Cher journal, je t’avoue qu’aujourd’hui je ne me sens pas vraiment bien. J’espère que les quelques lignes que je suis en train de te laisser vont me permettre d’y voir plus clair, car pour l’instant tout est flou ! J’ai l’impression de tomber dans un tourbillon de sentiments contradictoires, ballotant mon cœur dans tous les sens et réduisant mon corps à celui d’une poupée de chiffon. Je suis perdue. Perdue dans un test d’un jeu que je ne sais ni réellement aimer, ni réellement détester. Je me sens seule, incomprise et j’ai le désagréable sentiment que quoi que je fasse, quoi que je dise est irrémédiablement voué à l’échec. La seule qui puisse vraiment me comprendre est Max Caulfield. Tu la connais sans le savoir car elle a beaucoup de points communs avec moi. Lorsque je la regarde, je me retrouve devant un reflet de moi-même sur la surface lisse des eaux calmes d’un lac infini. Je vais te raconter comment je l’ai rencontrée et tu comprendras mon désarroi actuel et tu l’aimeras aussi. J’en suis sûre.
Le 7 octobre sur le campus de Blackwell
La vie est étrange. On aime penser qu’elle est étrange pour tout le monde mais elle l’est plus particulièrement pour Max Caulfield. Elle a 18 ans, rêve de devenir photographe et de perdre toute sa vie dans les selfies qu’elle prend continuellement avec son vieil appareil photo. Un polaroid. Les plus jeunes ne savent même pas que cela a existé. Il s’agit d’un appareil photo dont le cliché apparaît instantanément sur une carte après la prise. La pellicule est très chère et ne permet pas beaucoup de prises ce qui oblige de bien choisir son sujet et de ne pas mitrailler à tout va. Mais ça lui va. Car elle est comme ça.
Discrète, calme, posée, rêveuse et timide. Elle se laisse porter par le long fleuve de la vie qui s’écoule et le courant l’a déposée au campus de Blackwell. Un lycée privé, réservé aux terminales où Mark Jefferson, photographe trentenaire renommé dont Max admire le travail donne des cours. Cette arrivée au campus de Blackwell est une ironie du destin qui l’a fait revenir dans sa petite ville natale, Arcadia Bay, cinq ans après l’avoir quitté et peut-être recroiser la route de son amie « pour toujours » d’enfance, Chloé. Une meilleure amie qu’elle n’a pas recontacté depuis ces cinq années.
La vie est étrange et celle de Max à Blackwell l’est aussi avec une introduction pataude sous la forme d’un cauchemar énigmatique puis un réveil en cours de photographie où elle se trouve confronté à une population étudiante enfermée dans ses stéréotypes éculés. La faune locale est tout droit issue de l’imagerie des séries pour adolescentes : la fille de riche imbue d’elle même et odieuse, némésis de Max, la bigote coincée et dépressive, la pompom girl un peu bêtasse, le geek copain sympathique, le gosse de riche instable, violent et tout puissant, le prof beau gosse, plus âgé et érudit, etc, etc. Cette introduction à l’étrange vie de Max ne pose que des personnages superficiels auxquels on peut s’attacher facilement et on le fait avec plaisir et on s’attache sans retenue, doucement à son univers coloré, nostalgique et multi référentiel. Max n’est pas qu’une passionnée de photographie mais aussi une dessinatrice et une amoureuse du film de genre. Ses références sont multiples et variées, on se délecte de la voir citer aux détours de conversations des œuvres comme le Tetsuo de Shinya Tsukamoto, Faster Pussycat ! Kill ! Kill ! de Russ Mayer, Cannibal Holocaust de Deodato et bien d’autres. Le campus de Blackwell semble lui aussi baigner dans la référence, outre celle de The Faculty, celle de Twin Peaks saute aux yeux avertis de Max avec cette étudiante disparue que tout le monde semblait apprécier. Le destin ne fait pas que lentement tisser sa toile autour de Max de façon ténue, sporadique, il fait voler en éclat sa tranquillité en lui donnant un étrange pouvoir.
