Lors du GDC, l’annonce du service OnLive a fait l’effet d’un coup de poing.
Ça fait des années que la dématérialisation des médias est un sujet de discussion, mais cette fois, véritablement pour la première fois, cela semble prendre corps. Une vraie annonce, le soutien d’éditeurs importants, et la technologie qui ne cesse de progresser et qui pourrait rendre l’idée tangible.
En premier lieu, on peut dire que cette annonce n’est pas vraiment une surprise : c’est plus la confirmation d’une tendance qu’on observe depuis un bon moment déjà. Les films ou la musique peuvent être achetés en téléchargement, et dans une certaine mesure les jeux également, avec le XBLA ou le PSN pour les consoles, et Steam pour le PC.
La vraie nouveauté ici est que la dématérialisation ne concerne plus seulement le média, mais également le support : lui aussi externalisé, c’est cette fois le hardware qui disparaitrait.
L’idée est alléchante pour le joueur, puisque ça signifie ne plus avoir à choisir une console ou ne plus avoir à changer son PC. Une vraie révolution, l’évolution matériel ne se ferait plus par à-coups au gré des nouvelles machines, mais au fur et à mesure de l’augmentation de la puissance des serveurs dédiés.
Si c’est ce qui peut intéresser le joueur, l’annonce de ce service n’a pas été faite pour eux, mais pour répondre aux besoins des développeurs et des éditeurs, qui y verraient la résolution d’une quadruple problématique.
C’est pour eux une façon d’éliminer le piratage : pas de support, pas de disque dur pour stocker les jeux, et donc obligation de passer par l’achat pour jouer.
Le marché de l’occasion, lui aussi, ne pourra plus être. C’est la nouvelle cible des éditeurs, furieux qu’on puisse revendre ses jeux ou en acheter de seconde main sans qu’ils ne gagnent d’argent. Un même jeu est utilisé par plusieurs joueurs, ce qui ne sera plus possible. On peut objecter que si le prix des jeux était moins élevé, peut-être que le marché de l’occasion ne serait pas aussi florissant, mais du point de vue de l’éditeur, cet argument ne franchit pas le pavillon interne de leur oreille.
Naturellement, pas fous, ils savent très bien que le prix de vente est un frein à l’achat de masse, et le On Live est un bon moyen de baisser considérablement le prix d’un jeu. Pour information, le prix de vente final que vous payez est plus ou moins deux fois plus élevé que ce que gagne un distributeur quand il vend un jeu à Carrefour ou Micromania.
Enfin, un tel système libérerait les éditeurs de leur dépendance aux fabricants de consoles. Il y aurait sans doute des royalties à payer pour l’infrastructure, mais par contre, la nécessité d’engager régulièrement de nouveaux frais de développement pour s’adapter aux nouvelles consoles n’existerait plus.
L’intérêt des plus grands éditeurs, en particulier en cette période difficile, est donc d’une logique absolue.
Des jeux moins chers, les joueurs, les éditeurs et les développeurs contents, tout est donc parfait ?
Pas forcément, sinon ce serait trop simple et je ne prendrais pas la peine de consacrer un édito à ce sujet, voyons !
Reste en effet une question qui n’a pas de réponse bien que ce soit la plus importante : cela serait-il viable ?
En effet, les freins sont nombreux et les interrogations importantes.
On peut déjà largement se demander si le public suivrait.
En préparant cet édito, j’ai fait quelques recherches sur les chiffres concernant la dématérialisation actuelle (que ce soit la VOD, la musique ou les jeux vidéo), et j’ai été surpris de ne rien trouver d’exploitable. Évidemment j’en ai trouvé des chiffres, mais étrangement peu parlants, souvent contradictoires. Autant on trouve facilement des données montrant à quel point ce type de service progresse, autant il est compliqué de savoir ce qu’ils représentent réellement. J’aurais aimé vous dire que la VOD représente x % des ventes de films, mais je n’ai trouvé cette information nulle part.
Chers lecteurs, si vous connaissez ces chiffres, je suis preneur !
Quand les chiffres en valeur absolue ne sont pas communiqués, mais qu’on se concentre sur les progressions, il y a en général une bonne raison : c’est que ces chiffres ne sont pas si gros que ça. De là à en conclure que le marché continue de consommer de façon largement majoritaire des supports physiques, il n’y a qu’un pas, et hop, ça y est, je l’ai franchi.
Le sentiment d’appartenance qu’on a avec un objet est très fort, et ce n’est peut-être pas près de changer : pas certain du tout que le public soit prêt à ce changement important de ses habitudes.
La deuxième interrogation est technique.
Pour qu’un tel système fonctionne, cela impliquerait une infrastructure très solide et très coûteuse. D’une part en ce qui concerne les serveurs, mais surtout en ce qui concerne les connexions des clients.
J’ai interrogé un ingénieur réseau sur cette question, et sa réponse a confirmé ce que je pensais : tout cela est absolument possible, mais avant que ça ne fonctionne, il faudra un sacré développement et une énorme puissance de feu, d’une part, et il faudra impérativement une connexion sans faille et très performante d’autre part.
C’est le deuxième aspect qui est le plus problématique. Si en France nous sommes plutôt bien lotis pour ce qui est de l’accès à internet, dans de nombreux pays, la fibre optique tient de la science fiction, et le prix des opérateurs n’a rien à voir avec les 30€ que nous déboursons chez nous. Si les joueurs doivent dépenser une fortune tous les mois pour avoir accès à leurs jeux, ce n’est pas dit qu’ils soient partants, et le marché sera réduit d’autant.
Avant que tous les joueurs du monde soient connectés avec une puissance suffisante, il y a le temps pour une nouvelle génération de consoles…
Enfin, un tel système marquerait la fin de tout un circuit de distribution. Plus besoin de grossistes, plus besoin de revendeurs, plus besoin de magasins spécialisés : tout un secteur qui volerait en éclat du jour au lendemain.
Vous pensez vraiment qu’ils mourront sans tout tenter pour soutenir un support physique qui leur permet de vivre ?
Je me suis moi-même posé la question : suis-je prêt à passer à un support virtuel ? Suis-je prêt pour que ce que j’achète ne se trouve pas chez moi ? Suis-je d’accord avec ce que ce projet implique ?
Ma réponse est mitigée. J’y vois pour l’instant autant d’avantages (le prix, pas de nouveau hardware à acheter) que d’inconvénients (je ne peux pas faire ce que je veux de ce que j’achète).
Ce qui est bien, c’est que je ne serai pas obligé de trancher tout de suite. Ce système est pratiquement inévitable, mais ce n’est pas pour demain.
On a largement le temps de voir comment les choses évolueront pour choisir son camp.