple).