Annoncé en mai 2021, Lies of P a su se faire remarquer, notamment par son univers. Revisitant le célèbre conte de Pinocchio à la sauce Steampunk, le titre reprend l’œuvre de Carlo Collodi dans une version élégante, sombre et mature, tout en appliquant les codes des jeux ayant fait la renommée de From Software : les Souls-like. Énième clone au teint pâle, ou véritable alternative ? Ce qui est sûr, c’est que la moutarde nous est souvent montée au nez.
Un univers prenant
L’aventure débute dans la gare crasseuse de la cité de Krat, où P (Pinocchio, mais il n’est jamais désigné ainsi au cours de l’histoire) se réveille, bercé par la douce voix d’une inconnue qui résonne. Faisant rapidement la connaissance de Gemini, enfermé dans une lanterne, P doit prendre les armes pour renverser une armée de pantins mécaniques ayant pris le contrôle de la ville.
Pour une raison que l’on ignore, les créations de Gepetto ont lancé un génocide sans précédent, ne laissant derrière elles que de très rares survivants, ces derniers ne subsistant désormais que dans la ruine et la désolation. Nous devons, dans un premier temps, nous rendre à l’hôtel de Krat, où nous devrions en apprendre plus sur la disparition du célèbre inventeur. Le scénario se dévoile par de petites touches de dialogues, jumelées à une narration environnementale efficace.
Sans trop en dire, l’histoire distille les sombres desseins de l’armée d’automates au compte-goutte, laissant planer de nombreux mystères, tenant le joueur en haleine jusqu’à l’un des trois épilogues possibles. Quelques extraits de journaux et notes à collecter viennent approfondir le lore bien sombre du titre, tout comme les quelques quêtes annexes disponibles.
Celles-ci permettent de rencontrer de nombreux personnages repris du célèbre conte de Pinocchio et qui décident parfois de rejoindre l’hôtel de Krat, faisant office de quartier général. C’est en ce lieu que nous avons l’occasion d’en apprendre plus sur nos alliés et sur certaines mécaniques de jeu. Au fil de la quasi-douzaine de chapitres constituant l’aventure, nos acolytes dévoilent leurs inquiétudes et leurs motivations, tout en nous aidant à nous renforcer.
P fait de la résistance
Dans le hall de l’hôtel de Krat, nous avons plusieurs possibilités afin d’améliorer les capacités de la marionnette. La douce demoiselle aux cheveux bleus, Sophia, nous permet d’améliorer nos statistiques parmi les six disponibles. Chaque montée en niveau requiert un nombre croissant d’Ergo, l’équivalent des âmes dans les Souls. Nous pouvons ainsi augmenter notre jauge d’endurance, nos points de vie, les dégâts des armes ou encore le poids de l’attirail transportable. À ce propos, comme dans de nombreux jeux du genre, porter un équipement lourd diminue notre fenêtre d’esquive et notre rapidité à se mouvoir.
Eugénie la technicienne s’occupe de nos armes. En échange du nombre d’objets appropriés, notre arsenal monte en niveau, et donc en statistiques. Les objets d’amélioration se trouvent très souvent sur des ennemis de type élite, ou dans des coffres au trésor que nous devons trouver en explorant. C’est également par l’intermédiaire d’Eugénie (ou via les Stargazers, ces « feux de camp » disposés dans chaque environnement), que nous pouvons modeler nos armes.
En effet, Lies of P nous permet de personnaliser l’expérience, en assemblant comme nous le souhaitons notre équipement. Chaque arme se divise en deux parties : d’un côté la tête, pouvant aussi bien être une lame d’épée enflammée, un embout de clé à molette, ou la pointe d’une arme d’hast… de l’autre, une poignée, influençant notamment la mobilité et la façon de frapper. Rien ne nous empêche ainsi de lier la lame d’un guan dao (arme d’hast chinoise) avec la poignée d’une rapière, ou de fixer un pic empoisonné sur le manche d’un gourdin.
S’avérant fortement intéressant sur le principe, le système manque tout de même de profondeur, l’efficacité des différents assemblages étant loin d’avoir le même panache. Des manivelles peuvent altérer les capacités de l’armement, mais cela demeure relatif. Dans les faits, nous avons eu tendance à jouer qu’avec trois ou quatre armes, notamment celles infligeant des altérations d’état, avec une mobilité élevée, même si leur courte allonge leur fait défaut. Un système de durabilité vient de temps à autre nous ralentir : en effet, nous n’avons à aucun moment épuisé la jauge de durabilité d’une arme, la question de la pertinence de ce système mérite d’être posée.
L’atelier de Venigni nous offre l’opportunité de modifier notre bras mécanique. Simple manière de repousser les ennemis au départ, il devient rapidement une arme secondaire de premier choix. Nous n’obtenons pas autant de capacités que l’Inspecteur Gadget, cependant savoir maîtriser leur utilisation devient indispensable. Nous pouvons électrifier les rouages de nos ennemis, poser une mine de proximité ou encore activer un bouclier salvateur. Là aussi, en échange d’objets dédiés, les effets du bras gagnent en puissance et en efficacité.
