Vous n’êtes pas sans savoir que le développement de I Am Alive, jeu AAA à l’origine qui finit sur le XBLA, a été très mouvementé. Nous avons enfin l’occasion de savoir ce qui s’est réellement passé suite au témoignage d’un membre de l’équipe de développement de Darkworks.
Nous voici partis pour une bien triste histoire.
Tout commença alors que le studio français Darkworks était en très bonne relation avec Ubisoft. Les deux compagnies étaient à proximité l’une de l’autre dans Paris et avaient collaboré sur le survival horror Cold Fear, sorti en 2005, qui, malgré quelques critiques, fut considéré comme un succès. Quelques mois après la sortie de Cold Fear, Darkworks planifiait déjà son prochain projet, un jeu dans lequel le directeur général du studio, Guillaume Gouraud, avait placé beaucoup d’espoirs. D’abord, il a été décidé de partir sur un jeu d’horreur post-apocalyptique. Cependant, la pré-production, du projet connu sous le nom d’Alive, a été laborieuse. L’équipe est passée par plusieurs variations du concept original : un survival avec des zombies, un jeu d’action basé sur le jeu d’équipe avec la possibilité d’utiliser des montagnes russes, un jeu semi-infiltration jouable en solo (toujours avec des montagnes russes).
Darkworks a eu beaucoup de mal à vendre le projet à Ubisoft. Ils ont essayé à plusieurs reprises avec quatre versions de démo différentes et ont échoué jusqu’à 2007 où ils ont enfin réussi à convaincre avec le concept de survival-adventure post-apocalyptique, toujours avec des montagnes russes dedans.
Les bonnes relations entre Darkworks et Ubisoft ont fait que le jeu, qui aurait dû être annulé après les échecs des deux premiers prototypes proposés, a eu droit à plus de clémence que nécessaire. Le concept avait plu à Serge Hascoët, l’un des chefs d’Ubisoft, qui croyait que ce jeu pouvait rejoindre Assassin’s Creed et Splinter Cell dans le haut du panier de l’éditeur. Il a dû se battre pour que le projet ait lieu.
En investissant dans ce projet, Ubisoft voulait être sûr que Darkworks reste sur la bonne voie. Pour Hascoët cela signifiait assigner des employés de chez Ubisoft à travailler avec Darkworks, chez Darkworks. Cette approche a fini par créer un climat de travail très stressant pour les employés de Darkworks. Alors qu’Ubisoft pensait que cela mènerait à une meilleure collaboration (meilleur contrôle, plutôt), pour Darkworks cela a été perçu comme la preuve qu’Ubisoft ne voulait pas les laisser créer comme ils l’entendaient.
En peu de temps la relation amicale s’est envenimée. Ubisoft ne faisait plus confiance à Darkworks qui ne faisait plus confiance à Ubisoft. On avait l’impression que pour chaque employé de Darkworks il y avait un employé d’Ubisoft pour surveiller, tout le temps à regarder par-dessus l’épaule. La situation devenait exagérée, il y avait pas moins de deux creative directors, deux lead game designers, trois lead level designers, deux audio directors et trois producteurs, tout ça au même temps, qui travaillaient sur le projet.
Des rumeurs sont apparues sur internet, indiquant que la célèbre Jade Raymond, qui a supervisé le développement des deux premiers Assassin’s Creed, avait été assignée pour superviser le projet. Cependant Ubisoft avait démenti, mais on sait qu’elle a tout de même joué un rôle, ne serait-ce que minime, puisqu’elle a visité Darkworks pour vérifier le projet et enseigner à l’équipe une meilleure méthodologie de développement. Cela n’a pas marché, tout comme les nombreuses vérifications des producteurs d’Ubisoft. Les membres de l’équipe se sentaient, au contraire, non respectés et patronnés sans arrêt.
L’équipe était usée et cela a commencé à affecter leur productivité. Plus d’une fois des membres de l’équipe de développement ont subi des dépressions nerveuses, des disputes éclataient souvent lors des réunions et il n’était pas surprenant de voir des employés partir sur le champ. L’équipe faisait beaucoup d’heures supplémentaires, comme souvent dans l’industrie du jeu vidéo, mais les nombreuses interruptions causaient des distractions que Darkworks ne pouvait se permettre. On aurait dit la série The Office avec l’humour en moins.
A l’E3 2008 le gros morceau de la conférence d’Ubisoft était le premier trailer, dès lors, du prometteur I Am Alive, en images de synthèse, connu par la plupart d’entre nous. L’illusion avait fonctionné et les gens ont été sous le charme. Mais ce n’est pas pour autant, une fois de retour à Paris, que les choses se sont améliorées et le fait qu’Ubisoft, sans doute en prévision, ne mette même pas le logo de Darkworks dans le trailer n’a pas aidé.
