Certaines nuits de pleine lune, le cimetière des jeux vidéo est arpenté par d’indicibles ombres. Se glissant furtivement entre les tombes, elles hument l’air, une pelle entre les mains. Elles errent, elles cherchent, elles furètent, aux aguets de la moindre odeur de pourriture un peu plus forte que les autres, à l’affût d’un cadavre suffisamment appétissant pour être retiré de terre. Une fois celui-ci exhumé, ces ombres l’examinent au plus près. Elles le tâtent, le goûtent, le lèchent et essayent désespérément de connaître son existence de jadis. Elles choisissent ensuite par quels rituels ésotériques elles vont pouvoir lui redonner vie, l’adapter aux exigences actuelles et permettre à ceux qui l’ont jadis connu de l’aimer à nouveau. Ces ombres s’appellent Les Éditeurs et malheureusement de ces profanations occultes résultent autant d’échecs cuisants que de franches réussites. Vu l’apparence qui l’afflige, le cadavre de Sacred semble bien mal parti dans sa nouvelle vie.
C’est ça Sacred maintenant ?
Sacred était une série hack and slash respectée qui avait su, lors de ses deux seuls épisodes, proposer une alternative à l’ogre Diablo 2. Le premier opus sorti en 2004 avait conquis les joueurs avec un second degré sympathique, un moteur graphique solide et un système de combo et d’évolution bien pensé. Le second épisode de 2008 proposait un terrain de jeu immense, ouvert et monstrueusement riche. Il demeure encore à ce jour le hack and slash disposant du terrain de jeu le plus grand. Six ans plus tard, Sacred 3 balaye d’un revers de main toutes les qualités de ses deux aïeux. Si vous aviez apprécié la série pour ce qu’elle était, apprêtez-vous à en faire le deuil car Sacred 3 change totalement de braquet.
Sacred 3 s’apparente plus à un beat them all qu’à un hack and slash à la Diablo ou comme ses illustres prédécesseurs. Ici, on enchaîne les arènes et les vagues de monstres jusqu’à plus soif, on ne récolte que de l’or, des orbes de vie et des orbes d’énergie pour recharger nos pouvoirs spéciaux. Fini le loot à outrance, fini le monde ouvert gargantuesque, ses villages, villes, donjons et quêtes annexes, le voyage SNCF que nous offre Sacred 3 est calé sur ses rails et sans aucun wagon restaurant pour l’agrémenter.
Avant même de se retrouver groggy, manette en main, devant l’étendue des dégâts, le fan de la première heure se heurtera à l’austérité de la création de son personnage. Sacred 3 ne rompt pas vraiment avec la ligne directrice de la série proposant un design de ses personnages particu… euh… moche. A ce niveau-là, c’est bien le seul mot qui lui viendra à l’esprit devant le look original des 4 guerriers proposés (cinq avec celui du DLC bien loin des sept des épisodes précédents). On peut définir le look des personnages de Sacred 3 comme une sorte de mélange de super héros de comics typés années 90 avec un justaucorps bariolé et des visages aussi communs que stéréotypés avec une mention spéciale à l’archer avec sa crête, sa moustache et ses bacchantes. Cette charte se marie très mal avec l’univers heroic fantasy du jeu d’autant plus qu’il est impossible de les personnaliser ; vous avez bien lu, pas de choix de couleur de cheveux, de coiffure, de sexe ou de visage, tout est imposé. On aura juste le loisir de changer d’armes lorsqu’on les aura débloquées au fur et à mesure de notre avancée dans le jeu.
Cette première approche esthétique est d’autant plus regrettable car par la suite on évolue dans des décors plutôt jolis, variés, dotés d’une palette de couleur chaude bien agréable. Le bestiaire, lui, est satisfaisant et doté d’un design bien loin de la médiocrité de celui des personnages principaux. Pour en finir avec le côté technique, on ne pourra pas passer sous silence l’environnement sonore du jeu. Les effets accompagnant les combats manquent cruellement de pèche et de dynamisme, et la musique, quant à elle, est très discrète. Le seul point d’originalité semble venir d’une prise de conscience à posteriori d’une ligne du cahier des charges que les développeurs avaient complètement oubliée jusqu’alors : l’humour de la série. Alors que cet humour était finement distillé au gré des quêtes annexes dans les opus précédents, Sacred 3, dépourvu de celles-ci, doit supporter tout le long de son déroulement les remarques et les interventions des différents protagonistes et ce même en plein combat. Cela pouvait être une idée sympathique et même une franche réussite si l’humour était maîtrisé -ce qui n’est pas le cas- et si le jeu osait vraiment s’engager totalement dans celui-ci. Hélas, la plupart des calembours tombent à l’eau et aucune situation comique en jeu n’est proposée, renforçant la sensation d’un humour rajouté après coup et le côté pathétique de ces interventions. Seules quelques unes d’entre elles arriveront à nous arracher un maigre sourire.
Mais tout n’est pas perdu !
Après cette mise en bouche amère, vous vous demandez encore ce qui pourrait sauver Sacred 3 de votre indifférence. Et bien si vous êtes un joueur solitaire, je peux vous dire que rien ne pourra le sortir de la masse et qu’il vaudra mieux l’oublier. Mais Sacred 3, heureusement pour lui, joue à fond la carte du multijoueur coopératif et là, cela change (presque) tout ! Sacred 3 révèle tout son maigre potentiel à deux derrière son écran ou à quatre en ligne. On peut joindre sans problème des parties à la volée ou voir arriver en cours de niveau l’aide appréciable d’autres joueurs.
Les compétences que l’on débloque au fur et à mesure de notre avancée modifient petit à petit le look de notre personnage. Outre la possibilité de le rendre plus puissant, elles lui permettent aussi d’améliorer sa capacité à combattre en groupe. L’une d’entre elles, par exemple, renforce votre capacité à faire revivre vos coéquipiers. Chaque personnage dispose en sus d’une jauge « prière de combat » qui permet, une fois pleine et activée, de bénéficier de bonus commun si l’on reste suffisamment proche les uns des autres. Ces prières, si elles sont conjointement activées, facilitent grandement la vie contre les boss. Chaque joueur doit aussi choisir avant chaque combat un Esprit d’armes qui lui inflige un léger malus en contrepartie d’un gain significatif pour ses compagnons d’armes.
Le gameplay est lui aussi essentiellement pensé pour le multi. La faune locale étant particulièrement agressive, il sera sans cesse nécessaire au groupe de se liguer contre un adversaire plus coriace ou mettre ses talents en commun afin de briser le bouclier de telle créature, interrompre le sort d’un sorcier ou briser un piège afin de permettre à ses camarades de trancher le gras en toute sérénité. On peut même, par moments, paralyser un boss ou un gros adversaire pendant un certain temps afin de permettre à ses collègues de frapper en toute tranquillité. Sans être exceptionnel il s’avère être tout à fait convenable et plaisant lors de sessions entre amis et bien accompagné.