Lors d’un rendez-vous avec des professionnels à l’occasion d’un salon tel que celui de la Gamescom, il faut bien souvent s’attendre à devoir endurer les discours formatés des nombreux acteurs du monde du jeu vidéo. Calibrées à la virgule près par les services marketing, les réponses ne débordent pas souvent du cadre et il faut savoir alors lire entre les lignes et décrypter les intonations de voix pour saisir le sens caché des échanges.
Avec Vincent Desmazes, responsable « France » des services d’abonnement chez Xbox, la chose se passe un peu différemment. Derrière un enrobage et un discours policés de prime abord, pointe l’avis d’un réel passionné de jeu vidéo, qui dit ce qu’il pense en pensant ce qu’il dit, et nous on aime ça. Clé de voûte de l’offre d’Xbox, le Game Pass est devenu une offre incontournable dans l’univers du jeu vidéo. Décrié et parfois mal compris par les joueurs à ses débuts, il est désormais la pierre angulaire sur laquelle Microsoft repose ses ambitions d’expansion. Sa genèse, son devenir, son intérêt pour les éditeurs de jeu vidéo : nous avons essayé d’en savoir un peu plus.
Xboxygen : Qu’est-ce qui selon vous a encouragé Microsoft à concevoir puis proposer le Xbox Game Pass ?
Vincent Desmazes : Je pense que cela part de plusieurs constats. Il y a un constat que les modes (même si je n’aime pas le terme) de consommation des biens culturels évoluent. Dans la vidéo, dans la musique, on se rend compte qu’une très grande partie de la consommation se fait par abonnement, ce qui n’est pas le cas dans le jeu vidéo, mais ça commence à arriver. Donc c’était assez naturel pour nous d’y aller. Ça nous permet de proposer quelque chose d’un peu différent, de pousser la découverte de nouveaux jeux. On est vraiment dans cette logique-là, de proposer un maximum de choix et de découverte via le Game Pass.
Xboxygen : Après l’univers du PC, le Game Pass a-t-il pour ambition de se voir proposé sur les autres plateformes (Sony et Nintendo) ?
Vincent Desmazes : [Sourire embarrassé] Je ne sais pas... Déjà, en arrivant sur PC, nous décloisonnons complètement et nous ne sommes plus seulement tributaire de la console Xbox. L’objectif est de s’élargir au maximum, de permettre à toute personne d’accéder à nos propositions et à nos jeux, quel que soit le device ou le jeu auquel elle joue. Est-ce qu’on ira au-delà ? L’avenir nous le dira... Pour l’instant, réussissons à faire en sorte que nos joueurs découvrent la valeur du Game Pass, après peut-être que l’on verra. Je sais qu’il y a des rumeurs, on en a beaucoup entendues, mais en tout cas cela ne vient pas de nous.
Xboxygen : Le Game Pass a-t-il un, ou plusieurs, concurrent(s) ?
Vincent Desmazes : [Sourire embarrassé à nouveau, petite pause] C’est difficile... Tout ce que je puis dire, c’est qu’on voit beaucoup de grandes entreprises qui ne sont pas dans le jeu vidéo et qui arrivent. Nous, nous avons une histoire dans le jeu vidéo, nous avons une communauté très active qui est un de nos piliers essentiels, nous avons des jeux et nous avons du contenu. Depuis des années, nous développons des jeux et, si nous regardons un petit peu plus loin, nous avons un troisième pilier qui est le cloud. Nous sommes l’un des leaders mondiaux dans le cloud. Nous parvenons donc à réunir les trois conditions qui vont nous permettre de continuer de grandir, d’être un leader essentiel dans le jeu vidéo et un acteur essentiel de la création de contenu. Je ne suis pas sûr que tous réunissent ces trois conditions. Et sans vouloir me prononcer plus avant, je pense que nous sommes dans une position à peu près unique dans l’univers du jeu vidéo.
Xboxygen : Azure, le Game Pass et l’histoire d’Xbox dans le jeu vidéo sont selon vous les atouts essentiels de Microsoft ?
