Imaginez un peu… Les créateurs de Fallout : New Vegas à l’initiative d’une nouvelle franchise de FPS/RPG, combinant l’écriture caustique qu’on leur connaît dans un univers de space opera ? De nombreux fans du genre et de la licence iconique de Bethesda ont fait connaître leur enthousiasme à grands coups de “shut up and take my money”. Maintenant que l’attente et que la gargantuesque campagne de com’ sont terminées, tout ce tintouin était-il légitime ?
LE TEMPS BÉNI
On commence à le savoir maintenant, la colonisation, ça se passe jamais comme prévu. Le système solaire d’Halcyon ne déroge pas à la règle, puisque de nombreuses factions toutes aussi illuminées les unes que les autres se disputent désormais le contrôle de la galaxie. C’est donc le moment idéal pour qu’un élément perturbateur (vous en l’occurrence) vienne foutre un bon coup de botte anti-gravité dans cette fourmilière corrompue jusqu’à l’os. Votre personnage ayant été malencontreusement cryogénisé depuis 70 ans, un ersatz de Doc Brown vous extirpe de votre sommeil frigorifique afin de vous confier la plus importante des missions : libérer le peuple d’Halcyon du joug de ses corporations tyranniques. Après un bon café, bien-sûr. Cette décongélation express est l’occasion d’introduire l’éditeur de personnage, qui permet de forger l’apparence du héros à notre convenance ; du sexe à la couleur des cheveux, en passant par l’écartement entre les yeux ou la proéminence du menton. S’il est toujours sympa de pouvoir personnaliser à souhait son avatar, l’intérêt ici est tout relatif puisque The Outer Worlds se jouant exclusivement en vue FPS, vous ne profiterez de son look ravageur que dans les menus ou en posant la manette quelques minutes. Maintenant que les présentations sont faites, préparez-vous à un atterrissage mouvementé.
FAISEZ GAFFE À CE QUE VOUS DISEZ
Fraîchement débarqué (ou plutôt écrasé) sur Terra 2, l’une des planètes terraformées d’Halcyon, c’est l’occasion de faire plus ample connaissance avec ses autochtones. Comme à l’accoutumée chez Obsidian, l’écriture des dialogues et le doublage des protagonistes ont bénéficié d’un soin tout particulier, et constituent sans nul doute l’une des forces majeures du titre. L’univers gagne en crédibilité grâce à sa galerie de junkies déglingués, de fanatiques religieux ou de bureaucrates arrivistes, qui nous abreuvent régulièrement de punchlines bien senties. Force est de souligner que peu de jeux du genre peuvent se vanter d’une telle qualité d’écriture. C’est en effet un sacré challenge que de tenir le joueur en haleine, tout en proposant de très nombreuses phases basées uniquement sur les dialogues. Tout comme dans New Vegas, les conséquences de vos paroles peuvent avoir de lourdes répercussions sur l’aventure, créant parfois des événements inédits au sein d’une mission ou, au contraire, fermant purement et simplement certains pans de l’histoire. Vos décisions affectent également vos relations avec les différentes factions d’Halcyon. Si l’une d’elle vous prend en grippe, ses adhérents peuvent très bien tirer à vue sur vous dès que vous êtes dans leur sillage. Ces approches différentes offrent un beau potentiel de rejouabilité, tout en accentuant l’immersion dans un univers où les choix du joueur ont une véritable conséquence sur le monde qui l’entoure.
UN P’TIT DIGEO ?
Le revers de la médaille est que The Outer Worlds ne déroge malheureusement pas à la règle des innombrables quêtes Fedex et du loot à gogo. Si comme moi vous aimez aller farfouiller dans les moindres recoins d’un bâtiment, tout en parlant à tous les PNJ qui y habitent, vous finirez très rapidement avec un journal de quête aussi rempli que la liste au Père Noël de votre petit neveu, et un inventaire tellement plein qu’on croirait votre panier Amazon après un Black Friday. Malgré toutes les qualités d’écriture évoquées, on est souvent submergé d’infos, de noms et d’objectifs, pour au final oublier complètement pourquoi on était venu collecter 10 queues de Raptidons dans cette caverne.
Dommage, d’autant plus que les développeurs ont eu la bonne idée de proposer une division du monde en plusieurs planètes et en plusieurs zones. Une sorte de semi open world assez judicieux, plutôt que de fatalement proposer un monde gigantesque mais cruellement vide. La direction artistique du soft ne plaira pas forcément à tout le monde. Elle a au moins le mérite de pimper les sempiternels panoramas post-apocalyptiques avec des couleurs plus chatoyantes et une végétation surprenante, un peu à la manière d’un No Man’s Sky. Le level-design est correct mais manque un chouilla de cohérence entre les zones traversées, qui sont trop souvent artificiellement connectées par des campements ennemis ou des troupeaux de bestioles à décimer. Juste correct lui aussi, le moteur du jeu souffre de pop-in, de textures étirées, d’animations rigides et de modélisation de visages sommaire, qui accuse quelques années de retard.