La vie est étrange quand le surnaturel y fait une irruption aussi soudaine qu’inattendue. Max l’apprend à ses dépens en assistant à une agression où un meurtre est commis. Prise par la panique, elle se retrouve propulsée dans le passé avec la possibilité de modifier le destin. Max apprend très rapidement –trop ?- à maitriser ce pouvoir et influencer le cours de sa vie en revenant sur des choix importants, trouvant des réponses à des questions posées par des camarades, évitant des accidents, ou en déjouant les obstacles. Sans être maitresse de son avenir, elle va pouvoir influencer son futur, lui faire prendre la direction qu’elle lui aura choisie. Dans ce début aucun choix n’entraine de véritables grosses conséquences et aucun ne pose réellement de gros cas de conscience ou être fait dans l’urgence d’une situation tendue. Le rythme de la vie de Max reste reposant, calme, tranquille, presque mélancolique jusqu’au dénouement de cette première partie qui intrigue plus à défaut de passionner réellement. Ces premiers pas dans la vie de Max trouveront un écho tout particulier auprès des jeunes filles sans tout autant délaisser les garçons.
La vie manette en main
Life is Strange reprend le chemin tracé par les jeux Telltale à savoir un jeu d’aventure à la troisième personne misant essentiellement sur sa narration et sur ses personnages. Max se dirige sans peine et les éléments intéractifs sont clairement indiqués et presque immanquables si l’on prend la peine de tout explorer.
Et on ne s’en privera pas, le rythme très lent du jeu, tranquille, serein invite le joueur à découvrir cet univers coloré et plutôt joli. Les couleurs vives et pastel donnent à l’ensemble un côté fantastique, éthéré qui colle très bien à l’ambiance. Life is Strange démontre encore une fois que la direction artistique est clairement le point fort des développeurs de Dontnod. L’ambiance musicale est à l’image de l’héroïne du jeu : sensible, effacée, charmante. Max est aussi musicienne et les quelques morceaux pop qui viennent ponctuer le jeu nous permettent de mieux la connaître, de mieux la comprendre, de s’attacher un peu plus à elle, tout simplement. Tous les personnages sont doublés en langue anglaise sous-titrés français. La qualité du doublage est bonne dans l’ensemble même si elle pâtie d’une synchronisation labiale totalement à côté de la plaque.
Si les mécaniques de base du jeu font maintenant partie de l’archétype des jeux d’aventure, Life is Strange s’appuie beaucoup sur la capacité de Max à remonter dans le temps. D’une simple pression maintenue sur la gâchette, on a la capacité de “rembobiner” nos actions du chapitre en cours. Ce retour en arrière permet à Max d’agir avec de nouveaux éléments du décor, lui offrir de nouvelles options de dialogue, ou de revenir sur un choix crucial du jeu clairement annoncé comme tel. Comme pour l’intégralité de ce premier épisode, cet élément du gameplay ne dépasse pas le stade de l’esquisse. Max annonçant clairement à haute voix et à chaque fois que cela est possible quand le joueur peut recourir de façon utile à son pouvoir. Il n’y a qu’une seule solution proposée et cela n’arrêtera jamais longtemps le joueur.
Comme pour son intrigue à peine posée, on attendra de découvrir les prochains épisodes pour voir si ce pouvoir proposera une utilisation pertinente et plus intéressante. Ce premier volet ne dépasse jamais son statut de simple introduction. Une introduction qui, même après l’avoir découverte, peut être revisitée à l’envie en changeant les choix de Max, à n’importe quel moment du jeu et très facilement, comme pour inviter le spectateur à faire autant d’essais qu’il le souhaite. On peut ainsi prendre trois chemins différents sur les trois sauvegardes disponibles et les modifier à l’envie. Une option qui risque fort d’être très utilisée au fur et à mesure que l’on découvrira l’impact de nos actions dans les épisodes à venir. Et l’attente risque d’être bien longue jusqu’à mars !