Parfois, être père n’est pas une sinécure. J’étais tranquillement assis sur mon fauteuil préféré en train de feuilleter un journal à haut contenu culturel, lorsque, tout d’un coup, sans crier gare, mes trois enfants ont déboulé dans le salon et se sont jetés sur le canapé pour y sauter avec allégresse. -“Papa ! Papa ! On peut jouer aux jeux vidéo ? Dis, on peut jouer aux jeux vidéo ?” J’ai dû perdre 3 dixièmes à l’oreille gauche -la droite étant déjà hors d’usage- dans cet acte terroriste et j’ai dû faire preuve d’un self-control hors du commun pour garder mon flegme légendaire. -“D’accord les enfants. On va jouer à Splinter Cell Blacklist !” -”Youpi ! On joue comment ?” -”C’est de l’infiltration, vous êtes Sam Fisher, vous avez trois secondes pour disparaître et je ne dois ni vous voir, ni vous entendre pendant toute la durée du jeu !” Manque de bol pour moi, Splinter Cell Blacklist peut aussi se jouer bourrin...
Il était une fois un Sam Fisher qui…
Splinter Cell est une série que l’on ne présente plus. Grâce à cette figure de rhétorique, je viens de vous faire l’économie d’une longue et fastueuse rétrospective de la série qui vous aurait présenté Splinter Cell en long, en large, et en travers. Je vous aurais parlé du premier épisode sorti en 2002 et qui était à l’origine présenté comme une exclu Xbox avant d’être décliné sur PC, PS2, Gamecube, Gameboy Advance et même N-Gage ! J’aurais pu vous dire que Splinter Cell proposait un jeu d’infiltration brut de décoffrage soutenu par un scénario et un univers directement issus de l’imagination du romancier spécialisé dans l’espionnage international, Tom Clancy. J’aurais sans doute poursuivi ma présentation en citant les autres épisodes à savoir un Pandora’s Tomorrow qui n’apportait qu’un excellent jeu en ligne en plus, le troisième opus Chaos Theory est toujours considéré comme le petit bijou de la série, une série qui commençait à s’essouffler avec Double Agent avant de virer au rebootage avec un Conviction qui n’avait plus rien à voir avec l’essence même de la série. J’aurais pu vu raconter tout cela. Mais je ne le ferai pas. Je tairai même l’imbécile débat qui visait à comparer Splinter Cell à Metal Gear Solid. Je me contenterai juste de vous présenter Splinter Cell Blacklist et de vous dire qu’il s’agit là de l’épisode de la conciliation entre les férus d’infiltration et les amoureux du rentre-dedans.
Blacklist joue frontalement la carte du spectacle hollywoodien et de sa démesure. Un groupe terroriste nommé les Ingénieurs attaque sauvagement une base militaire américaine. Un véritable carnage, dont sort heureusement indemne Sam Fisher qui passait ses vacances là bas. Tout le monde aurait pu tranquillement suivre paisiblement son chemin sauf que dans leur attaque les méchants ont sérieusement amoché un des copains de Sam Fisher. Et ça, c’est mal. Sam Fisher ne réfléchira pas à deux fois pour sortir de sa retraite lorsque la présidente des États-Unis lui demandera son aide pour mettre fin aux agissements de ces terroristes qui demandent pas moins que toutes les troupes américaines soient rapatriées chez elles. Inutile d’aller plus loin dans un scénario qui aurait pu être intéressant mais sombrant dans un Tom Clancy de caniveau qui ne nous épargne aucun archétype patriotique. Loin de partir seul, cette fois-ci, Sam Fisher aura avec lui une équipe de choc et tous les moyens des États-Unis.
Ma copine s’appelait Sam Fisher.
Splinter Cell Blacklist est à l’image de Sam Fisher, un soldat vieillissant, bodybuildé qui n’a plus rien à voir avec l’athlétique et longiligne ombre au visage de George Clooney des premiers épisodes. Ce n’est plus qu’une masse de muscles sans charisme, un monolythe aussi froid que le timbre de sa voix, toujours assurée dans sa version française par le doubleur de Schwarzenegger, Daniel Beretta. Blacklist peine à nous séduire tant la couche de glace qui lui fait office d’armure en kevlar est épaisse. L’immersion est pour ainsi dire nulle, plombée par des personnages caricaturaux au possible, un Sam Fisher qui a laissé son humanisme dans le dernier épisode et des dialogues faux et poussifs. L’équipe qui l’accompagne aurait pu servir de levier à un relationnel intéressant et salvateur afin d’épaissir le personnage, hélas ces relations se contentent de n’être que superficielles. Certainement conscient du manque de charisme de son nouveau Sam Fisher, Ubisoft a essayé d’humaniser l’homme de la pire des façons en instaurant un dialogue avec sa fille au téléphone entre chaque mission. Une sorte d’artefact inutile qui ne fera que souligner les carences du jeu. On se contentera d’aligner les missions de l’aventure principale et les secondaires tel un robot, subissant les évènements, de façon automatique, sans réel plaisir. Le jeu en soi n’est pas mauvais, il est juste terriblement froid et impersonnel.
Ces carences sont d’autant plus préjudiciables car un véritable effort pour donner du corps au personnage de Sam Fisher avait été apporté dans les épisodes précédents. La direction de Splinter Cell Conviction était très intéressante dans ce sens, même si on pouvait regretter la distance prise avec l’infiltration pure et dure, carte d’identité de la série. Blacklist propose un contenu généreux, le plus généreux de la série, en offrant au joueur bon nombre de missions secondaires, un équipement pléthorique (qui curieusement ne permet plus à Sam Fisher de crocheter des serrures) et le retour des excellents modes de jeu multijoueurs (Specs Vs Mercs -un régal- et les missions coopératives). Blacklist nous propose en sus d’aborder la plupart des missions de trois façons différentes : la discrète, sans morts et sans être vu, la “ninja” sans être vu mais trucidant allègrement si besoin est, et la rambo, on descend, on tue tout le monde à l’arme lourde, puis on repart. Cela aura le mérite de contenter tout le monde.
Même si ces missions renouent avec l’esprit de la série, proposant des chemins alternatifs, la possibilité de cacher les corps et d’avancer à pas de loup tout en plongeant les lieux traversés dans le noir afin de mieux surprendre l’adversaire, elles souffrent de grosses carences. Les premières touchent à l’immersion avec une mise en scène à la ramasse et des scripts paresseux. Le jeu a vraiment du mal à nous faire vivre des passages tendus et visuellement impressionnants, la faute aussi a une technique qui a quelques années de retard et qui nécessite, en plus sur Xbox, d’une installation obligatoire de 2,9 Go pour bénéficier des textures HD. Notre immersion dans le jeu sera toujours contrariée par de nombreux éléments comme les réactions systémiques des gardes qui ne surprendront plus personne tant elles sont prévisibles (Une ampoule cassée ? Normal. Un de nos copain allongé par terre ? Allons examiner le corps sans attendre ! Un gars qui nous interpelle via Kinect ? Allons jeter un coup d’oeil). Sam Fisher a beau voyager, les gardes et ses adversaires parleront tous anglais, une scorie que l’on croyait cantonnée à de l’Hollywood de bas étage ou d’un autre temps. Même la possibilité de cacher les corps, seulement dans des containers prévus à cet effet et non fermés, semble totalement ridicule lorsque un garde passe à côté sans déceler son collègue inanimé.