Depuis toujours, les jeux vidéo entretiennent avec le cinéma une relation très étroite. D’abord en pointillés (exploitation de licences), puis de plus en plus évidente au gré de l’évolution des technologies.
Quoi de plus logique, puisque les points communs entre les deux médias sont nombreux. Les deux racontent une histoire en suivant l’évolution d’un ou de plusieurs personnages, utilisent à la fois l’image et le son. Le média le plus jeune s’inspire donc tout naturellement de celui installé depuis bien longtemps.
Plusieurs jeux sont de véritables dates dans cette évolution. Si on peut la constater depuis très longtemps, depuis l’époque où les machines ont eu la capacité d’afficher suffisamment de pixels pour qu’on puisse reconnaître ce que représentaient les sprites, certains titres ont eu une influence majeure dans cette tendance, par leur innovation, mais aussi par leur succès.
Le premier qui me vient à l’esprit est Alone in the Dark, une formidable histoire dans l’univers de Lovecraft, se déroulant dans des décors fixes en pseudo 3D. L’emplacement des caméras, les points de vue adoptés, tout cela renvoyait directement à de la mise en scène typiquement cinématographique. Un choc à l’époque ! Pour la première fois on avait la sensation de « jouer » un film.
Resident Evil, profitant des capacités supérieures de nouveaux supports, a poussé le même principe plus loin, ajoutant, au-delà d’une qualité graphique supérieure, une composante son faisant partie intégrante de la mise en scène. C’est également l’arrivée des cinématiques en cut-scenes pendant le jeu, et l’aveu total à travers son introduction d’une inspiration purement cinématographique.
La démarche a atteint son sommet (jusqu’à aujourd’hui) avec Silent Hill, proposant un mix de mise en scène transcrivant le point de vue de l’auteur avec des caméras semi-fixes et les déplacements dans un univers en 3D. Silent Hill a également été un des premiers jeux à proposer un scénario aussi profond, accompagné d’une représentation graphique artistiquement réfléchie.
Au rayon action, c’est Metal Gear Solid qui a marqué une étape importante, avec ses nombreux dialogues (certes drôles) suivant le jeu, le scénarisant comme un film sur grand écran.
Je suis sûr que vous pouvez en trouver d’autres, ou que vous ne serez pas forcément d’accord avec ma sélection, mais ces titres ont été d’indéniables avancées vers la convergence des deux médias.
L’autre lien qui s’est fortement développé est celui de l’exploitation des licences. Depuis les premières consoles, pas un gros film n’échappe à son adaptation vidéoludique. Pourtant, étrangement, ces adaptations n’ont que rarement fait appel à une représentation justement cinématographique, offrant simplement des jeux au gameplay classique et misant avant tout sur la notoriété du sujet traité.
A l’inverse, le phénomène relativement récent du passage des jeux vidéo au grand écran tend à s’amplifier. Quoi de plus logique, finalement. Le marché des jeux vidéo est maintenant le plus important des deux, et la structure même des jeux, inspirée des films, en fait un matériau en théorie simple à adapter. Je ne dis pas facile, mais nécessitant peu de travail : les personnages sont caractérisés de la même façon et le schéma de leurs aventures est le plus souvent similaire à ce qu’on trouve dans une production ciné classique. Ce sujet méritant pour ainsi dire un édito à lui tout seul, je ne vais pas m’étendre plus que ça sur la question (j’y reviendrai sans doute en douce dans quelques mois, quand tout le monde aura oublié ma bafouille du jour…).
Revenons plutôt sur l’évolution des jeux vidéo en eux-mêmes.