À l’étage, le bureau de Gepetto est l’endroit idéal pour dépenser le quartz, cette ressource rare faisant office de monnaie d’échange. Un siège moelleux mécanique sur lequel nous pouvons disposer notre popotin permet d’améliorer l’Organe P, le cœur de notre héros. Prenant la forme d’un modeste arbre de talent, c’est à ce moment que nous débloquons des accumulateurs de pulsations supplémentaires (potions de vie à l’utilisation limitée en nombre) ou la possibilité d’esquiver une attaque lorsque nous sommes à terre, par exemple. Chaque morceau de quartz dépensé donne l’occasion d’ajouter un bonus passif parmi de nombreuses possibilités, là aussi permettant la personnalisation du gameplay au bon vouloir du joueur.
Plus tard dans l’aventure, un rôdeur à la tête de Loup rejoint nos rangs. En lui apportant de l’Ergo rare, obtenu sur les boss, nous ajoutons à notre arsenal des amulettes ou des armes puissantes. Nous ne pouvons désolidariser la lame de la poignée sur celles-ci. En revanche, leurs statistiques déjà élevées peuvent encore être augmentées, donnant lieu à des coups souvent dévastateurs sur les adversaires, en dehors des boss et des élites.
Enfin, les majordomes Pulcinella et Polendina mettent à notre disposition de nombreux items à la vente, en échange d’une certaine somme d’Ergo. Allant de la simple potion d’anticorrosion à divers objets de lancer ou de protection, leur stock n’est pas forcément renouvelable, il nous faut donc user du commerce avec parcimonie.
« La seule chose qui rend la vie humaine précieuse et significative, c’est sa brièveté. »
Tranchons de suite dans le vif du sujet : Lies of P n’est pas un titre accueillant pour les nouveaux venus dans l’univers des souls-like, contrairement à ce qu’a pu être Steelrising par exemple. Il est à noter que la notion de difficulté sera différente d’un joueur à l’autre : les aficionados du genre devraient s’en sortir sans trop de problèmes, trouvant le titre sans doute même un peu facile dans sa globalité, là où quelqu’un qui débute les souls-like par cet opus risque la crise de nerfs dès le tout premier élite.
Ayant pour notre part une expérience modeste dans cette typologie de jeu, nous n’avons pas éprouvé de réelles grosses difficultés sur les phases d’exploration hormis quelques mini-boss, mais nous avons souffert comme jamais sur les boss de fin de chapitre. Précisons tout de même que malgré quelques insultes proférées contre la manette (forcément) ou le sadisme des développeurs, nous y avons pris un plaisir non dissimulé lors d’une victoire, en particulier après la quarantaine d’essais que nous avons dû effectuer sur certains affrontements. En cas de réel blocage sur un combat, il ne faut surtout pas hésiter à revenir sur nos pas et exterminer des ennemis en boucle afin de gratter quelques niveaux supplémentaires, en les faisant réapparaître à chaque activation de stargazer.
Round 8 Studios rend une copie bien rodée concernant son gameplay, néanmoins il reste tout de même quelques imperfections que nous avons trouvées perturbantes pour la progression et la lisibilité de l’action. En premier lieu, le problème récurrent des jeux en 3D, à savoir une caméra pas toujours placée de manière optimale, demeure bien présent. De plus, lors d’affrontements dans les environnements exigus avec obstacles au sol, il n’est pas rare que notre avatar se bloque contre une caisse non destructible, nous empêchant d’esquiver un coup fatal.
Autre souci concernant les esquives, elles ne semblent pas bénéficier de fenêtres d’invincibilité, même faibles. P possède deux manœuvres d’évitement : un pas de côté lorsque la caméra est verrouillée sur l’ennemi, ou bien une roulade en mode de caméra libre. Étrange choix des développeurs… Les mouvements d’évitement ayant tout de même une courte portée, nous avons trouvé dommageable ce point. Il est possible d’en améliorer certains effets en modifiant l’Organe P, mais cela ne nous sauve pas pour autant.
Nous avons fortement apprécié les sets de mouvements des boss de fin de chapitre, suffisamment variés pour ne pas éprouver de redites. Néanmoins, la lecture de certains coups nous a paru compliquée. En effet, nous avons quand même eu l’impression de nous faire feinter constamment, quand nos adversaires ne nous distribuent pas des mandales à la vitesse de la lumière, rendant ainsi les esquives ou les parades compliquées à gérer au vu de la faible permissivité qu’elles engendrent.
Bloquer un coup sans le faire au moment précis entraîne une phase appelée « regain de garde ». Sous cette appellation se cache en fait un moyen pervers d’entamer nos points de vie, de manière temporaire. Tant que nous bloquons les assauts, cette jauge de couleur terne dans la barre de vie peut être regagnée à condition de faire mouche sans reprendre un seul coup. Cependant, si notre adversaire nous touche, nous perdons l’intégralité de cette jauge de regain. Autant être clair de suite, bloquer bêtement n’est nullement la solution, d’autant que cela entame notre barre d’endurance, relativement faible au demeurant.
