Pas évident de se frayer un chemin, quand on sort en fin d’année, entre les « gros » titres qui trustent les news des sites de jeux vidéo, les publicités, et les débats entre joueurs. C’est d’autant moins évident quand on est un représentant d’un genre tristement peu représenté : le bon vieux jeu d’aventure, fonctionnant comme un point’n click, et poussant le joueur à faire quelque chose dont il n’a plus forcément l’habitude : utiliser son cerveau. C’est pourtant le pari que fait Microïds avec Yesterday Origins, qui marque le retour du formidable studio Pendulo.
Voyage à travers le temps et la mémoire
Yesterday Origins va nous raconter, de façon tout à fait cohérente avec son titre, les origines de Yesterday, personnage central du jeu éponyme sorti il y a déjà quelque temps. Cet étrange individu est éternel et revient à la vie chaque fois qu’il meurt, mais avec la mémoire effacée. Une bonne motivation pour éviter de mourir ! Il vit avec une jolie jeune femme, elle aussi éternelle, mais ne souffrant pas de la même carence, et tout semble aller pour le mieux dans ce sympathique petit couple, confronté aux tracas du quotidien de tout un chacun. Leur principale motivation est donc de faire tourner leur boutique d’antiquités parisienne pour payer les factures, et ce sera leur première mission, une collectionneuse se montrant potentiellement très intéressée par l’achat d’une statue de grande valeur… Un hasard ? Peut-être pas… Yesterday, croisant dans l’opération un livre dont la couverture est recouverte de symboles lui évoquant son passé lointain, va chercher à recouvrer la mémoire et à découvrir ce qui lui est vraiment arrivé. À noter qu’il n’est pas nécessaire d’avoir fait le premier jeu pour apprécier celui-ci.
Dans un jeu de ce type, l’histoire et la façon dont elle est racontée sont les éléments les plus importants. C’est ce qui va entraîner le joueur, le pousser à avancer, ou ce qui le fera abandonner.
Dans Yesterday Origins, après une introduction plutôt ordinaire qui est là avant tout pour faire découvrir les mécanismes du jeu, impossible de décrocher avant de connaître le fin mot de l’histoire. Il serait criminel de dévoiler ici ce qu’on va découvrir, tant il est agréable de se laisser porter par les découvertes, en particulier dans un passé trouble qui pousse à s’interroger par moment sur la nature même du héros. La qualité d’écriture y est pour beaucoup : le scénario avance de façon naturelle, sans heurts, et le ton employé parvient à trouver un équilibre peu fréquent. En effet, si des effets comiques, piochant souvent du côté de l’humour noir, s’invitent régulièrement, on est bien dans une histoire plutôt sombre. Pourtant, grâce à une galerie de personnages variés et à des dialogues finement écrits et naturels, le sérieux de l’histoire ne se révèle jamais pompeux, et on reste dans une certaine légèreté : c’est bien la curiosité qui est piquée, et on ne se force à aucun moment. Au contraire, il s’avère difficile d’arrêter de jouer ! C’est cet aspect trépidant et rythmé qui fera s’écouler un peu trop vite les 7-8 heures nécessaires pour boucler le jeu. A noter que cette estimation de durée de vie est fortement variable : pour peu qu’on bloque de temps à autre sur une énigme, elle peut s’allonger de quelques heures de plus.
Le pouvoir de la déduction
Un autre élément capital pour ce type de jeu est la qualité, et surtout la logique des énigmes proposées. A nouveau, c’est une très belle réussite. On ne cherchera pas à associer des objets au hasard pour avancer : les indices sont savamment dosés, aidant parfois même un peu trop le joueur. Ainsi, sur la totalité du jeu, j’ai un peu galéré à seulement deux reprises, ce qui est inférieur à ma moyenne habituelle ! Parfois la réponse n’est pas évidente, mais en utilisant à la fois les éléments à notre disposition et notre cerveau (lui-aussi, en théorie, toujours à disposition !), on arrivera toujours à trouver. Le fait que la réponse ne doive rien au hasard procure une évidente satisfaction à l’enquêteur en herbe !
Le gameplay se révèle tout à fait adapté : les dialogues s’enrichissent d’options au gré des découvertes, et les éléments clés sont gérés comme des objets dans l’inventaire. Quand on veut réaliser une action complexe, il faudra donc indiquer quels objets on souhaite utiliser ou combiner, mais aussi avec quel objectif : vade retro hasardus !
L’art de la mise en scène
Puisqu’on parle de gameplay, on peut souligner qu’un effort évident a été fait pour la version console. Ainsi, la manette est bien exploitée, et le résultat s’avère presque aussi efficace que si on jouait à la souris. Le presque vient du fait qu’il faut malgré tout parfois être bien positionné pour sélectionner un objet ou observer un lieu. Un moindre mal. On notera également la petite originalité avec le contrôle de deux personnages en alternance : un principe qui fonctionne bien, mais qui au final n’est exploité que dans une petite partie du jeu.
Yesterday Origins sent le soin à plein nez, et cela se ressent également dans la conception artistique et la réalisation technique. Si on reste dans des décors dans une jolie 2D, la 3D s’invite également (personnages, objets), mais en s’y mariant harmonieusement. Les animations sont soignées et naturelles, si ce n’est une démarche pas toujours très sexy pour les personnages féminins. Messieurs les développeurs, il faudrait regarder mieux les femmes ! Et pourtant, il semblerait qu’ils aiment le faire, si j’en juge par les mensurations irréelles des femmes représentées (ce qui me permet de deviner que ce sont bien des hommes qui sont au développement !).
Ce sont surtout les choix artistiques qu’on va apprécier. Stylisés, les graphismes donnent l’impression qu’on se trouve dans une BD, impression renforcée par une représentation de l’action à travers des vignettes qui se succèdent en surimpression. Visuellement on a quelque chose de totalement raccord avec la tonalité globale choisie : c’est à la fois une histoire sérieuse et légère. Bravo pour la localisation, avec un Français très bien maîtrisé, et des acteurs de qualité, concernés par ce qu’ils font : c’est devenu tellement rare que c’est à souligner. Les joueurs qui sont, comme moi, lassés par les versions françaises faiblardes et qui jouent en anglais ne doivent pas par habitude zapper la VF, ce serait dommage de ne pas en profiter !
Donnons sa chance au produit
Et si on oubliait un instant les FPS et autres jeux « d’action narratifs » à la mode aujourd’hui ? Et si on se penchait sur un vrai jeu d’aventure, à l’histoire vraiment écrite et vécue par le joueur, et qui n’est pas juste une succession de cinématiques pour faire le lien entre deux scènes de tir ? Pour les joueurs habitués au genre, Yesterday Origins intrigue forcément. Pendulo est un studio qui a pondu une ribambelle de grands titres (les Runaway, The Next Big thing…), et Microïds est un éditeur spécialisé dans les jeux d’aventure et derrière des jeux uniques et magiques (Syberia, l’Amerzone, Still Life…). Qui plus est, c’est un éditeur Français qui avec ce titre et avec le Syberia 3 à venir, cherche à (re)proposer des titres d’aventure ambitieux dans leur conception.Le jeu d’aventure, à une certaine époque, était un style très répandu. Aujourd’hui, sur console, c’est devenu quelque chose d’original. Quand en plus la qualité est au rendez-vous, c’est donc quelque chose de précieux dont il ne faut pas hésiter à profiter. C’est aussi une certaine vision du jeu vidéo : celle d’artisans, amoureux de cet art, qui viennent modestement, mais non sans ambitions qualitatives, se frotter à un système devenu depuis longtemps industriel.