Seamus Blackley : portrait du créateur de la Xbox, jazzman et physicien

«L’histoire d’une console» , - 5 réaction(s)

Jonathan « Seamus » Blackley, figure emblématique de l’industrie du jeu vidéo, a connu un parcours jalonné de succès comme de tâtonnements. Passionné par les sciences physiques, l’aviation aussi bien que par les loisirs numériques, son amour d’adolescence, féru de création de gadgets en tout genre, ce personnage, frondeur et rebelle aura marqué l’industrie en co-créant la première console de jeux estampillée Microsoft, contre vents et marées, dans le but ultime d’élever le jeu vidéo au rang d’art. La Xbox, ambitieux projet d’une vie, devait donner aux développeurs l’outil artistique permettant la production d’œuvres d’art. Le vingtième anniversaire du lancement de la première Xbox cette année est l’occasion idéale de revenir sur la vie et le travail de Seamus Blackley.

20 ans Xbox - Cette année 2021 marque les 20 ans de Xbox et les 15 ans de Xboxygen ! Nous consacrons le mois de novembre à la célébration des 20 ans de la marque au travers une série d’article publiés en exclusivité pour Xboxygen.

PARTIE 1 : LES ANNÉES DE JEUNESSE

L’art des roquettes au mercure

Né au Nouveau-Mexique en 1968 d’un père radiologue, sa famille doit déménager de ville en ville du fait que Fred Blackley cherche de meilleures opportunités de travail, mais également parce qu’il dénonce la corruption au sein des services de rayons X des hôpitaux. La famille Blackley vit ainsi dans des environnements aussi variés que Casper, Las Vegas, Phoenix ou encore Long Beach. C’est à Albuquerque que son père révèle le vol de résidus chimiques d’argent au sein de l’hôpital. Après une période difficile pour la famille (Fred Blackley reçoit de multiples menaces de mort), il finit par gagner et est nommé directeur du département. Seamus tenait alors son père en très haute estime, le considérait même comme un véritable héros, du fait de cet événement.

La famille s’installe donc à Albuquerque, où Jonathan réussit brillamment un test d’entrée à l’académie pour ensuite enchaîner les résultats médiocres. Peu scolaire dans ses premières années, mais véritablement créatif et passionné d’électronique, il fabrique un temps des bombes au mercure que sa mère, Alice, lui demande innocemment de laisser dans le garage, ne sachant pas vraiment de quels explosifs il s’agit. Ses amis et lui s’amusent à placer lesdites bombes sur le fuselage de petites roquettes qu’ils lançaient sur les panneaux publicitaires d’Albuquerque en parcourant la ville dans sa Jeep, ce qui résulte en la formation d’énormes trous dans ces panneaux.

La découverte des joies de l’informatique

Seamus est pourtant réellement brillant, et adore se lancer dans des projets de toutes sortes, qu’ils soient d’ordre artistique, musical ou informatique. De son propre aveu, il vit alors malgré tout un début d’adolescence où « il se fout en l’air ». Il éprouve des difficultés à rentrer dans un cadre scolaire mais en découvrant l’informatique à 10 ans, justement à l’école, il se découvre une nouvelle passion. Avec ses amis, il s’amuse à créer des jeux vidéo dans le genre de « Marble Madness », ou encore de l’animation. A l’époque, les jeux d’arcade sont communs mais se cantonnent aux salles dédiées. Si l’on désire jouer chez soi, il faut carrément créer ses jeux !

La quatrième chambre de la maison des Blackley fait donc office de salle d’informatique, où le jeune garçon peut exercer ses talents. Il a alors en adoration ROBOTRON 2084 lorsqu’il est au lycée (1982). Le jeu se joue à l’aide de deux joysticks, et il s’agit de sauver la dernière famille humaine peuplant la planète en réduisant à l’état de cendres tout sur son passage. ROBOTRON 2084 est un jeu si difficile qu’il est impossible de gagner.

Au lycée, il n’obtient pas vraiment de bons résultats et préfère se consacrer à la lecture de livres d’électronique. Il passe un temps considérable au magasin Radio Shack local (dédié au matériel électronique) et se prend au jeu de la construction de divers gadgets. C’est précisément à cette époque que son professeur de physique lui fait une très forte impression. Le professeur Bill Kleybocher sait en effet rendre la physique amusante, en mettant en scène diverses explosions durant ses cours. Ils dînent même ensemble à une occasion : Bill Kleybocher, au même titre que Fred Blackley, est l’un des héros de la vie de Seamus.

Du jazz et de la physique quantique

Il est par la suite admis à l’université près de Boston, où il s’ennuie ferme (décidément) et se consacre à jouer dans un quartet de jazz dans les hôtels. Le jazz lui permettra de surmonter sa peur de s’exprimer en public. Il rencontre alors une demoiselle … De retour au Nouveau Mexique le temps d’un job d’été, il devient l’apprenti du physicien E. Fukushima et finit par devenir un élève appliqué : il publie un article dans le journal de la résonance magnétique, une technologie qui améliore les rayons X dédiés à la connaissance du corps humain.

Fort de ce changement, il rentre à Boston où il suit des cours de physique médicale dont il sort diplômé deux ans plus tard. Il est réellement doué pour les sciences physiques et rejoint le « Fermi National Accelerator Laboratory » où il étudie la physique des particules et les kaons. Il abandonne dès lors la musique et profite de ces années pour passer son brevet de pilote. Il se souvient assez douloureusement de cette époque, ne dégageant que 11 000 $ par an avant impôts. Cette précarité le hanta pendant des années, et il se remémore souvent le fait qu’il n’avait même pas de quoi s’acheter une canette de soda quand il le souhaitait pendant ses années d’université…

Au laboratoire Fermi, les choses se gâtent, puisque son conseiller entre en conflit avec les instances gouvernementales qui ont financé le nouvel équipement permettant de découvrir le « Top Quark », une particule subatomique. Blackley et son équipe découvrent ladite particule sans l’aide de ce nouvel équipement. Bien évidemment le gouvernement américain n’apprécie pas la démarche et le conseiller de Seamus est mis à l’écart. Seamus cesse alors de travailler d’arrache-pied comme auparavant et en 1993 le Congrès américain tue dans l’œuf le projet d’un accélérateur à particules sur lequel Seamus désire travailler. Dégoûté, il abandonne sa carrière et décide de se consacrer à la création d’avions acrobatiques ; c’est à ce moment précis que l’industrie du jeu vidéo revient dans sa vie.

PARTIE 2 : PHYSIQUE ET JEU VIDÉO

De l’autre côté du miroir

De retour à Boston auprès de sa compagne, il trouve du travail en 1992 chez Looking Glass Studios à l’âge de 24 ans et se spécialise dans les comportements physiques dans le jeu vidéo, afin de donner la physique la plus réaliste possible aux véhicules, par exemple… Ned Lerner, créateur de Looking Glass Studios (et développeur du jeu à succès Chuck Yeager Combat Flight Simulator) a alors besoin des connaissances de Blackley concernant la physique des voitures dans un jeu de course automobile. Seamus réalise alors à quel point développer sur la physique dans un jeu vidéo est « cool » : « Je pouvais faire des démos sur la façon dont des billes devaient chuter ». Il se passionne pour les comportements physiques virtuels autant qu’il s’est passionné pour la physique des particules. Dès les années Looking Glass, l’idée est d’élever le jeu vidéo au rang d’art. Les développeurs du studio envisagent de créer une « littérature du jeu vidéo ». Blackley participera notamment au développement des caractéristiques physiques du célèbre System Shock.

Afin de développer la simulation de vol ultime, on le laisse diriger sa propre équipe sur Flight Unlimited. Il y conçoit des dynamiques de vol ultra-réalistes dépendant de divers facteurs physiques (poids de l’avion, résistance du vent…). La première version du jeu se vend à près de 800 000 exemplaires (véritable succès pour un jeu de niche). Les retours de pilotes d’avion s’étant adonnés au jeu sont excellents et il tire une véritable fierté de ce succès, prétendant même « répandre une nouvelle prise en main des problèmes physiques dans les jeux vidéo au sein de la communauté des développeurs ». Studio véritablement élitiste (composé de membres du M.I.T.), Looking Glass voit d’un mauvais œil que Seamus souhaite attirer les joueurs mainstream. Il apprend le management sur Flight Unlimited, ce qui se résume presque à parler travail autour d’un repas dans un restaurant gastronomique. On lui reproche un certain manque d’organisation. A cette époque il satisfait l’appétit de sa curiosité intellectuelle en visionnant des cascades d’avions acrobatiques et passe des heures à bichonner sa BMW 2002.

Se disputant sans cesse avec la nouvelle direction de Looking Glass, en particulier sur la création d’un jeu de combat aérien (alors que le studio envisage surtout une suite à Flight Unlimited), il finit par se faire licencier par ce nouveau management mis en place par des fonds d’investissement qui souhaite une gestion beaucoup plus professionnelle.

Des dinosaures en open-world

Le studio d’animation Dreamworks est entré dans l’industrie du jeu vidéo par accident, comme beaucoup de développeurs. Après avoir intégré leurs équipes, Seamus, très doué pour mettre les gens à leur aise, expliquera qu’il s’entendait très bien avec Steven Spielberg. Ils feront même une course de voiturettes électriques de parcours de golf dans les studios Universal avec Jeff Goldblum. Passant pas loin d’un tramway de touristes, aucun d’entre eux ne remarquera Spielberg sur un caddie de golf, s’adonnant à une course effrénée avec le célèbre acteur et ce développeur de jeux. Car la vie de Blackley est jalonnée d’anecdotes de ce type, notre créateur étant toujours enclin à l’humour potache ou aux projets les plus délirants afin de détendre l’atmosphère. Il est embauché en premier lieu afin de faire de la recherche technologique sur le jeu vidéo au sein de Dreamworks Interactive.

C’est en 1995 qu’il se lance dans un projet hyper ambitieux pour l’époque, relatif à la franchise Jurassic Park. Il a tous les éléments en main (les fonds de Dreamworks, une grosse licence et un scénario s’adaptant parfaitement au jeu vidéo) afin de concrétiser un jeu qui se veut aussi réaliste que le film, et ce, en open-world et sans script pré-déterminé : l’intelligence artificielle aurait un comportement indépendant des personnages non-joueurs et l’univers serait doté d’un monde physique rêvé des geeks. Le projet Jurassic Park Trespasser (soit un monde ouvert de 15 kilomètres carrés en 3D peuplé de dinosaures) commence alors à prendre forme mais Blackley tente d’être créatif sur trop de fronts. Au-delà de la gestion de l’équipe, il souhaite créer le moteur 3D de A à Z, ce qui relève de l’impossible tant il était délicat d’implémenter des règles physiques dans du code qui permet d’afficher la partie graphique. Les budgets augmentant avec les retards de développement, Seamus ressent toujours plus de pression autour du jeu qui incarne presque à lui seul le futur de la division gaming de Dreamworks. Passant trop de temps à créer le moteur physique du jeu alors que ses collègues doivent avancer sans ledit moteur, le projet vire quasiment à l’échec annoncé dès lors que Blackley finit par rendre un moteur bogué.