Et c’est là que le titre se complique grandement. À l’instar d’un Sekiro, le meilleur moyen de se défendre est d’effectuer des parades parfaites. Nous avons trouvé ce principe compliqué à exécuter étant donné les patterns parfois difficilement assimilables, et la faible fenêtre de parade possible. Nous avons l’impression que cela se jouait au dixième de seconde près. Les hitbox ne semblant pas bénéficier toujours d’un soin impeccable, la rage a souvent pointé le bout de son nez.
Au bout de nombreux essais et une petite pause-café, nous finissons tout de même par gérer cela un peu mieux. Lorsque nous arrivons à en effectuer plusieurs d’affilée, l’adversaire se retrouve étourdi. Si nous nous plaçons au bon endroit, il est possible de lui distribuer un enchaînement de coups puissants. Notons qu’un combo similaire se déclenche lorsque nous attaquons un automate dans le dos sans s’être fait repérer au préalable.
Le dernier grief concerne le système d’inventaire rapide. Trois consommables peuvent être attribués à chacune des touches haut et bas de la croix directionnelle. Si passer de l’un à l’autre requiert un simple clic sur l’un de ces boutons, en plein combat cela devient laborieux. Dans certains moments de panique, nous nous sommes parfois mélangés les pinceaux en ingurgitant la potion qu’il ne fallait pas, au lieu de celle de soins, quand nous n’activions pas trop tard la piqûre salvatrice le temps de la sélectionner.
Le Muppet « Chaud »
Le bestiaire est inspiré et fourni. Au tout début, nous affrontons majoritairement les créations mécaniques de Gepetto et de Venigni : gardes de fer dans la gare de Krat, chiens de garde aux couleurs dorées… mais pas que. De rares survivants nous barrent aussi la route. Ces rôdeurs arborant un couvre-chef en peau d’animaux ou des masques en faïence ont clairement une dent contre les marionnettes de notre créateur.
Leurs assauts sont plus facilement lisibles du fait de leur anatomie humanoïde, mais il demeure tout de même de farouches obstacles à franchir. D’autres créatures décharnées concluent le bestiaire et se payent même le luxe de nous tomber dessus à l’improviste, entraînant quelques effets de sursaut. L’ambiance globale du titre est assez oppressante. Le sound-design particulièrement réussi participe à la richesse auditive du titre, saupoudré de quelques morceaux chantés très agréables que l’on peut écouter à l’hôtel.
Pendant les combats de boss, des chœurs plus lyriques insufflent un côté épique jubilatoire. La piste qui tourne pendant la deuxième phase du quatrième boss nous a fortement rappelé « Duel of the fates », le thème du combat entre Dark Maul, Obi-Wan Kenobi et Qui-Gon Jinn dans Star Wars épisode 1 : La Menace Fantôme. Jouissif !
À l’issue de certaines rixes, nous obtenons des costumes et autres masques à équiper. N’ayant nul autre but que le cosmétique, ils ont au moins le mérite d’exister : aucune modification de statistique ou de résistance au programme. Plutôt jolis à l’œil, ils viennent parfaire une esthétique globale que nous avons trouvée particulièrement réussie.
Une réalisation classique, mais efficace
L’aventure se veut très linéaire. Le level-design, plus inspiré sur la deuxième moitié du titre, dispose de très peu d’environnements « ouverts ». P évolue les trois quarts du temps dans des ruelles et des couloirs, laissant peu de chances d’échappatoires. Offrant tout de même un peu de verticalité, les décors sont tout aussi séduisants les uns que les autres, si l’on fait exception de ces passages de la mort où nous devons progresser sur des poutres en bois tout en se faisant harceler de projectiles. Se déroulant majoritairement en milieu urbain s’inspirant de la période de la Belle Époque, le parcours s’égare de temps en temps en forêt ou dans de glauques souterrains, distillant des panoramas soignés, mais rarement accueillants.
Développé sur Unreal Engine 4, Lies of P est un titre propre techniquement. Nous n’avons pas observé de clipping ou de baisse de framerate pour le mode performance, contrairement au mode qualité que nous avons trouvé un peu handicapant, le titre donnant alors l’impression de saccader en tournant en 30 images par secondes. Dans les deux modes, les textures demeurent détaillées, mais font preuve d’un peu plus de finesse dans ce dernier. Pas grand-chose d’autre à noter sur la technique, si ce n’est signaler de jolis effets d’éclairage et d’ombres.
Véritable alternative au jeu de From Software, Lies of P a su nous séduire par son ambiance et son esthétique, tout autant que par sa façon de revisiter le compte de Carlo Collodi. Aussi jouissif que rageant, nous regrettons simplement le manque d’accessibilité pour les nouveaux venus. Espérons que les développeurs ajoutent quelques options pour faciliter l’aventure, notamment la fenêtre de parade trop exigeante à notre goût, afin de proposer cette expérience au plus grand nombre.
Testé sur Xbox Series X (optimisé)