Vincent Desmazes : Je pense que ce serait une erreur de se dire : on a le patrimoine, les jeux, la communauté, le cloud, donc c’est bon. Quand je parle de cloud, c’est encore tout récent, et d’ailleurs on n’y est pas encore. Nous avons parlé du projet xCloud mais ce n’est pas encore pour tout de suite. Si on était juste en train de se dire : on est sur nos acquis, c’est bon, on a de l’avance, on n’y arriverait pas. La vision de Phil Spencer est de réunir les trois piliers que sont le cloud, la communauté et le contenu.
Xboxygen : La fameuse philosophie des 3 C, donc ?
Vincent Desmazes : Exactement ! [rires] C’est ça !
Xboxygen : Selon vous, la course à l’exclusivité entre les constructeurs existe-t-elle encore ? Est-elle amenée à s’intensifier encore ou bien au contraire à ralentir ?
Vincent Desmazes : Nous avons effectivement annoncé l’acquisition de plusieurs studios et de son côté Sony continue d’en acquérir pour proposer des exclusivités. Je pense que l’exclusivité restera un élément important dans le choix du consommateur, du joueur, pour aller vers tel ou tel écosystème. Ceci étant dit, Microsoft a vocation à vouloir baisser les barrières, quel que soit le device, à aller proposer nos jeux aux joueurs PC, et peut-être au-delà à l’avenir.
Xboxygen : Comme avec Ori sur la Switch…
Vincent Desmazes : Parfaitement. Je pense que l’exclu reste quelque chose d’important, mais on se rend compte aussi qu’on les ouvre un peu plus. En fait, c’est moins l’idée d’avoir des exclus que d’avoir du contenu en soit. C’est toujours plus simple de produire soi-même le contenu, pour venir alimenter le Game Pass. Quand on lance le Game Pass et qu’en parallèle nous rachetons des studios, ou que nous en créons, ce ne sont pas des choses qui sont décorrélées. C’est qu’on a besoin d’alimenter le Game Pass. On a besoin, quand on a un business d’abonnement, que les gens s’abonnent et puis qu’ils restent parce qu’on leur apporte du contenu. C’est en ça qu’avoir des jeux et des studios à nous est important. Pour pouvoir l’alimenter régulièrement avec des nouveautés. Après, est-ce que ces nouveautés doivent absolument ou nécessairement être des exclus ?… Je ne sais pas... Aujourd’hui, c’est comme ça qu’est organisé le business, peut-être que demain ça va s’ouvrir et que, à l’image d’Ori, de Minecraft ou d’autres, il y aura un peu moins cette logique-là. Encore une fois, ce qui est important c’est d’avoir du contenu pour alimenter nos services. Que ce contenu soit exclusif, est-ce que c’est essentiel, je ne sais pas… mais selon moi ça n’a pas vocation à bouger tout de suite.
Xboxygen : À l’image de cette volonté d’ouverture assumée par Phil Spencer, est-ce que d’autres exclusivités Microsoft se retrouveront bientôt sur PS4 ou Switch, avec par exemple Sea of Thieves ?
Vincent Desmazes : Je ne peux pas parler pour lui, mais au-delà de Phil Spencer, dans la philosophie de Satya Nadella, c’est vraiment l’ouverture. C’est Office, pour sortir un moment du business du jeu vidéo, qui s’est ouvert au-delà de l’univers PC et de l’univers Windows, donc on est vraiment dans une logique de service qui dépasse véritablement le cadre de notre écosystème cloisonné. Il y a effectivement des signes qui montrent que nous souhaitons nous décloisonner. On est content quand il y a du crossplay, comme sur Fortnite ou PUBG.
Xboxygen : Est-ce que, à ce jour, l’étendue de l’offre du Game Pass a atteint une forme de limite en termes de nombre de titres ?
Vincent Desmazes : En interne, nous n’avons pas de plafond, nous ne nous sommes pas dit on va jusqu’à 500, on va jusqu’à 1000. Il y a une équipe qui est dédiée au choix des jeux qui rentrent dans le Game Pass, et le but n’est pas d’avoir un catalogue infini, mais de n’avoir que des jeux qui sont réfléchis, de s’assurer que tous les joueurs soient représentés de façon équitable et qu’il n’y ait que des jeux de qualité. Ce qui ne veut pas dire forcément que des jeux connus ou avec un grand succès commercial, mais à un moment donné, ça donne une limite malgré tout. Alors, aujourd’hui on est à 200, peut-être que l’on montera à 300, 350, je ne sais pas… Je ne suis pas convaincu que l’on aille au-delà parce qu’on s’y perd après, et ce n’est pas l’objectif. Il faut que dans le même temps on puisse s’assurer que les éditeurs qui viennent chez nous puissent avoir une visibilité. Si c’est juste accumuler des jeux, ça ne sert à rien. Le but est vraiment de proposer un service de qualité, et nous préférons avoir moins de jeux, mais de bons jeux, divers et variés.