Pire encore, le retour des joueurs est catastrophique : ils y trouvent nombre de défauts et ne s’amusent pas en tirant au fusil sur des dinosaures… On reproche au jeu d’offrir trop de liberté également sur cette île où l’on recherche un peu d’action. Le jeu se destine à de vieux PC et ne profite finalement même pas d’une 3D dernier cri. Les collègues de Blackley le pointent alors du doigt, d’autant qu’ils l’avaient prévenu que le jeu ne fonctionnerait pas. Cet échec meurtrira Seamus à tel point qu’il n’aura dès lors qu’un seul désir : celui de prendre sa revanche, celui de montrer de quoi il est capable pour l’industrie. Ce sera le moteur de son ambition durant les années qui suivront. Il quitte alors Dreamworks pour Microsoft sans omettre de placer sa Ferrari 348 Spyder dans le camion de déménagement pour Seattle.

PARTIE 3 : LES ANNÉES XBOX

Microsoft connaissait une fin de millénaire assez compliquée médiatiquement du fait des procès anti-trust qui se déroulaient en la défaveur de la firme de Redmond. La plupart des cadres étaient « cuisinés » par le gouvernement américain, dont l’avocat détruisait la crédibilité des témoignages. Dans ce cadre médiatique sulfureux, la société avait besoin d’un nouveau projet lui permettant de redorer son blason. Seamus Blackley, initialement embauché pour travailler sur DirectX, va être en partie porteur de ce projet. Le 2 mars 1999, Sony, plus grand fabricant de matériel électronique au monde, annonce la PlayStation 2 à la Games Developers’ Conference. Seamus Blackley y assiste à une démo de la console, se réjouissant de l’importance que prenaient les moteurs physiques dans l’industrie du jeu vidéo. Il a alors déjà commencé à travailler sur le projet Xbox.

Les pionniers du Projet Midway

Au sein de Microsoft, si l’on souhaite faire aboutir un projet, il ne faut pas hésiter à prendre des risques et à se rebeller contre l’ordre établi. Il n’y a rien de tel pour soumettre de nouvelles idées. La firme de Redmond est cependant spécialisée dans le software et l’édition de logiciels, et convaincre du bien-fondé de la conception et de la fabrication d’une machine dédiée au jeu vidéo était loin d’être évident, tant et si bien que Seamus se sent esseulé, en tant que créatif. Il n’est pourtant pas le premier à avoir pensé à conceptualiser une console de salon : Otto Berkes, expert graphique qui dirige une partie des équipes de DirectX, a en haute estime les compétences techniques de Seamus Blackley et l’intègre à ses équipes, jusqu’à ce que les deux hommes sympathisent. Il pense très sérieusement développer une version de Windows spécialisée dans le divertissement. Ted Hase, autre pionnier du projet, est l’employé qui oeuvre à établir le contact entre Microsoft et les développeurs de logiciels ; son principal objectif est de les convertir à Windows. Il voit alors en la PS2 une menace pour le jeu PC, tant la première PlayStation vampirise une partie de plus en plus importante des studios de développement au détriment du PC.

Quatrième rebelle, mais non des moindres, Kevin Bachus ne quittera pas Blackley pendant deux ans ; sa compagne Chanel Summers dira d’eux qu’ils ne faisaient parfois qu’une seule et même personne. Dévoué à la cause du jeu sous Windows, il rejoint Microsoft en juin 1997 et y travaille sur DirectX, mu également par le désir de voir le géant de Redmond devenir fabricant de console de jeu. Ce seront Blackley et Bachus qui choisiront le nom du projet : « Midway », soit à « mi-chemin » entre PC (il fallait convaincre les pontes de la firme) et console de jeu mais aussi en référence à la victoire américaine sur le Japon durant la seconde Guerre Mondiale. Il s’agit en effet pour Microsoft de partir à l’assaut de compagnies japonaises… L’équipe se soude de plus en plus au fil des journées de travail et des réunions, et finit par faire accepter l’idée du projet aux employés de la firme de Redmond, recevant même les encouragements des plus anciens. Leur enthousiasme leur rappelle alors l’époque durant laquelle il suffisait d’avoir de bonnes idées pour lancer un projet, sans passer par une lourde hiérarchie. Un projet concurrent, Web TV, sorte de boîtier permettant d’accéder à internet sur son téléviseur avait été acquis par Microsoft, et l’on pensait à terme y faire tourner quelques jeux, dans une convergence qui était chère à Bill Gates à l’époque. Le projet Xbox est tout autre. Blackley s’époumonait à expliquer au tout-venant que « la convergence c’est de la merde » et qu’il faut pour se lancer sur le marché une véritable console uniquement dédiée au jeu. C’est Gates lui-même qui devra trancher le 5 mai 1999 au cours d’une réunion qui verra s’affronter les deux projets. La Xbox et son disque dur prennent un avantage définitif à ce moment-là : Bill Gates affirmera par la suite que ce qu’il faut, « c’est donner le pouvoir aux artistes avec un outil qui les inspire, pour les transcender », rejoignant exactement la vision de Seamus Blackley… Seulement, beaucoup de temps a été perdu dans cette lutte interne, ce qui exaspère Blackley, alarmé par le fait que Nintendo et Sony y gagneraient encore du terrain.

