Un proverbe dit que plus l’attente est longue, plus on est émoustillé. (A vrai dire, la conclusion du proverbe est légèrement différente, mais afin de ne pas avoir de problème avec les parents de notre lectorat le plus jeune, je l’ai adaptée !).
S’il s’applique sans conteste à des domaines essentiels de la vie, il n’est pas évident que cela soit le cas en ce qui concerne les jeux vidéo.
Combien de fois aura-t-on pesté contre le manque de finition de tel ou tel jeu ? Combien de fois aura-t-on grogné après le faible contenu d’un titre payé au prix fort ? Mais combien de fois la lassitude de l’attente d’une sortie aura pris le pas sur l’impatience ?
Face à ces exigences contradictoires, les développeurs et les distributeurs ne savent plus trop sur quel pied danser…
Mais est-ce que nous, joueurs, savons ce que nous voulons ?
Tout est question de stratégie à adopter. Celle-ci se divise en deux axes clés. Le premier est le contenu même du développement du jeu, la volonté de proposer un jeu complet, ou bien un titre destiné à s'améliorer une fois vendu. Le deuxième est la gestion même de la communication autour du jeu.
Commençons par examiner ce dernier.
On voit très bien qu'il y a deux façons bien distinctes de gérer la communication, représentées respectivement et pratiquement jusqu'à la caricature par Sony et Microsoft. Les comportements des deux géants sont représentatifs de celui des divers éditeurs, plus ou moins enclins à parler très tôt de leurs jeux, ou adoptant même une communication différente pour un jeu par rapport à un autre.
Chez Sony, on parle très tôt des jeux, alors qu'ils ne sont encore que des embryons. On accompagne les progrès faits par le jeu tout au long du processus de création. Le but évident est d'être le plus possible dans l'actualité, de maintenir une attention permanente, et de générer l'attente chez le joueur. C'est l'illustration même du dicton de l'introduction. Sauf que cette technique a montré ses limites, en complétant le dicton par un autre bout de phrase : "Plus l'attente est longue, pus on est émoustillé, et plus la déception est grande". La parfaite illustration est bien entendu Gran Turismo, qui à force de se montrer et de se positionner comme un jeu ultime, a été froidement accueilli du fait de ses lacunes.
Ce type de stratégie ne peut être un succès que si le produit livré, attendu depuis longtemps, est réellement à la hauteur des attentes. Et quand on commence à parler d'un jeu alors qu'il n'en est qu'à ses débuts, comment savoir si le résultat final sera bien celui attendu ? C'est un vrai risque, un pari qui n'est pas toujours gagnant.
Du côté de chez Microsoft, c'est devenu tout l'inverse ! Quand bien même un titre est annoncé, on n'en montre que très peu jusqu'à ce qu'il soit à un stade de développement avancé. Le bénéfice est là aussi évident : on sait très bien que ce qu'on nous montre va débarquer dans peu de temps, et que c'est représentatif de ce qu'on verra effectivement tourner sur notre écran. Stratégie gagnante avec par exemple Forza 3, sorti une poignée de mois après s'être montré. Sauf que cette stratégie a aussi son revers. Les gros jeux étant concentrés sur des périodes données, il y a d'évidents creux dans l'actualité de la console donnant l'impression qu'il n'y a pas grand-chose dans le tuyau. Et pendant ce temps, cela laisse la place aux autres pour se mettre en avant…
L'équilibre est difficile à trouver. Il faut générer l'attente, mais pas trop pour ne pas lasser ou décevoir, et en même temps occuper le terrain pour faire grossir le buzz autour d'un titre…Chacun sa préférence, et si personnellement je préfère de très loin la méthode Microsoft, plus tangible, je comprends parfaitement qu'on puisse avoir soif d'info permanentes, même si ce sont de micro-news.
L'autre axe concerne le développement du jeu en lui-même, et il n'est pas étonnant que les éditeurs se posent des questions, tant les attentes des joueurs sont difficiles à décrypter.
La première possibilité est de chercher à développer un jeu parfait, assumant jusqu'au bout ses choix, sans le moindre bug.
En tant que joueur, on a tendance à immédiatement penser que c'est ce qu'on veut tous ! Sauf que…Ca veut dire attendre longtemps, et on a vu que ce n'était pas notre fort. Ça veut dire aussi que si le résultat final ne correspond pas à nos attentes, le jeu est "fermé", terminé, tant pis pour nous.
Cela reste malgré tout la possibilité qui devrait avoir les faveurs des acheteurs. En se renseignant un minimum, il sait ce qu'il achète, et il a la satisfaction d'en avoir pour son argent. Mais du point de vue de l'éditeur, c'est un risque non négligeable. Les coûts de développement sont élevés, et investir dans un produit parfait, abouti, veut dire prendre un vrai risque. Après tout, le jeu peut se planter et ne générer aucun retour sur investissement.
L'autre possibilité est celle qui nous fait en général râler. Le jeu débarque alors qu'il est encore plein de bugs, que toutes les options ne sont pas implémentées, ou bien alors que le nombre de niveaux disponibles est peu élevé. Naturellement ça nous énerve ! Et pourtant, pour peu que le jeu se vende et que l'éditeur considère que cela en vaut la peine, les mises à jour débarquent, et le jeu s'améliore au fil du temps.
Pour l'éditeur, cela se traduit par moins de frais au départ, donc moins de risques pris.
Vous allez me dire que nous les joueurs qui passons au tiroir-caisse, ce n'est pas notre problème, mais imaginons une solution intermédiaire qui pourrait peut-être satisfaire tout le monde…
Le jeu sortirait suivant un calendrier imposé par l'éditeur, limitant le risque pour lui, mais resterait "ouvert" pour des modifications plus profondes.
Pas seulement des mises à jour pour corriger les inévitables bugs, mais aussi une prise en compte du retour des joueurs pour implémenter des options, modes de jeu ou rééquilibrage de gameplay. En quelque sorte, les joueurs, en donnant leur opinion, auraient le pouvoir de faire évoluer le jeu suivant leurs désirs. Voilà un deal qui serait intéressant à mettre en place, et où tout le monde s'y retrouverait, ne pensez-vous pas ?
Pour terminer, impossible de ne pas évoquer une autre voie, celle des jeux qui ont tout faux. On pense à Duke, bien entendu, attendu jusqu'à l'érosion, mais on peut aussi citer Alan Wake, ou bien entendu la blague Gran Turismo, qui cumule pratiquement tout ce qui a été illustré dans cet édito (annoncé depuis une éternité, érosion des joueurs et buzz se dégonflant plus vite qu'il n'a monté, développement manifestement pas terminé à la sortie…). C'est avec ces titres qu'on comprend forcément les éditeurs. Quand des jeux, à force de traîner, finissent par coûter beaucoup d'argent, pour un résultat pas forcément à la hauteur des attentes (je parle en termes de ventes), il n'est pas absurde pour eux de chercher à raccourcir le développement quitte à ce que le joueur soit floué.
Il ne faut pas les traiter pour autant de salauds : c'est juste la loi du marché.