C'est dans l'air du temps, et ça va l'être de plus en plus, on va beaucoup parler dans les mois qui viennent de la prochaine génération de consoles.
A vrai dire, ça a déjà largement commencé. Les PC continuent de gonfler, les consoles non, et l'écart technique entre les deux pousse une partie des joueurs à réclamer des machines plus puissantes.
Comme d'habitude. On veut des graphismes plus précis, avec plus de détails, avec des textures parfaites en très haute définition, et pourquoi pas en 3D, pour le cas où un jour cette option deviendrait utile si on peut s'affranchir des épouvantables lunettes qui donnent mal à la tête.
On parle aussi de capacité de stockage, de support pour les jeux, de termes barbares liés aux cartes graphiques ou à la puissance des processeurs, au nombre de cores, au bus de la machine, à la mémoire vive embarquée. En gros, les discussions tournent autour de spéculations autour de la fiche technique des futures Xbox, Playstation ou Wii U.
Et les jeux ?
Étrangement, ils ne font pas partie du débat. Bien sûr, on veut qu'il y ait plus de fenêtres sur les bâtiments, que l'eau soit plus jolie, et qu'il y ait des effets de lumière plus poussés qu'aujourd'hui. Quel rapport avec les jeux ? Dans les jeux d'aujourd'hui, il y a déjà des fenêtres aux bâtiments, on reconnaît sans peine l'eau quand on en croise, et les consoles savent gérer suffisamment d'effets lumineux pour qu'on puisse rendre à l'écran ce qu'on veut.
Ce qui est réclamé, c'est simplement un plus technique par rapport à ce que nous avons déjà, et que d'aucuns trouvent insupportablement insuffisant.
C'est le message véhiculé par les gamers, et c'est ce qui est parfaitement perçu par les constructeurs. D'ailleurs la bataille est déjà lancée, bataille d'une futilité dont on devrait avoir l'habitude puisqu'elle se reproduit à chaque changement de génération. Les fuites plus ou moins colmatées laissent passer des hypothèses toutes liées à la technique. Hypothèses qui ne sont naturellement pas commentées par les principaux intéressés, si ce n'est pour glisser de temps à autre qu'ils proposeront des bêtes de guerre qui enverront du lourd sur l'écran.
Chaque constructeur reprend ses positions traditionnelles comme si on était revenu quelques années en arrière. Nintendo fait comme si personne n'existait et va nous sortir une machine qui sera une évolution de la précédente, d'un niveau technique en retrait des deux autres. Microsoft va chercher la puissance dans un système souple, quitte à ne pas sélectionner les composants de toute dernière génération, et Sony se prépare déjà à affirmer avec véhémence que de toute façon ce seront eux qui auront la plus puissante et la plus forte, celle qui serait capable de diriger le monde si elle tombait entre des mains mal intentionnées.
On pourrait presque tout écrire à l'avance…
Nintendo aura ses fans, et sera décrié comme étant obsolète dès le départ, avant même qu'on ne comprenne bien ce qu'ils veulent faire. Microsoft sera critiqué sur un manque de puissance présumée, et ce même si ce qu'ils montreront sera impressionnant. Sony parlera beaucoup et recevra les louanges de ses fans après avoir montré quelques démos techniques, et des critiques sévères de ceux qui ne les croient plus.
Et on ne parlera toujours pas des jeux.
Comment se fait-il qu'aujourd'hui encore ce soit la technique qui soit montrée du doigt ? N'est-ce pas une vision superficielle, et un peu infantile de notre loisir ?
Cette génération nous aura apporté beaucoup de très belles choses, mais je ne peux pas m'empêcher de constater que ce n'est pas au niveau technique que les jeux vidéo stagnent le plus. Pire, à chaque nouvelle génération, on a l'impression d'assister à un reboot de tous les styles de jeux, qui se focalisent sur une amélioration essentiellement visuelle, laissant de côté toute une partie de ce qui devrait être, à mon sens, prioritaire dans un jeu vidéo d'aujourd'hui.