De l’importance des développeurs

En tant qu’ancien développeur de jeux, Seamus Blackley est d’une importance capitale pour le projet, puisque son réseau, sa notoriété et son expertise sont essentiels. Il n’a de cesse de consulter les développeurs afin de connaître avec exactitude leurs besoins, et donc quelle console leur conviendrait le mieux. Tim Sweeney d’Epic Games et Lorne Lanning d’Oddworld Inhabitants n’auront de cesse de plébisciter Blackley, qui doit prendre en compte que Microsoft – le Grand Satan de l’époque - n’était pas la société favorite des joueurs et des développeurs (loin de là). Il parvient à établir un lien de confiance indispensable entre les artistes et le futur constructeur/éditeur. Au fil du temps et de quelques défections dans l’équipe originelle, Seamus Blackley est propulsé comme porte-étendard du projet auprès du public, quand bien même Jay Allard, son nouveau patron direct, doit le recadrer régulièrement. Il embauche donc 50 techniciens émérites afin de les faire travailler d’arrache-pied sur des démos techniques qu’il mettait en avant auprès de la presse, des développeurs et éditeurs tiers. Ses méthodes de travail rendent ses collaborateurs complètement dingues, car il lui arrive fréquemment de changer ses dates de voyage, par exemple. Fonctionnant comme une petite start-up, l’équipe Xbox ne ménage pas sa peine, Blackley en tête. Il se donne en effet à fond sur le projet, sacrifiant quasiment sa vie conjugale. Il finira d’ailleurs par se séparer de sa compagne. Peu adepte du design général des produits Microsoft, qu’il juge trop austère, il est ravi du travail d’Horace Luke sur le boîtier de la console. « Microsoft se fichait bien de la classe, il voulait juste la console la moins chère possible, et tant pis pour le design ! Mais pour moi, le look l’emporte sur le prix ! » s’était-il alors inquiété.

Son credo sur les trois spécialités que devait avoir la Xbox, soit « les jeux, les jeux, les jeux », commence à faire écho au sein de la multinationale comme chez les développeurs. Très charismatique, il met en avant les démos sur les prototypes systématiquement lors des divers salons. Son nouveau job de « demo guy » convainc également Gates, qui déclare que Seamus Blackley « ne pouvait pas trouver meilleur travail ». La multinationale prend sans doute à cet instant le plus gros risque de son existence, ce qui place un poids gigantesque sur les épaules de Blackley... qui pense même quitter le navire au moment où les rumeurs d’abandon d’une carte graphique Nvidia dédiée à la console pour une carte graphique concurrente se font plus importantes et crédibles. Il obtiendra encore gain de cause auprès de la multinationale et saura « imposer » ses choix en les expliquant auprès des dirigeants.