Les gens étaient excités par le projet I Am Alive après l’E3 et étaient prêts à en savoir plus à propos du jeu mais Ubisoft ne pouvait pas montrer autre chose que le trailer. Quelques screens de mauvaise qualité en plus d’une preview décrivant le jeu comme un fps - était tout ce qu’il y avait à se mettre sous la dent.
La chef de Darkworks, Gouraud, avait déclaré que 2009 serait l’année où ils brilleraient, qu’ils étaient en train de passer à une nouvelle étape. La vérité est que Darkworks n’était pas du tout prêt pour l’étape finale. Une fois revenue en France, l’équipe a doublé les efforts en vue du moment fatidique qu’était l’avril 2009. Après de multiples efforts, le jeu commençait enfin à ressembler à quelque chose et l’équipe avait enfin réussi à atteindre la phase de de-bug. Il ne restait plus qu’à faire des tests et donner un coup de polish.
C’est alors que le désastre a frappé. Darkworks s’est vu retirer le jeu en Janvier 2009. Ubisoft était lassé par Darkworks, selon eux le jeu n’était pas très bon dans l’état où il était et il leur avait coûté trop d’argent. L’équipe était dévastée.
Ubisoft a fait une déclaration expliquant qu’afin de respecter la nouvelle date de lancement pour ce jeu ambitieux et que Darkworks ayant d’autres obligations, ils ont décidé mutuellement de compléter le développement de I Am Alive avec l’aide d’Ubisoft Shanghai, étant donné que les deux studios avaient collaboré sur certains aspects du jeu l’année d’avant. Cela était majoritairement faux car la déclaration était en réalité une faveur faite à Darkworks afin d’éviter que la débâcle I Am Alive ne ternisse leur réputation.
Malheureusement, suite à cet incident, Darkworks n’a jamais développé d’autre jeu, la compagnie a mis la clé sous la porte en 2011. Guillaume Gouraud dirige maintenant TriOviz, une compagnie qui crée de la technologie 3D utilisée dans les jeux comme Batman : Arkham City ou Gears of War 3. La plupart des membres du studio ont soit quitté l’industrie du jeu vidéo soit trouvé du travail dans d’autres studios de développement.
En 2009, Ubisoft Shanghai a récupéré le projet I Am Alive. Le studio devait d’abord utiliser les bases laissées par Darkworks pour créer une version plus linéaire du jeu. Cela n’a pas marché et le studio a décidé de recommencer complètement avec de nouveaux atouts et niveaux tout en restant fidèle au concept original du jeu. Mais encore une fois ils ont échoué, c’est alors que le studio a tenté une dernière fois sa chance en effectuant des changements draconiens et faisant preuve d’acte de foi.
C’est ainsi qu’est né le projet qui consistait à sortir le jeu sur le XBLA et le PSN . Cela a permis au studio d’avoir plus de liberté concernant le design bien qu’étant limité par la taille de la mémoire pour le développement et la taille de l’équipe, plus petite à cause d’un budget moindre.
La taille de l’équipe a été fortement réduite. Le projet qui comptait 130 personnes avec Darkworks est passé à 35 avec Ubisoft Shanghai. La nouvelle équipe devait compresser le jeu, qui faisait dans les 50 GO un mois auparavant, afin que celui-ci ne dépasse pas les 2 GO tout en évitant au maximum les pertes qualitatives.
Ubisoft s’est montré satisfait. L’éditeur était prêt à montrer le jeu au public. A la GamesCom 2011, la nouvelle version de I Am Alive a été révélée au public. Les réactions étaient mitigées. Certains ont aimé le design et le fait que le jeu se soit concentré sur l’aspect survie, d’autres se sont plaint d’un Uncharted du pauvre. Cependant, l’équipe n’était pas surprise par ces différentes réactions. La volonté de plaire à tout le monde avait été abandonnée dès lors qu’ils avaient décidé de sortir le jeu sur le XBLA. L’équipe devait faire de choix sans compromis.
I Am Alive a finalement vu le jour le 7 mars 2012, presque 3 ans après la sortie initiale prévue. Après les bonnes critiques le jeu en a tout de même connu de mauvaises, comme celle d’IGN répondant par la négative à la question de savoir si cela a valu le coup d’attendre 6 ans pour un tel résultat.
Aujourd’hui, I Am Alive est disponible pour 15€, pas vraiment le prix idéal pour un jeu qui aura coûté 32 millions de dollars, avant qu’Ubisoft Shanghai ne reprenne l’affaire, et la fermeture d’un studio qui ne le méritait sans doute pas.