Xboxygen : De votre point de vue, comment est accueilli le Game Pass par les développeurs de jeux vidéo ? Le voient-ils comme une bonne ou une mauvaise chose pour eux ?
Vincent Desmazes : Sur les développeurs je ne pourrai pas avoir de réponse éclairée. En revanche, nous avons des éléments clairs venant de la part des éditeurs. Quand on voit Koch Media qui propose assez rapidement Metro Exodus, 3 ou 4 mois après sa sortie, ou un Devil May Cry 5 qui arrive, cela prouve bien qu’ils s’y retrouvent, car une fois que le jeu a vécu sa vie de nouveauté sur les 2/3 premiers mois, en rentrant dans le Game Pass cela leur permet de relancer le jeu. On observe, en règle générale, qu’un jeu qui rentre dans le Game Pass voit son usage relancé par 6 en moyenne. Un jeu qui a 10 joueurs, une fois qu’il rentre dans le Game Pass, en a 60. Ou bien un joueur qui joue pendant 1h va jouer 6h dans le Game Pass. Ça rebooste complètement un jeu. Ça va jusqu’à 33 pour des petits jeux... Pour des petits éditeurs, des petits studios, c’est l’occasion de faire émerger un jeu qui est passé à côté et dont on sait qu’il est bon. L’équipe de curation fait très attention à la diversité et à la qualité des jeux. Et tout à coup, ce jeu va exploser parce que peut-être était-il sorti en même temps qu’un gros blockbuster. Ce qu’on voit aussi, c’est que c’est un outil de découverte pour les éditeurs pour faire rentrer de nouvelles personnes sur les franchises. Quand The Division 2 avait été annoncé à l’E3 il y a deux ans, Ubisoft avait fait rentrer en même temps The Division 1 dans le Game Pass. C’était l’occasion pour eux de recruter de nouveaux utilisateurs ou d’aller réactiver des gens qui avait joué à The Division 1.
Xboxygen : On a observé le même phénomène avec Borderlands…
Vincent Desmazes : Ça a été le cas avec Borderlands, ça a été le cas avec Tomb Raider [il hésite], Fallout 4 puis Fallout 76 [rires], ça ne marche pas toujours, mais c’est hyper intéressant pour les éditeurs. Ils réactivent la communauté, ils vont pouvoir ainsi recruter de nouvelles personnes. Ce qu’on voit aussi dans les abonnés du Game Pass, c’est que 91% d’entre eux nous disent qu’ils n’auraient pas joué à tel ou tel jeu s’il n’avait pas été dans le Game Pass. C’est donc vraiment un outil de découverte, et des jeux qui passent à la trappe vont émerger grâce au Game Pass. Selon moi, les éditeurs trouvent leur place et ont un réel intérêt à y aller.
Le futur en ligne de mire
Nous ne saurons rien du modèle économique mis en place entre Microsoft et les éditeurs pour les jeux rejoignant le Game Pass, discrétion professionnelle oblige. Ce qui a pu nous être confié en revanche, c’est que le modèle est jugé suffisamment attractif par la grande majorité d’entre eux.
Envisager le devenir à moyen terme du Game Pass, c’est projeter le monde du jeu vidéo dans une nouvelle dimension. Celle d’un monde où les performances des consoles n’auront plus aucun intérêt puisque les serveurs auront pris leur place avec le streaming via le cloud. Un monde où la bataille ne se fera plus entre fabricants, mais entre fournisseurs de contenu. Un monde où les joueurs seront toujours plus nombreux et les profits toujours plus exponentiels pour le business. Un monde que Microsoft sait pouvoir conquérir grâce aux atouts qui sont les siens, Game Pass en tête.