L’homme fort à la tête de la marque Xbox est prolifique ces derniers jours : enchaînant entretien sur entretien avec divers médias, il s’exprime sur la vision de Microsoft au cœur de l’industrie vidéoludique. La récente offre de rachat du groupe Activision Blizzard posant d’innombrables questions, il tient à préciser la position de Xbox et ne voit plus ses rivaux comme des concurrents. Changement d’ère en vue ?
Une industrie en mouvement
Xbox a frappé fort en annonçant son intention de racheter le groupe Activision Blizzard (Call of Duty, Crash Bandicoot, Warcraft, etc.). Une fois la transaction actée et validée par les instances de régulation, elle ferait immédiatement de Microsoft l’un des plus grands acteurs de l’industrie dédiée aux jeux vidéo. Au point de soulever une question préoccupante : Microsoft se constitue-t-il un empire en vue d’un monopole ?
Pour les arguments en faveur de cette interrogation, on serait tenté de dire que réunir plus de trente studios de développement parmi les plus talentueux de la décennie écoulée assurerait un bagage créatif conséquent et quasi inégalé. En comparaison, Sony en possède deux fois moins. Certes, le groupe japonais possède des licences prestigieuses telles que God of War ou The Last of Us, mais les épisodes à répétition tiendront-ils la comparaison sur la durée face à Microsoft ?
Les représentants de la firme de Redmond, de leur côté, s’évertuent depuis des jours à expliquer que cette transaction unique dans l’industrie ne doit pas être perçue comme un frein pour les joueurs. Phil Spencer ayant même pu converser avec les dirigeants de chez Sony et les rassurer quant au fait que la licence Call of Duty, notamment, serait bien disponible sur PlayStation. Au moins concernant les contrats en cours.
La nécessité d’une union ?
Dans un entretien au Washington Post, Phil Spencer est revenu sur la place de Microsoft dans une industrie qu’elle anime depuis vingt ans en tant que consolier, et presque le double en tant qu’éditeur de jeux. Le patron de chez Xbox tient un discours d’union auquel il nous a habitués depuis sa prise de fonction et tend à nouveau la main à ses rivaux Sony, Nintendo et Valve, qu’il ne voit désormais plus comme des concurrents :
Ils ont une longue histoire dans les jeux vidéo. Nintendo ne va rien faire qui nuise au jeu à long terme parce que c’est le secteur dans lequel ils se trouvent. Il en va de même pour Sony et je leur fais confiance... Il en va autant pour Valve.
Un discours étonnant dans la mesure où Microsoft rebat les cartes en s’offrant l’un des plus grands éditeurs de l’histoire de l’industrie, dont les jeux se vendent par millions chaque année. Et pourtant, on peut y voir une réponse à notre question précédente : Phil Spencer ne souhaite pas monopoliser le jeu au profit des utilisateurs de l’écosystème Xbox. Et si, au contraire, Microsoft faisait ces manœuvres en vue d’une préservation ?
Cette autre question n’aurait rien d’incongru tant l’industrie évolue, poussée par la technologie et le déploiement progressif du cloud. Nintendo et Sony sont des compagnies respectables du secteur vidéoludique, mais seraient-elles capables d’affronter la « nouvelle vague » d’acteurs du jeu qui commence à déferler ? Et si Microsoft se voulait moteur des « acteurs traditionnels » du jeu vidéo pour contrer la menace ?
L’empire contre-attaque
Posséder c’est préserver, pourrait-on dire. Une manière de maintenir un contrôle sur le patrimoine existant et celui en devenir. C’est également une manière d’affaiblir la concurrence, mais pas celle que l’on pense incarnée par Sony, Nintendo ou Valve. Non, celle d’acteurs nouveaux qui veulent leur part du gâteau comme Google, Amazon, Facebook... Des géants de la technologie pour qui le jeu n’est pas un but, mais un moyen. C’est en tout cas la vision de Phil Spencer :
Quand on regarde les autres grands concurrents technologiques pour Microsoft : Google a la recherche et Chrome, Amazon a le shopping, Facebook a les réseaux sociaux. Toutes ces grandes entreprises de consommation... La discussion que nous avons eue en interne, où toutes ces choses sont importantes pour ces entreprises de technologie et pour le nombre de consommateurs qu’elles atteignent, le jeu peut l’être pour nous.
On pourrait être un brin moqueur lorsque l’on évoque des compagnies telles que Stadia, Luna ou Oculus connaître un succès relatif, se disant que leur présence n’est due qu’à de l’opportunisme. Et pourtant, les maisons-mères de ces compagnies représentent un puits sans fond en termes de budget et de développement. Cela, les équipes de Microsoft l’ont probablement compris et préfèrent voir ces nouveaux arrivants tremblotants comme les concurrents de demain. D’où la nécessité de les contrer, tant que Microsoft est en position de force. L’écosystème Xbox est certainement le plus avancé en termes de cloud gaming, le déployer massivement et intégrer le plus de jeux possibles au catalogue du Xbox Game Pass c’est donc s’assurer que les joueurs restent dans le giron des acteurs traditionnels.
Je pense que nous avons un point de vue unique, à l’opposé de la façon dont tout doit fonctionner sur un seul appareil ou une seule plate-forme. Cela a été décisif pour nous qui considérons le jeu comme une opportunité et qui pourrait avoir sur Microsoft un impact similaire à ce que d’autres activités font pour ces grands concurrents technologiques. Et c’est formidable de voir le soutien que nous avons reçu de l’entreprise et du conseil d’administration.
En clair, le message que Phil Spencer souhaite transmettre est celui d’une compagnie qui se dédie au jeu dans sa forme traditionnelle tout en l’amenant vers de nouveaux horizons. La proposition de rachat d’Activision Blizzard ne doit pas être vue comme punitive vis-à-vis des grands acteurs japonais qui ont modélisé l’industrie telle que nous la connaissons, mais comme un appel à prendre le train de ce qu’elle sera demain, ensemble. Telle semble être la vision d’un homme, Phil Spencer. Cette vision sera-t-elle toujours d’actualité si l’homme fort de chez Xbox venait à quitter son poste ? Rien ne le dit et la situation de monopole serait alors possible. La réponse est dans les mains de Nintendo, Sony et Valve.