À sa sortie mais aussi au fil du temps, le premier Styx avait su se trouver un public malgré un manque de moyens assez évident. Loin de briller aussi fort dans le paysage vidéoludique de l’infiltration qu’un Hitman ou un Thief de la grande époque, le jeu s’était surtout fait une réputation pour son exigence et pour son gameplay assez bien rodé. De retour pour un second opus sous-titré Shards of Darkness, le gobelin de Cyanide veut aller bien plus loin pour combler de bonheur son public ancien ou nouveau. Pari relevé ?
Une suite pour tous
Si vous n’avez pas joué au premier épisode, autant vous prévenir : vous risquez de trouver un certain manque de charme au personnage et louper quelques éléments de background. Mais soyez aussitôt rassuré, le titre ne brille pas pour son écriture et ne devrait pas vous laisser complètement au bord de la route, cet opus se suffisant à lui-même. Styx, le gobelin chétif à la grande gueule, se retrouve embarqué dans une histoire mêlant elfes belliqueux, nains acariâtres, gros monstres et complots,... le sel de l’Heroic Fantasy, oui avec un grand H et un grand F.
Disons le directement, si le premier épisode avait de quoi plaire pour ses quelques péripéties bien senties, ici, l’histoire fait un peu plouf à cause de tenants et d’aboutissants manquant d’ambition ou de cohérence, et de rebondissements au final pas très utiles. Non, vraiment l’écriture n’est pas folle, et c’est fort dommage puisque le personnage de Styx possède un certain charisme qui le rend attachant malgré son physique ingrat. Peut-être est-ce cette fois dû à l’abus de références à d’autres jeux dans les dialogues caricaturaux, ou à cette envie constante de briser le quatrième mur avec un personnage qui s’adresse directement au joueur (en cas de mort, pour le fustiger de son incompétence par exemple) mais voilà, au final ça ne fonctionne pas. Ce n’est pas grave dans le fond, puisque le jeu n’a pas besoin de cela pour convaincre le joueur sournois que vous êtes.
Un jeu de patience
Se promener de corniches en cordes suspendues (nouveauté de cet opus), de dessous de tables en coins sombres, voilà ce que propose Styx. Du moins si on souhaite jouer l’intégralité du jeu de manière non létale et parfaitement discrète. Prendre le temps d’observer les rondes, trouver du regard le chemin à emprunter par rapport à l’objectif à atteindre, attendre le bon moment pour agir en restant planqué dans un coffre,... voici les composantes du gameplay de base du jeu. Classique me direz-vous, mais suffisamment bien fait pour y prendre du plaisir. Et ce plaisir ne vient pas tant des possibilités liées aux pouvoirs dont dispose le joueur pour se faufiler entre les pièges et ennemis, que de la qualité du level design. Si le premier opus sortait déjà du lot à l’époque, c’était justement sur ce point, et autant dire que les level-designers de Cyanide n’ont pas chômé. Les multiples chemins proposés, les recoins bien cachés, la verticalité des maps,... tout y est pour y prendre un plaisir certain pour peu que l’on pousse la difficulté du jeu afin de se forcer à être prudent.
Mais la méfiance ne suffit malheureusement pas, le jeu souffrant des mêmes défauts que son prédécesseur, à savoir une IA erratique. Des gardes qui ne nous sentent pas passer à 50cm d’eux dans leur dos, ou devant eux sous une table, alors qu’ils peuvent parfois nous détecter suspendu à une corniche complètement hors de leur vue... Rageant. Mais pas si dommageable que ça dans la mesure où ce n’est pas systématique, et que le fait de pouvoir s’adapter aux situations fait aussi partie du plaisir que peut procurer le jeu.