L’homme qui réussit à rendre Microsoft cool

Rendre la multinationale aussi cool et accessible que les autres acteurs du milieu est loin d’être une mince affaire, mais Blackley y parvient parfois accidentellement, de par ses excès relayés par la presse. Ainsi, le Wall Street Journal publie un article sur l’une des beuveries de l’équipe Xbox après une Games Developers’ Conference, qui se lance le défi d’occuper à 24 personnes un ascenseur après un restaurant copieux. Bien évidemment l’ascenseur lâche prise et ils dégringolent sur 4 étages, devant escalader le plancher afin de s’en extirper. Robbie Bach, vice-président à l’époque, manque de s’étouffer en découvrant l’article. Ses phrases choc également (« le jeu vidéo c’est comme la masturbation : tout le monde le fait mais personne ne l’admet » - nous sommes à la fin du siècle précédent, rappelons-le, quand le média jeu vidéo était beaucoup moins répandu et accepté qu’aujourd’hui, même s’il y a encore beaucoup de changements à opérer dans les mentalités) font souvent mouche. Toujours dans sa quête d’attirer les développeurs à travailler sur le support Xbox, Blackley accumule les miles, picole de l’absinthe avec Peter Molyneux (Fable, Black and White) à Londres avant de tenter d’y voler un camion poubelle avec ce dernier pour finir par se faire poursuivre dans les rues par un éboueur, étreint Itagaki Tomonobu (Ninja Gaiden, Dead or Alive) dans ses bras à Tokyo pour finalement le convaincre de rendre ses jeux exclusifs à la Xbox. Toujours dans l’impulsion, son côté bon vivant charismatique systématiquement mis en avant a réellement permis de modifier la donne sur le plan de l’image de marque de la multinationale, jusque-là considérée comme tournée vers les logiciels de productivité ultra sérieux avant tout. Jay Allard avait bien compris que le management traditionnel ne ferait pas long feu dans le cadre d’une culture de développement de jeux. Seul souci, Blackley est parfois imprévisible. Kevin Bachus disait de lui qu’il est un bâton de dynamite ambulant, efficace pour forcer le passage, mais qui n’avait tout de même rien de rassurant…

Plus important, l’ambition de l’équipe d’origine d’offrir une machine de rêve réellement adaptée aux développeurs, une Ferrari capable d’élever le jeu vidéo au rang d’art devient carrément un argument marketing au fil des années. Cette notion artistique, assez floue en occident, n’est alors pas du tout un complexe au Japon ou en Corée. Nintendo, Sega et Sony n’ont aucun besoin de démontrer le potentiel artistique des loisirs numériques sur leur territoire. Mais Microsoft ambitionne de changer les mentalités occidentales à travers la création de la Xbox. Ni plus, ni moins…

2001 : La dernière ligne droite

Lors de la GDC de mars 2001 à San José, Seamus Blackley devient l’attraction numéro 1. La PS2 se vend moins bien qu’escompté et la sortie de la Xbox à l’automne focalise toutes les attentions, car elle propose une configuration de rêve et de 15 à 20 jeux au lancement. A ce moment-là, déjà 2500 kits de développement ont été fournis à 165 studios, mais aucun nouveau jeu n’est malheureusement présenté à la presse. Pour Blackley, il y a trois étapes dans tout grand projet : une idée folle, des heures de travail, et une exécution implacable. Après l’E3 2001, le doute s’installe dans les esprits quant à cette « exécution implacable », puisque ce sont Nintendo et sa Gamecube qui seront sous les feux des projecteurs. Blackley, porté par Robbie Bach comme producteur du projet, doit gérer deux crises par ailleurs : celle du bogue des puces Nvidia, qui fait prendre du retard à la fabrication, et surtout les attentats du 11 septembre 2001, qui bien évidemment changent la donne.

