Ce n’est pas un secret, Microsoft a tenté de racheter Nintendo pour percer dans le milieu du jeu vidéo. Une belle anecdote racontée notamment dans le livre « Au coeur de la xbox » qui comporte près de 350 pages sur les débuts du projet jusqu’à l’arrivée de la première Xbox. Mais de nouveaux détails nous arrivent aujourd’hui sur cet épisode.
Difficile de se faire une place dans l’univers console quand on s’appelle Microsoft
Dans un article passionnant sur la naissance de l’empire Xbox chez Bloomberg, la journaliste Diana Bass a pu interroger plusieurs cadres qui ont participé à cette énorme aventure qu’est la création d’une nouvelle console de jeu vidéo. Avec la sortie de sa deuxième PlayStation, Sony annonçait « redéfinir le monde informatique », ce qui a fortement intrigué Microsoft.
Il faut d’abord se remettre dans le contexte du jeu vidéo il y a 20 ans. PlayStation dominait avec Nintendo et Sega peinait avec sa Dreamcast malgré une technologie très solide. Pour pénétrer le marché du jeu vidéo avec sa console Xbox, Microsoft devait absolument marquer le coup et trouver des partenaires de premier choix. À l’époque, Electronic Arts était sur toutes les lèvres.
Kevin Bachus, directeur des relations avec les éditeurs tiers, rappelle ainsi avoir eu des réunions avec Electronic Arts de nombreuses fois. Mais à l’époque, EA ne croyait pas trop au projet Xbox.
Ils nous ont rappelé que Microsoft avait l’habitude de se mettre à l’eau et que lorsque les choses ne fonctionnaient pas, ils abandonnaient ce marché et prétendaient que cela ne s’était jamais produit.
En effet, Microsoft n’avait pas vraiment bonne réputation à l’époque dans l’industrie, et tout était à prouver.
Electronic Arts était l’éditeur majeur de l’époque, et son absence de soutien envers la Dreamcast a sans doute joué en la défaveur de Sega. Comme le dit Kevin Bachus, « il y avait EA, puis il y avait tous les autres. »
John Riccitiello, PDG d’Electronic Arts jusqu’en 2004, admet qu’à l’époque, leurs discussions avec les équipes PC de Microsoft étaient tout à fait normales mais qu’en ce qui concerne l’équipe dédiée à Xbox, c’était plutôt froid. « C’est probablement l’impression que nous avions donnée car nous voulions nous assurer de rester sceptiques. » À l’époque, Xbox avait tout à prouver et Todd Howard, créateur de Elder Scrolls III : Morrowind chez Bethesda, admet également qu’il était difficile de juger du sérieux de Microsoft sur ses intentions console.
Le changement de stratégie s’est opéré avec Jennifer Booth, tout droit arrivée de chez Sony et ayant participé au lancement de la première Playstation. Selon elle, il fallait parler de technologie pour d’abord attirer l’attention des développeurs et seulement ensuite parler du business. Pour Todd Howard, l’apport du disque dur était assez déterminant par rapport aux cartes mémoires de chez Sony. De son côté, Tomonobu Itagaki, créateur de Dead or Alive, concède que l’architecture de la première Xbox - semblable à celle d’un PC - a grandement simplifié le développement des jeux.
Plusieurs rachats envisagés pour faire percer Xbox dans le jeu vidéo
Bob McBreen, responsable du développement chez Microsoft à l’époque, confirme que la première société à avoir été contactée en vue d’un rachat a été Electronic Arts, ce qui s’est soldé par un « Non, merci » poli. C’est ensuite que vint Nintendo, comme le raconte Kevin Bachus.
Steve [Ballmer, président et bientôt PDG de Microsoft, ndlr] nous a fait aller rencontrer Nintendo pour voir s’ils envisageraient d’être rachetés. Ils nous ont juste ri au nez. Imaginez une heure où quelqu’un se moque de vous. C’est un peu comment cette réunion s’est déroulée.
Bob McBreen précise avoir eu Nintendo dans leurs locaux en janvier 2000 pour travailler sur les détails d’une joint venture. L’idée était que Microsoft fournisse tous les détails techniques de la Xbox.
Le pitch était que leur matériel était nul comparé à la PlayStation de Sony, et c’était le cas. L’idée était donc : « Écoutez, vous êtes bien meilleur dans la partie du jeu avec Mario et tout le reste. Pourquoi ne nous laissez-vous pas nous occuper du matériel ? » Mais ça n’a pas marché.
Mais Microsoft n’en n’avait pas encore terminé. Bob McBreen déclare que Microsoft est allé au Japon en novembre 1999. Lui, Steve Ballmer, le PDG de Square Enix et d’autres ont eu un dîner d’affaires, et le lendemain, tout le monde était autour de la table avec une proposition de rachat par Microsoft. Mais Square Enix a jugé l’offre trop basse, et Microsoft est rentré en Amérique.
Plus tard, Microsoft a également essayé de racheter Midway, qui était intéressé pour se faire racheter. Mais le deal n’a pas pu se conclure puisque ça aurait fait sortir Midway de leur business avec PlayStation, et Microsoft n’avait pas non plus besoin de toute la partie marketing.
Ed Fries, responsable des jeux first party à l’époque chez Xbox, se souvient d’un appel de Peter Tamte, alors vice-président de Bungie. Ce dernier était en difficulté financière et disposait déjà d’un repreneur potentiel : Take Two.
Marty O’Donnell, compositeur chez Bungie, se souvient avoir voyagé la nuit précédent la première démonstration de Halo à l’E3 avec à la main la seule copie du jeu sur DVD. Il se rappelle des mots de Alex Seropian, PDG de Bungie, après la présentation du jeu durant les répétitions : « Marty, je sais que c’est complètement fou, mais Microsoft vient de nous proposer de nous racheter ».
La suite, on la connaît, Halo est devenu le fer de lance du lancement de la Xbox, et l’une des plus grosses franchises que le jeu vidéo ait pu connaître.
Ces anecdotes sur les débuts de Xbox il y a vingt ans résonnent évidemment d’une façon toute particulière aujourd’hui. Avec la Xbox One, Microsoft a loupé le coche avec une machine moins puissante que la PS4 de l’époque ainsi qu’un manque de contenu. Mais la stratégie autour des Xbox Series X et Xbox Series S semble de nouveau offensive comme à la belle époque avec une console puissante et des jeux qui vont arriver en masse avec les nombreux studios Xbox, Bethesda y compris.
La principale différence entre le Microsoft d’aujourd’hui et celui d’il y a 20 ans, c’est que les éditeurs et développeurs du monde entier connaissent les intentions du géant américain autour du jeu vidéo, mais surtout qu’elles sont dorénavant prises avec sérieux.