Il est évident que l’approche cinématographique a suivi la même courbe que l’évolution technique. Ainsi, l’apparition du CD, puis du DVD, ont été des plus capitaux, permettant de s’affranchir des textes pour les dialogues. La disparition du texte éloigne le jeu du média écrit, et le rapproche du média ciné. L’avènement de la 3D, et en général de la puissance de calcule de plus en plus imposante des machines a permis la réalisation graphique de modèles réalistes, physiquement caractérisés, avec pour conséquence une identification facilitée pour les joueurs. C’est cette même puissance qui permet aujourd’hui d’écrire d’abord le scénario d’un jeu, sans se soucier de rien, puisqu’avec un peu de talent et une bonne équipe de développement on pourra montrer ce qu’on souhaite sur l’écran.
La génération précédente de consoles permettait déjà cette démarche, et avec les machines actuelles on arrive à un niveau de détail toujours plus important, permettant aux créateurs de laisser libre cours à leur imagination. Peut-être que les nouveaux outils à venir permettront même de dépasser le cadre de l’écran.
Après une période de surplace, il semblerait bien qu’une nouvelle vague de jeux poussant le principe encore plus loin soit en train de débarquer. Ce sont des jeux qui ont « digéré » l’influence cinématographique, et qui en ont fait autre chose, utilisant à fond le média jeu vidéo en intégrant fortement le joueur dans une vision globale. On peut déjà citer Mass Effect et ses dialogues qui font participer le joueur à l’histoire (le deuxième opus allant encore plus loin dans la mise en scène purement cinématographique), Gears of War, en particulier le 2, et Uncharted 2, qui développent une histoire très scénarisée, et se déroulant sur le modèle des blockbusters d’action US. On pourrait dire également la même chose des Modern Warfare, intégrant dans le gameplay de nombreux scripts, et des Left 4 Dead utilisant les codes des films de zombies pour en faire un produit purement ludique. On voit les affiches de ciné de ce qu’on va jouer, et les amateurs de films de zombies reconnaissent les situations issues de nombreux métrages.
La frontière est de plus en plus ténue, et tout comme les jeux s’inspirent des films, les cinéastes s’inspirent des jeux, avec des références, conscientes ou pas, dans les deux sens.
Après tout, la bataille finale d’Avatar fait forcément penser à Panzer Dragoon et à Halo avec des plans qu’on retrouve à l’identique dans les jeux.
Et ce qui arrive pousse le bouchon encore plus loin.
Le nouveau Splinter Cell, par exemple, s’éloigne de la démarche typiquement jeu vidéo des précédents, qui racontaient une histoire sans intérêt et qui étaient axés avant tout sur le gameplay, en proposant un titre se concentrant sur l’évolution du personnage principal. Comme au cinéma on recherche l’empathie, et les bandes-annonces du jeu pourraient très bien être celles d’un bon vieux film d’action/espionnage.
Et que dire d’Alan Wake, qui en plus d’une démarche définitivement cinématographique (la voix off, cut-scenes, histoire centrée sur un personnage à la personnalité forte) s’aventure vers encore autre chose avec une influence également littéraire (par le sujet traité, mais aussi par le découpage du jeu). Est-ce que cela sera réussi ? On ne le saura que manette en main, mais le projet dénote d’une démarche artistique assumée et réfléchie, ce sera toujours ça de pris !
Même interrogation concernant l’intriguant Heavy Rain, qui se présente comme un produit tellement proche d’un film que le résultat s’annonce très intéressant. Difficile de dire ce que ça donnera en tant que jeu, mais la démarche est passionnante et donnera forcément un produit novateur.
Les moyens techniques sont là, les artistes aussi, reste maintenant à avoir la maîtrise du média. Il n’y a plus réellement de difficulté à adopter un point de vue s’inspirant du cinéma dans les jeux, plus de performance à le faire. C’est là que l’aspect artistique, en d’autres termes le talent, va entrer en ligne de compte. Il n’est plus question de faire seulement quelque chose se rapprochant du grand écran, il faut « digérer » cette influence pour en ressortir quelque chose d’autre, qui sera un produit différent, avec ses caractéristiques propres qu’on ne retrouvera pas ailleurs. Bref, un jeu vidéo avant tout.