Les développeurs hésiteront pendant quelque temps à prendre l’avion pour leurs déplacements. Qu’à cela ne tienne, Blackley se rend sur place pour les voir. En cette période de choc post 11 septembre, médiatiser un événement lié au divertissement n’est pas une mince affaire, et Nintendo en subit les conséquences, tant le lancement de la GameCube au Japon se fait dans l’indifférence quasi générale le 14 septembre. Blackley, en croisade pour convaincre du potentiel de la Xbox, est envoyé vers des magazines tels que Times ou Newsweek. La plupart des jeux sont bien accueillis par la presse, en particulier Halo, qui récolte un 10/10 dans Edge (le magazine spécialisé britannique, qui jusqu’alors n’avait porté que Zelda Ocarina of Time à un tel niveau de perfection). Seamus Blackley est par ailleurs en pleine forme, puisque sa vie de couple est au beau fixe (sa nouvelle compagne est également fan de Robotron 2084) et rayonne de bonheur dans les médias. Les procès anti-trust se sont finalement soldés par un accord entre Microsoft et le gouvernement américain.

Tout semble concorder à ce que le lancement du 14 novembre soit finalement réussi malgré une année plus que mouvementée et le départ de Kevin Bachus. Bill Gates en personne organise la demande en mariage de Seamus Blackley lors de la soirée de lancement à Times Square, en lui remettant une bague de fiançailles. On imagine l’euphorie du moment.

Impulsif, rebelle et passionné, Seamus Blackley sera-t-il parvenu en créant la Xbox à imposer sa vision artistique ? A créer pinceau, couleurs et toile pour les développeurs ? De son aveu, la Xbox fut un échec à ce niveau-là. Il expliquait lors d’une interview en 2007 que la qualité artistique de la plupart des jeux vidéo était moindre après la Xbox qu’avant la sortie de cette dernière. Le boom du jeu vidéo indé n’avait pas encore eu lieu. Ce dernier donna un souffle et un élan artistique nouveau au média, prenant à contre-pied le projet initial de la Xbox (Ferrari des consoles) quelque 10 années plus tard, jusqu’à entrer en crise. La puissance ne fait pas tout en matière de jeux vidéo. Au cours de ses années chez Microsoft, Blackley, sans cesse au contact des développeurs, regrettait de plus en plus la création de jeux, le développement en lui-même. Son ami Warren Spector lui demandait régulièrement à quel moment il se remettrait à la création. Il conçoit donc en 2002 avec Kevin Bachus Capital Entertainment Group, une société qui visait à créer de nouveaux modèles de financement pour les studios et les créatifs, loin du système d’édition classique, plus proche du fonctionnement hollywoodien.

Sources :

  • Dean Takahashi : ’’opening the Xbox’’
  • Warren Spector lecture n.9 (Gamedevthings)
  • The new arcade - Seamus Blackley (DICE 2012 Keynote)

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5 reactions

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onspeed

11 fév 2017 @ 10:50

Je ne le connaissais pas. Article très intéressant, vivement la suite !

GigaTRIPELX

12 fév 2017 @ 01:24

Génius men !

ludofast

13 fév 2017 @ 13:21

Très intéressant. J’attends également la suite. Le CV parait déjà impressionnant voir exagéré pour travailler sur une console de jeu. Merci.

TheBitMapBrother

13 fév 2017 @ 13:35

Merci pour cette première partie très intéressante. Ça montre qu’une personne qui peut être en décrochage scolaire peut exprimer ses capacités et retrouver la voie des diplômes. Blackley semble tout droit sorti d’une série américaine des années 80, quand on était des jeunes ados. Le message était bien plus positif qu’aujourd’hui.

jmabate

25 fév 2017 @ 19:40

vraiment un drôle de parcours...assez impressionnant même ! peut on encore aujourd’hui avoir ce genre d’expérience ?

vous ne mentionnez pas les chèques de MS au prêt des studios pour avoir l’exclusivité ? je veux bien croire que Mr Blackley était apprécié mais de la à le suivre les yeux fermés.

ensuite concernant la firme de redmond, je pense que c’est typiquement américain de faire toujours plus...preuve en est encore avec la scorpio et les adjectifs utilisé pour la promouvoir !