Les joueurs, les vrais, veulent des jeux difficiles. Vraiment difficiles. Il faut susciter l'admiration quand le jeu est terminé, être un individu rare, une sorte d'élu capable de venir à bout de ce qui est impossible pour le chaland. Bref, il faut des défis.
Ces joueurs ne sont pas à la bonne époque ! Ils auraient dû manier le paddle (ou le clavier, ou le joystick) à l'époque des 8 ou 16 bits.
A cette époque, que ce soit sur consoles ou sur les ordinateurs, c'était une tout autre histoire. Pas de sauvegardes, un nombre de vies limitées, et quand on échouait, il fallait TOUT recommencer.
Non seulement c'était difficile de terminer un jeu, mais en plus il fallait le faire d'une traite.
Quand on échouait contre le boss final de Revenge of Shinobi, ou bien quand après s'être pris une balle perdue on se retrouvait à poil (c'est-à-dire foutu) au septième niveau d'R-Type, il y avait de quoi faire de véritables crises de nerfs, de quoi balancer la manette sauvagement. On ne parle même pas d’un Doom où la régénération n’existait pas, et où trouver son chemin dans des niveaux mélangeant des teintes de noir relevait de l’exploit. Inutile de dire que si vous perdiez parce que votre mère avait l'audace de passer devant l'écran alors que vous étiez en train de négocier un passage difficile, l'insulte pouvait fuser, et les explications confuses du type "Mais tu ne te rends pas compte, j'y étais presque" étaient bien insuffisantes pour éviter de terribles punitions.
Bref, tout ça pour dire que ceux qui se la racontent aujourd'hui en voulant des jeux durs feraient mieux de se tourner vers le retro-gaming, car ce sont des rigolos.
Bon, comme on est entre nous, on peut le dire, cette difficulté était aussi un peu chiante. Se retaper 24 niveaux de Kid Chameleon pour la douzième fois juste pour tenter de passer au 25ième, au bout d'un moment ça gonflait un peu quand même.
Une fois cela dit, ça n'empêche pas que certains jeux d'aujourd'hui proposent tout de même un challenge bien relevé. Cette difficulté est souvent appréciée car elle est synonyme pour beaucoup de durée de vie d'un jeu. Et c'est effectivement très souvent exact. Le jeu difficile oblige le joueur à s'investir, à se plonger dans les mécanismes du jeu, à s'entraîner pour réussir à progresser. Il est également indéniable qu'un jeu difficile donne une vraie satisfaction au joueur quand celui-ci constate ses progrès et peut les mesurer en avançant dans les niveaux.
Mais cette même difficulté est aussi ce qui peut faire voler en éclat cette fameuse durée de vie en devenant rebutante. Si on adore le jeu, on va faire les efforts pour avancer. Mais pour tous ces jeux qui sont sympas, qu'on trouve même plutôt agréables, mais pas au point d'y passer des nuits pour gagner le droit d’aller au deuxième niveau, la galette va juste terminer en sous-verre (ce qui d'une certaine façon lui donne une durée de vie encore supérieure !). Cet investissement demandé au joueur, on n'a pas forcément envie de le donner, et si on oublie l'amusement pour ne voir que l'effort, on ne va juste pas jouer.
Franchement, qui n'a pas dans sa ludothèque de ces jeux, petits jeux ou bien jeux réputés, pas compliqués, qu'on met avec plaisir dans la console pour jouer en toute décontraction, en mode laiiiiiid back comme dirait Snoop Doggy Dog, juste pour se détendre et pour découvrir ce qui se passe dans le niveau suivant sans se prendre la tête à lutter avec des combinaisons de touches, et sans avoir à recommencer plusieurs fois pour cause de mort inopinée. Il faut juste une opposition tout ce qu'il y a de plus abordable, histoire que l'attention soit maintenue, et on passe ainsi agréablement le temps.
Après tout, si on aime vraiment le jeu, on pourra toujours y revenir en montant d'un cran le niveau de difficulté. C'est aussi une bonne façon de profiter d'un jeu quand de toute façon on n'a pas de temps à y consacrer si on doit se battre pour progresser. Si on y trouve son compte, en quoi cette facilité est-elle méprisable ?
Et pourtant, dans les tests de jeux sur l'immense majorité des sites, la facilité d'un jeu sera considérée comme un point négatif, alors qu'une difficulté importante ne le sera pas. Si on y réfléchit deux secondes, cela peut paraître étrange. En effet, un jeu facile est jouable par n'importe quel joueur, alors qu'un jeu difficile peut exclure les joueurs moins doués que les autres. Le facteur excluant n'est pas un point négatif, alors que le facteur rassembleur l'est…
Pire, si le test veut se la jouer "hardcore gamer", ce qui est souvent le cas sur la toile, on va même juger comme négatif le fait qu'un jeu donne la possibilité d'être facile. Pas l'obligation, mais la possibilité.
Ça me rappelle le commentaire d'un ami qui m'expliquait que Forza (le 3 à l'époque) était vraiment trop facile. Quand j'ai vu comment il jouait j'ai compris. C'est sûr qu'en activant des aides, en choisissant systématiquement des voitures gonflées et en utilisant le rewind, le jeu est effectivement très facile. Pourtant on peut aussi y jouer sans aucune aide, sans rewind, et en choisissant des véhicules qui ne sont pas meilleurs que les adversaires dès le départ. On peut aussi prendre l'exemple de Red Dead Redemption, titre génial offrant une ambiance incroyable. A moins de volontairement se corser la tâche en désactivant les aides à la visée, le jeu est tout de même très facile. Et alors ? Ça en fait un mauvais jeu ?
Aujourd'hui la facilité d'un jeu est, en ce qui me concerne, un vrai critère d'achat. Non pas que je recherche à tout prix des jeux faciles, mais plutôt que je veux des jeux qui me laissent le choix. Non seulement je ne vois pas en quoi le fait de faciliter les choses aux joueurs est un problème, mais je considère même que c'est un atout important. A l'inverse, les jeux qui se veulent difficiles et qui ne laissent pas la place à une modularité du niveau de difficulté, je n'en veux pas chez moi. Avant d'être convaincu il faudra que j'essaie et que j’aie la certitude que je suis prêt à y passer le temps nécessaire pour le maîtriser totalement. Je ne veux pas perdre du temps à aller jusqu'au troisième niveau avant de laisser tomber par manque d'envie ou de temps.
Cet édito est donc une ode aux jeux faciles, tant prisés par les chasseurs de succès ? Pas vraiment, mais plutôt une réhabilitation pour tous les jeux qui offrent le choix, qui offrent la possibilité de jouer comme on en a envie. Cet édito, c'est aussi une façon de dire à tous ces hardcore gamers qui méprisent la facilité en la considérant comme un nivellement par le bas qu'il serait temps de se rendre compte que les jeux vidéo sont pour tout le monde. Quant à ceux qui osent critiquer les jeux offrant la possibilité de choisir leur difficulté, en les qualifiant de jeux casual ou autres adjectifs peu reluisants, qu'ils ne s'en prennent qu'à eux-mêmes s'ils ont besoin qu'on limite les possibilités pour être forcés de jouer à un jeu dur. Critiquer la facilité d'un jeu quand on peut choisir de le jouer en plus dur, c'est soit avoir une volonté de poisson rouge qui pousse à la facilité, soit faire preuve d'une petitesse d'esprit proche de…Tiens, d'un poisson rouge à nouveau !