Pour être réactif, Styx peut compter sur ses pouvoirs qui ne diffèrent pas tant que ça du premier, mais qui ont subi une légère refonte rendant le gameplay plus agréable. Premier point, la vision d’ambre, permettant de mieux détecter les gardes ainsi que les éléments interactifs, s’active en pressant le stick droit sans consommer de ressources. Ensuite, les clones générés par notre gobelin lui permettent maintenant de se régénérer en eux, rendant Styx impossible à tuer si le joueur a été prévoyant, et lui offrent un moyen de se téléporter à des endroits déjà visités. L’invisibilité et les assassinats sont heureusement toujours de la partie pour qui souhaite se barrer discrètement ou semer le chaos lors de rencontres inattendues. L’arbre de compétences à débloquer a aussi été étoffé, proposant des choses plus poussées ou variées qui permettront à différents profils de joueur d’y trouver leur compte. Styx est riche en possibilités, et voilà bien ce qui le rend si agréable à parcourir. Au niveau des améliorations, on constate aussi un gros effort fourni sur la gestion des sauts, beaucoup moins aléatoires que dans le premier, même si le personnage semble toujours autant flotter. Le moteur physique n’est pas un foudre de guerre et c’est peu de le dire. Néanmoins, on meurt moins souvent en essayant de s’accrocher à des corniches, ce qui est toujours ça de pris.
L’important c’est d’essayer
Au niveau des nouveautés, on peut aussi noter l’apparition de la collecte de ressources, qui permettent de crafter des potions mais aussi des armes ou des crochets pour les serrures. Si au début du jeu on a l’impression que l’on ne manquera de rien, au fur et à mesure de la progression on se rend bien compte qu’il faut faire des choix entre avoir à disposition des fioles d’ambre pour ses pouvoirs, ou des pièges pour tuer discrètement des gardes. Font aussi leur apparition des affrontements contre des boss, qui ne se basent pas sur du combat - Styx n’étant définitivement pas un guerrier - mais sur l’infiltration et la rapidité. S’ils varient un peu l’expérience, on ne peut pas dire que leur présence apporte un plus qui marquera les joueurs.
À noter que le jeu dispose d’un mode coopération. Celui-ci permet à un deuxième joueur de contrôler un clone afin de réaliser des actions coordonnées ou finir plus rapidement les niveaux à 100%. Du moins sur le papier car dans les faits, le matchmaking ne propose que des erreurs de connexion, quand il arrive au moins à trouver une session. Il est peut-être trop tôt pour trouver du monde sur le jeu, l’aventure se vivant fondamentalement en solo. Quoi qu’il en soit, il faut plus voir cela comme un bonus pour qui souhaite s’amuser avec un ami qu’une vraie composante du titre qui le rendrait impraticable en l’état.
Du neuf avec du vieux
Techniquement, le jeu a pris du galon mais son rendu est plus agréable non pas parce qu’il propose de plus jolies textures - c’est d’ailleurs tout relatif - mais surtout parce que les environnements parcourus sont plus variés, lumineux (oui, c’est tout un concept pour un jeu où l’on passe son temps dans l’ombre) et agréables. De la cité elfique à flanc de falaise au petit port de pêche aux allées étroites, le joueur voyage un peu plus et profite de différentes gammes de couleurs bien senties avec une DA plus inspirée, même si les personnages secondaires et les ennemis de base sont aussi moches qu’avant.
Dernier point qui fâche un peu, le jeu recycle encore une fois ses niveaux à partir d’une bonne moitié de l’aventure. Heureusement, on commence toujours d’un point de départ différent pour une arrivée toute autre. Si les niveaux sont suffisamment vastes et bien construits pour que l’on ne repasse pas exactement par les mêmes chemins, le sentiment de redite vient forcément à l’esprit et gâche quelque peu le plaisir de découverte. D’autant plus que les quêtes secondaires et la collecte d’items et de ressources incitent déjà à les explorer de fond en comble. On comprend cependant l’intérêt, pour un studio ne croulant pas sous l’or, de les proposer à nouveau au joueur sous un angle différent tant leur conception poussée a dû nécessiter un travail conséquent. Car oui, finalement, le capital sympathie du jeu l’emporte sur les griefs, et on souhaite de bonnes choses à Cyanide pour la suite puisque l’on sent bien qu’ils se sont décarcassés pour proposer une suite plus riche et plus plaisante.