Imaginez-vous travailler dans une usine à viande. Vous mettez du coeur à l’ouvrage et malgré les conditions de travail particulièrement éprouvantes, vos efforts sont reconnus et vous obtenez le titre honorifique d’employé du mois. Joie. Pensant que vos efforts pour l’entreprise méritent un petit bonus pécuniaire, vous allez quémander celui-ci auprès de votre adorable patron. Vous découvrez que celui-ci n’est pas si adorable que cela et bien plus attaché à la santé de son portefeuille qu’à celle de ses salariés que son sens de l’humour douteux l’amène souvent à définir comme “esclaves”. Malheureusement pour vous, ses esclaves qui demandent une augmentation finissent généralement sur les étals et dans le ventre de ses clients. Il y a là largement de quoi devenir végan. Ne rigolez pas, c’est à peu près ce qui arrive à Abe, le Mudokon...
Mon copain Abe
Oddworld : New’n’tasty est le remake de l’Odyssée d’Abe, un jeu sorti en 1997 sur Playstation et PC. Derrière ce jeu se cache un artiste et un visionnaire appelé Lorne Lanning. Sa carrière l’amène rapidement à se passionner pour l’animation et les images de synthèse. C’est à Hollywood aux studios Rythm and Hues spécialisés dans les effets spéciaux numériques et connus pour Babe, Happy Feet et l’Odyssée de Pi, qu’il rencontra la productrice Sherry McLenna. Ensemble, ils entreprirent de se lancer dans le jeu vidéo en créant Oddworld Inhabitants, un studio qui allait se démarquer par l’ambition de sa direction artistique et la qualité exceptionnelle de ses cinématiques.
Leur premier jeu, l’Odyssée d’Abe nous plonge dans un conte écologiste doté d’un sous-texte politique jusqu’alors rarement abordé dans le jeu vidéo. Abe est un employé modèle dans la plus grosse fabrique de viande de Oddworld : Rupture Farm. Enfin, “employé” est un grand mot, le terme le plus juste pour le caractériser lui et son peuple, les Mudokons, serait plutôt esclaves. Une variable d’ajustement pour Molluck, le Directeur de Rupture Farm, qui, devant une perte de profit et l’essoufflement de ses deux produits phares, envisage de lancer le New’N’Tasty, un met à base de… Mudokons ! En découvrant par hasard ce terrible projet, Abe va, malgré lui, devenir le sauveur de son peuple et mettre un terme définitif à la production de Rupture Farm. Vous avez dit engagé ?
Le jeu est un mix réussi entre plate-forme 2D et réflexion. Abe, comme tous les Mudokons, n’est pas un guerrier émérite, il est plutôt pacifiste au contraire des Sligs, ces être biomécaniques lourdement armés qui assurent la sécurité de Rupture Farm. Pour sortir indemne de sa prison et réussir à faire évader ses congénères, Abe n’a à sa disposition que ses pouvoirs télépathiques, son adresse et sa relative discrétion.
Ses pouvoirs lui permettent d’ouvrir des portails à certains endroits afin que les Mudokons captifs se téléportent en sécurité et prennent possession d’un Slig pour le contraindre à effectuer de basses œuvres. Mais pour ce faire, Abe doit rester caché et surtout hors de portée des fusils d’assaut des Sligs. Chaque tableau est une énigme en soi, mettant à contribution la précision des déplacements d’Abe, sa discrétion et l’utilisation opportune des décors et des pièges présents à son profit. Avant de se lancer éperdument dans une course ou dans un sauvetage risqué on se doit de bien analyser l’environnement ; chaque élément peut être mortel ou précieux pour la survie d’Abe.
Cours Elum, cours !
Oddworld : New’n’Tasty parvient à nous tenir en haleine durant huit à neuf heures pour une première partie en prenant soin de sauver tous les Mudokons du jeu. Les 299 Mudokons, soit 200 de plus que pour le jeu originel ! Dans la majorité des cas, il ne s’agit que d’un ajout d’individus à des endroits où il y en avait déjà. Le jeu garde les mêmes endroits secrets et les mêmes dispositions de pièges et d’énigme. On retrouve avec joie le système de dialogue sommaire qu’Abe utilise avec ses congénères. Il peut leur demander de le suivre, d’attendre et même siffler et péter pour rigoler un bon coup ou répondre à une demande de mot de passe. Ces ordres très simples pallient « l’intelligence » de poisson rouge des Mudokons qui n’hésitent à aucun moment à courir droit sur une mine ou dans un hachoir en marche.
La grande force du jeu est de proposer un véritable voyage doté d’une direction artistique exceptionnelle tant au niveau des décors que dans sa faune, magnifiée par une technique remise au goût du jour très respectueuse. Il intègre petit à petit de nouveaux éléments de gameplay qui viennent enrichir cette odyssée.
Abe va découvrir l’étrange et dangereuse faune d’Oddworld, les Paramites, les Scrabs et les Elums. Seuls ces derniers, sorte d’autruches sans plumes, sont sans danger ; les autres s’avèrent mortels. Les Scrabs attaquent tout ceux qui entrent sur leur territoire, les Paramites ne sont agressives qu’en meute ou lorsqu’elles sont acculées contre un mur. Cet apprentissage par l’échec -les morts sont nombreuses- qui était la marque de fabrique du jeu en 1997 est heureusement atténué dans cette nouvelle mouture par l’ajout d’une sauvegarde automatique qui vient suppléer les traditionnels points de passages et sauver bon nombre d’entre nous de furieuses crises de nerf et de vol de manette par la fenêtre.
Le jeu garde tout son charme et son capital sympathie indéniable. Les anciens regretteront la disparition de la version française des voix et se contenteront d’une version originale sous-titrée correcte. Seule ombre au tableau coloré d’Oddworld, la présence de bugs parfois bloquants qui peuvent obliger de recommencer un chapitre depuis le début. Dans l’espoir d’un patch à venir, l’amour qu’on lui porte reste intact.