Imaginons un instant qu'un constructeur, plutôt que de parler de la puissance de sa machine, annonce lors d'une conférence ses intentions pour ses studios internes et first party. De toute façon, leur nouvelle machine sera forcément beaucoup plus perfectionnée que l'ancienne, et ne sera pleinement exploitée qu'après plusieurs années.
A la place, ils embaucheraient des scénaristes. Scénariste de jeu vidéo est un métier qui existe déjà, et qui se décline pour tous les styles de jeux, mais soit trop de scénaristes sont mauvais, soit on leur demande de se brider sur ce qu'ils peuvent proposer. On pourrait leur payer des formations pour maîtriser la narration et le rythme d'une histoire. En l'adaptant aux jeux vidéo, on pourrait leur apprendre à doser la progression dans un jeu.
Voilà qui serait un progrès.
On pourrait également payer des gens qui sauraient écrire des dialogues corrects. Si quelques jeux en offrent de grande qualité, cela reste marginal, et pas meilleur qu'il y a de nombreuses années.
Les graphismes, c'est bien, mais pourquoi ne pas se pencher sur des logiques d'IA persistantes qui pourraient se décliner dans tous les styles de jeu (aussi bien un jeu de rôles qu'un jeu de voitures).
Peut-être également qu'on se rendra compte un jour que des doublages loupés sont plus que néfastes au jeu. Si on a tendance à considérer les doublages en français comme trop souvent mauvais, c'est à peine mieux en VO le plus souvent (c’est peut-être parce qu’on ne comprend pas tout qu’on est plus indulgents…).
Enfin, et surtout, donnons aux créateurs de jeux des cours de mise en scène. Des jeux bien mis en valeur, il y en a, mais pas plus que pour la génération précédente. On pense encore trop que la mise en scène, cinématographiquement parlant, est l'affaire des cinématiques ou des actions précalculées. Pour un Halo Reach (quelle exposition des décors, qui oriente naturellement le regard du joueur vers le cœur de l'action !), un Bioshock (la construction des couloirs et des salles pousse le joueur à ne rien rater de l'exposition du monde de Rapture), Gears of War 3 (très grands progrès de ce point de vue dans le dernier opus, mais la qualité était déjà là dans le deuxième), Skyrim (l'introduction du jeu est un modèle de mise en scène, exposant le monde visuellement tout en exposant ses enjeux), ou Red Dead Redemption (le ranch en haut d'un plateau, ce n'est pas par hasard, c'est avant tout pour qu'on soit saisi de l'immensité du décor quand on descend vers la ville), combien de titres se saccagent à force de nous imposer des dialogues cadrés comme un épisode d'Arnold et Willy ? Combien de titres se réfugient derrière des QTE ou des scènes précalculées dont les ficelles sont trop visibles ?
Il est triste de constater qu'après de nombreuses années d'existence, les jeux vidéo peinent toujours à trouver leur place en tant que média. La mise en scène d'un jeu est interactive et tridimensionnelle, ce que trop peu ont compris.
Il faut dire que cela est perçu par très peu : la presse vidéoludique elle-même, quand elle teste un jeu, parle volontiers de ses graphismes, mais se révèle incapable de comprendre que le ressenti manette en main vient largement de l'exposition du jeu, de la façon dont on nous présente l'action.
Le constructeur qui annoncerait tout ça, je lui achèterais sa console, car plus que dans le nombre de polygones, c'est là que pour moi les jeux doivent progresser.
Tant qu'on parlera seulement de puissance des machines, on continuera de stagner : tous ces axes de progression, on pourrait parfaitement les avoir maintenant sur nos bonnes vieilles consoles…
Pessimiste ? Peut-être, mais je ne demande qu'à être contredit, et les changements de génération de machines précédents ne m'incitent pas vraiment à m'attendre à autre chose.