Inutile de revenir sur les incroyables cafouillages de Microsoft et sur le génie marketing de Sony. Regardons plutôt le résultat de tout cela : avant même que les machines ne sortent, les places sont déjà distribuées. Sony sera le leader, Microsoft le challenger. Et ça me plaît. Si Phil Spencer lit cet édito, qu'il s'épargne un coup de téléphone, je ne me réjouis pas du fait que Microsoft soit à ce point en train de louper son lancement, mais plutôt de ce que cela va impliquer pour les années à venir. Je n'ai pas beaucoup aimé ces dernières années, Microsoft ayant été un leader feignant. A l'inverse, qu'est-ce qu'ils ont été bons en tant que challenger avant ça ! J'espère que c'est ce qu'on va retrouver…
Cette notion de leader et de challenger est connue dans tous les domaines. Le leader profite de sa position dominante qui lui donne de grandes capacités, mais qui le freine dans son évolution, puisque prendre des risques en changeant trop de choses revient à ne peut-être pas plaire à un public installé. A l'inverse, le challenger, pour s'en sortir, se doit de mettre le paquet, d'avoir une meilleure offre pour convaincre les sceptiques, et si possible doit innover pour se démarquer.
Dans le petit monde des jeux vidéo, pourtant, rien ne se passe comme ailleurs…
Ainsi, Microsoft aura été globalement le leader de cette génération HD (vous avez noté le "HD", histoire de mettre la Wii hors jeu de cette analyse ?), mais sur la fin de vie des machines, Sony a refait son retard. De façon intéressante, on retrouve donc 2 co-leaders ou co-challengers, comme vous voulez, au moment de rebattre les cartes.
Microsoft a joué la carte de la nouveauté. Confuse, mal présentée, oui, mais de la nouveauté quand même. Mauvaise pioche ! C'était l'immobilisme qu'il fallait jouer !
Il n'aura fallu que ça pour que Sony parte avec un avantage probablement important. Ce n'est pas une question d'offre ou de contenu, mais de packaging. Tout bien considéré, ce n'est pas plus surprenant que ça, puisque Sony n'aura que très rarement innové (rien depuis la PS1), tellement habitué à être leader depuis sa première console. Avant de me tomber dessus, ça n'est absolument pas une critique : c'est un mode de fonctionnement, on propose une machine qui est la même en mieux, en piochant dans ce qu'on trouve bien ailleurs pour l’adapter à sa sauce. Une vraie attitude de leader. Quelque chose de rassurant, de confortable pour les clients. La PS4 n'est pas encore là qu'on sait déjà qu'on n'aura aucune surprise, ni bonne, ni mauvaise. Le produit souhaité sera là, le genre de jeux made in Sony aussi. C'est la réponse la plus logique et efficace à faire envers des clients frileux, mais qui y trouveront tout à fait leur compte. Ce n'est d'ailleurs pas quelque chose que je critique, le raisonnement de Sony, et celui des consommateurs, se tient tout à fait.
On est donc bien parti pour retrouver la configuration qu'on a déjà connue depuis longtemps avec Sony le mastodonte, et d'un autre côté un challenger qui aura tout à prouver. Absent en Asie, à nouveau en retrait en Europe alors que la 360 avait marqué une forte progression par rapport à la première Xbox, et même en difficulté aux US.
Dans cette position de challenger, Microsoft nous a déjà offert la première Xbox, qui n'était rien d'autre qu'un nouveau concept : le réseau, et la passerelle entre l'univers console et le monde du PC. Cela a donné Halo, KOTOR, Rainbow Six, Rallisport Challenge, Top Spin, Fable, Project Gotham, Jade Empire, Oddworld, etc… La ludothèque de la Xbox n'était pas supérieure à celle de la PS2, c'était impossible tant il y avait de jeux sur la console de Sony alors en situation de monopole. Pas meilleure, mais différente. Techniquement, ce qu'on pouvait faire sur PS2, on pouvait aussi le faire sur Xbox en (au moins) aussi bien, mais l'inverse ne se vérifiait pas du tout. On a vu de nouveaux genres de jeux débarquer, venant du PC et adaptés au monde de la console, soit ce qui est aujourd'hui devenu la norme.
Toujours en challenger, Microsoft a lancé une Xbox 360 blindée de jeux, amenant les licences connues à un autre niveau, mais surtout en cherchant à apporter des jeux uniques qui n'auraient peut-être pas vu le jour autrement. J'ai un souvenir ému des accords passés pour gagner le marché japonais, qui nous ont donné Blue Dragon et surtout Lost Odyssey. J'ai encore la larme à l'œil quand je me souviens avoir lancé ma première partie de Mass Effect. Et qui aurait pu signer un chèque en blanc à Remedy pour les laisser livrer un Alan Wake aussi risqué ? C'est aussi sur 360 que Gears of War est venu réinventer un genre qui influencera tant de jeux ensuite. C'est là aussi que la course automobile gagnera de nouvelles lettres de noblesse dans tous les genres, de l'arcade décomplexé (PGR4) à la simulation (Forza). Dans le même temps, les jeux téléchargeables ne seraient pas ce qu'ils sont aujourd'hui sans le Xbox live arcade, véritable pépinière de magnifiques jeux. Pour prendre la place de leader, Microsoft n'a pas ménagé ses efforts…Et cela a marché !
Et qu'ont-ils fait ensuite, quand ils se sont trouvés sur la première marche ? Ils sont devenus l'illustration de la définition économique du leader, prenant pour eux l'attitude décriée de Sony. Peut-être parce qu'ils n'ont pas l'expérience de cette position, ils se sont laissés vivre. Moins d'exclus, moins d'originalité, des semi-innovations, avec Kinect en fin de compte insuffisamment exploité. Rien qu'en exploitant sa marque Playstation, sans faire plus que Microsoft, Sony a rattrapé son retard…
Même si les services marketing de la firme de Redmond ont perdu presque tout crédit suite au calamiteux lancement de la console, il n'est pas envisageable qu'ils n'aient pas analysé les courbes de ventes des années Xbox 360. D'ailleurs, je vois comme un signe extrêmement positif le fait que la Xbox One sorte avec un line up aussi étoffé et complet, misant avant tout sur les jeux. Cela me laisse penser que Microsoft mise sur une stratégie avec de nombreuses sorties pour exploiter leur machine, comme au bon vieux temps. Le fait que le démarrage ne va pas leur être favorable ne peut que les pousser à reproduire un schéma avec une offre se démarquant de la concurrence. Bref, un schéma de challenger.
Je ne souhaite pas de mal à cette console, je veux qu'elle marche, ne serait-ce pour qu'Xboxygen puisse continuer à être aussi dynamique. Par contre, je me réjouis qu'elle parte en retrait, et je me frotte les mains d'avance dans l'attente de voir ce qu'ils vont nous sortir pour reprendre leur fauteuil de leader. Pour les joueurs, on ne pouvait rêver mieux.