Pour une fois, évitons de créer dans l’introduction un suspense sur le contenu du test d’Ori and the Blind Forest, puisque sa teneur va être à sens unique. Ce jeu est formidable et fait un bien fou. Alors qu’on veut absolument que les nouvelles consoles se définissent par des jeux AAA qui se doivent d’être des vitrines technologiques, il faut peut-être regarder ailleurs. Ce titre, une exclusivité Xbox One pour les consoles, mérite bien plus que de grosses machines au budget marketing surdimensionné d’être mis en avant. Ça tombe bien, c’est exactement ce qu’on va faire !
Au cœur de la forêt
Dans ce jeu en 2D, on va suivre les aventures d’Ori, une petite créature mystique connectée à la forêt, aidée par Seyn, l’esprit de la lumière. Kuro, autre entité mystique mais cette fois maléfique, a privé l’Arbre des Esprits, qui est la personnification de la nature, de sa lumière. Ori va tout faire pour redonner à l’Arbre sa source de vie et ainsi sauver la nature. Ce postulat de base est, il faut bien le reconnaitre, extrêmement banal. On retrouve dans la trame de l’histoire tous les ingrédients habituels d’une multitude d’animés japonais : la nature est en danger, il faut la sauver. C’est convenu, certes, mais peu importe car cela n’impacte en rien le scénario du jeu. C’est même probablement volontairement qu’il nous raconte une histoire si simple, pour se concentrer dans sa narration sur les émotions avant tout. Et ça tombe bien, car il y en a ! Ne vous attendez pas à faire la fête, car le jeu baigne dans une atmosphère mélancolique et triste, traduisant le ressenti de notre petite créature pour qui on développe étrangement une forte empathie. Dès le début, on assiste au dépérissement de la forêt accompagné de… la mort du compagnon d’Ori. On sent l’inéluctabilité de l’arrivée d’un automne permanent, et les efforts d’Ori s’apparentent à une lutte inégale contre un monde résigné et foutu d’avance. C’est ainsi que même dans le cadre de ce jeu d’action, on ressent la naïveté accompagnée de pureté de ce mignon petit avatar.
- Juste superbe
Les voix qui racontent l’histoire le font dans une langue inconnue (qui ressemble étrangement à la façon de s’exprimer de Jabba the hut !), soulignant encore plus le côté éthéré et irréel du jeu, tout en le rendant intemporel et universel, comme un rêve qui devrait être beau et qui a tourné en cauchemar. Pas besoin de violence pour ça : le jeu peut être joué par tous, y compris par des enfants, car même si le sujet n’est pas très joyeux, la pureté de ce qui est véhiculé en fait quelque chose de beau. C’est l’illustration même que la simplicité, quand elle est pensée et bien mise en scène, peut accoucher d’émotions. Rien que pour ça, Ori and the Blind Forest mérite de faire partie de votre ludothèque.
Un jeu avant tout
Parfois, les jeux qui cherchent à faire passer des émotions oublient en route qu’ils sont, justement, des jeux. Ori n’est pas de ceux-là. Un peu comme pour l’histoire, il ne se distingue pas par une originalité fulgurante, loin de là. Le gameplay est celui d’un jeu de plateforme classique, dans de très grands niveaux dont les parties sont accessibles au gré des nouveaux pouvoirs gagnés par Ori. Ainsi, il gagnera en puissance d’attaque pour briser des barrières ou bien apprendra à grimper sur les parois verticales. Qui plus est, en gagnant de l’expérience, il deviendra de plus en plus puissant, ce qui ne sera pas du luxe. En effet, le jeu propose une bonne dose de « die and retry », d’autant plus importante que les points de sauvegarde ne sont pas fixes. C’est le joueur qui choisit quand il sauvegarde, mais cela demande de l’énergie, et il est donc impossible de le faire sans cesse. La volonté est donc grande d’aller encore un peu plus loin, juste pour voir avant de sauvegarder, au risque de mourir et de devoir recommencer. Les environnements sont variés, même si, bien sûr, on reste majoritairement en forêt. En tout, il faut compter environ 7 heures de jeu pour en voir le bout si on fonce en ligne droite.
Ce serait cependant se priver de l’exploration de niveaux recelant de nombreux objectifs secondaires. Le level design étant très bon, c’est naturellement que l’envie de tout visiter prend le dessus, allongeant largement la durée de vie du jeu. Rien de très nouveau, c’est vrai, mais tout ce qui est proposé est très bien fait. C’est un vrai plaisir de prendre le contrôle d’un avatar aussi maniable et de chercher à franchir les passages les plus retors.
Les artistes au pouvoir
Et puis il y a la réalisation du jeu. Que ceux qui pensent qu’un jeu ne peut être qualifié de beau qu’à partir du moment où il fait la part belle au photo-réalisme aillent jouer à The Order sur PS4. Il est techniquement génial, et en même temps visuellement sans grand intérêt. Dans Ori, le jeu est techniquement irréprochable, mais étant un titre en 2D, cela n’est pas en soi une prouesse. Et alors ? Qu’est-ce qui est beau ? Une prouesse technique ou bien une œuvre réalisée par des artistes ? Picasso ou van Gogh ne bossaient pas en 1080p, mais avec des pinceaux, des pastels ou un couteau. Tout ça pour dire que pour moi, Ori explose sans aucun effort les titres survitaminés pondus par des techniciens qui ne savent que décalquer une image de la réalité sans en faire transparaitre l’émotion. La réalisation technique est une performance qui fait appel à la maîtrise, alors que la réussite esthétique, elle, fait appel à la sensibilité, à la réflexion et surtout au talent. Des qualités bien plus rares à trouver.
Et Ori fait très, très fort. Je pense que c’est la plus grande réussite que j’ai vue depuis longtemps, réussissant à allier une très belle forme avec le fond. Ainsi, quelques minutes suffisent pour retranscrire l’état d’esprit de la petite créature (d’abord coloré et sain, puis affaibli), et dans le même temps l’environnement devient un personnage à part entière, souffrant de sa dégradation (l’évolution de la palette de couleurs donne l’impression d’une maladie qui le ronge), envahi par des parasites destructeurs (quelques premiers plans distillés de créatures griffues). Formellement, le résultat est un chef d’œuvre permanent qui renvoie à la simplicité apparente d’un Miyazaki. C’est une forêt qui est sous nos yeux, mais par le biais de mille détails c’est une illustration d’émotions sincères, et ce sans jamais trahir la dimension « jeu » du titre. L’animation n’est pas en reste, retranscrivant merveilleusement le côté félin d’Ori, mais aussi sachant s’adapter à la situation. Ainsi, quand Ori est moribond et qu’il se traine, on ressent sa faiblesse à l’écran, jusque dans la manette. Sans s’en rendre compte on pousse le stick plus fort, comme pour l’encourager à avancer. Histoire de trouver un point négatif à indiquer dans la conclusion du test, on peut juste mentionner quelques légers freezes de loin en loin. Enfin, la partie son n’est pas en reste. Si utiliser le piano est un classique pour souligner des émotions de tristesse, encore faut-il le faire avec talent, et c’est le cas ici. Quand on voit cet ensemble, on ne peut que s’incliner. Vous trouvez que j’en fais trop ? Que cette critique ressemble à une incitation à l’achat ? C’est vrai, je l’avoue. Peu de jeux sont faits par de véritables artistes en pleine possession de leurs moyens, et celui-ci en est un. Je voudrais que tout le monde l’achète pour montrer que les jeux vidéo peuvent réellement prétendre être un art à part entière.