TU M’VOIS… AH OUAIS, TU M’VOIS
Impossible de parler du gameplay de The Outer Worlds sans faire une comparaison avec celui de Fallout. Dans ce dernier, le joueur avait la possibilité d’utiliser le V.A.T.S. afin de viser précisément une partie du corps de l’adversaire ; le taux de réussite et la probabilité de coup critique dépendant des statistiques du personnage et de la distance qui le sépare de l’ennemi. Les combats y avaient donc une certaine dimension stratégique, en plus du côté jouissif que procuraient les exécutions au ralenti.
Dans The Outer Worlds, l’approche est beaucoup plus frontale. Ici, le V.A.T.S. a été remplacé par un mode bullet-time beaucoup plus classique, procurant un temps de répit pour révéler les statistiques de l’adversaire que l’on vise (ainsi que ses éventuelles faiblesses) et l’occasion de placer un coup fatal. Seulement, la dimension infiltration est égratignée par l’IA lunatique des ennemis et le peu de latitude donnée au joueur pour contourner des patrouilles souvent très nombreuses. Même en boostant de manière conséquente les spécialités de votre perso et en s’équipant d’armes longues pour le combat à distance, il est beaucoup trop rare de placer un one shot bien senti. On finit donc souvent par mitrailler dans tous les sens pour éliminer tout ce qui bouge, dans des affrontements souvent bordéliques qui manquent un peu de saveur. Vous avez bien à disposition des items vous procurant des bonus temporaires (augmentation de la résistance, vitesse accrue, régénération plus rapide du ralenti…) mais la navigation dans l’inventaire manque cruellement d’ergonomie. Milliard de loot, tri des objets peu intuitif, taille de la police minuscule… Rien ne vous encourage à la jouer plus tactique, de plus que ça casse un peu le dynamisme déjà bien relatif des combats.
VOUS VOULEZ VOIR LE MENU ?
Puisque nous sommes dans les menus, The Outer Worlds ne serait pas un RPG en règle sans l’évolution des personnages, et l’amélioration des compétences. L’expérience engrangée vous permet de régulièrement gagner des niveaux, et de dépenser plusieurs types de points de compétence. À chaque niveau gagné, vous pouvez attribuer 10 points dans les catégories principales souhaitées (dialogue, corps-à-corps, défense, armes à distance…) ce qui activera des bonus permanents dans leurs sous-catégories respectives. Par exemple, un niveau de 40 en armes lourdes, sous-catégorie des armes à distance, vous octroie un bonus de 50% de dégâts critiques avec ce type d’arme. En plus des compétences, vous pouvez également améliorer vos talents qui confèrent de nouveaux avantages à votre avatar, du poids supplémentaire admissible dans votre sac à dos à une santé accrue en passant par votre vitesse de déplacement. À noter également que votre équipement (armes et armures) s’use en fonction de son utilisation et des dégâts reçus. Cela constitue un handicap au final très léger, car vous trouverez énormément de matos pour le réparer, sauf en difficulté Supernova où, vous l’aurez compris, tout est plus hardcore, en plus d’activer la gestion de la faim et de la soif.
HARDCORE SIXSOME
Pour vous aider à péter des gueules, vous aurez très vite la possibilité de recruter des compagnons. Une mécano peu sûre d’elle, un évangéliste hautain ou encore un jeune joueur de crossball (sport national d’Halcyon), votre équipage de 6 places propose une belle variété de personnalités et de compétences. Chaque fois que vous vous rendez sur le terrain, vous pouvez emmener deux d’entre eux, chacun possédant ses propres talents à développer ainsi qu’un coup spécial se rechargeant à chaque utilisation. Bien-sûr, si vous êtes du genre solitaire vous pouvez très bien occulter cet aspect du jeu, mais les affrontements seront un peu plus monotones et parfois bien plus complexes sans vos camarades pour vous aider. D’autant plus que chacun possède une backstory, donnant lieu à des petites quêtes secondaires souvent intéressantes. Après, on n’est pas au niveau d’un Mass Effect 2 en terme de construction de personnage. Mais au delà des clichés, certains se démarquent un peu plus que d’autres et deviennent même attachants.
Au final, on ne peut pas dire que l’on s’ennuie ou que l’on ne sente pas le travail derrière The Outer Worlds, mais c’est que depuis Fallout : New Vegas et, encore plus loin, les deux premiers épisodes développés par feu Black Isle (dont certains rescapés iront former Obsidian), de l’eau a coulé sous les ponts. Les codes instaurés par le studio sont devenus la norme du genre et, tel un serpent qui se mord la queue, The Outer Worlds finit par souffrir de ces mécaniques vieillissantes. Espérons qu’après le joli succès que rencontre le jeu au moment où nous écrivons ces lignes, cela donne des ailes aux auteurs pour pousser le bouchon encore plus loin, Maurice.